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Il y a urgence à revoir l'urgence

@ Tristan Paret

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A moins de trois mois de la présidentielle et alors que le plan grand froid bat son plein – 670 places d'hébergement d'urgence supplémentaires sont ouvertes dans le Rhône, plus 120 places en gymnase depuis mardi –, 100 personnes pourtant sont encore "sans-solution" d'hébergement chaque soir dans le Rhône. Médecins du Monde et la fondation Abbé Pierre organisaient, jeudi dernier à l'Institut des Droits de l'homme de Lyon, une rencontre sur ce thème. Compte rendu.

A en croire les principaux acteurs du secteur, cinq ans après la mobilisation nationale des Don Quichotte qui avait conduit le candidat Sarkozy à promettre, à l’hiver 2006, que "d’ici deux ans, plus personne ne sera obligé de dormir dehors", la situation ne s'est pas améliorée. Le budget de l’hébergement d’urgence a pourtant été multiplié par trois, la préfecture du Rhô

ne assure y consacrer annuellement 33 M€, mais les représentants associatifs lyonnais, réunis à l'institut des Droits de l'homme de l'université catholique de Lyon jeudi 26 janvier, dressent un constat alarmant de la situation. Ils évoquent aussi des pistes de réponse. A l'invitation de Médecins du Monde et de la fondation Abbé Pierre, ils s'interrogeaient jeudi dernier sur "la question de l’hébergement des populations précaires en France". Morceaux choisis.

35 % de jeunes SDF

Maryse Bastin, secrétaire générale de la FNARS (900 associations d’accueil et de réinsertion sociale en France), a commencé, jeudi 26 janvier, par dresser le portrait des bénéficiaires de l’hébergement d’urgence en France. Un constat basé sur le baromètre du 115, numéro national d'urgence pour les SDF en France. Il montre que les personnes qui cherchent un hébergement d'urgence sont à 65 % des personnes isolées, à 35 % des familles. 35 % sont des jeunes de moins de 24 ans. Une "montée en charge de la jeunesse" qui inquiète la FNARS, qui appelle à une mobilisation nationale sur cette question (voir ici : www.bigbangjeunesse.fr). Autre problème, "49 % des demandes faites au 115 en décembre n'ont donné lieu à aucune attribution de places", "265 personnes se sont vu refuser une solution d'hébergement dans le Rhône en décembre", 100 personnes encore ces derniers jours malgré l'ouverture d'un gymnase, selon le collectif "Réel engagement SDF" du Rhône. Enfin, "53 % des personnes qui ont appelé le 115 en décembre se sont vu proposer une solution pour une nuit" seulement, ce qui implique qu'elles ont été remises à la rue le lendemain.

2000 places ouvertes dans le Rhône et 100 personnes encore "sans solution"

Pourtant, "1500 places sont ouvertes toute l’année dans le Rhône, plus 670 places supplémentaires ouvertes et occupées dans le cadre du plan grand froid", selon Gilles May-Carle, chargé de la question des sans-abri à la préfecture. Sans parler du gymnase réquisitionné par le préfet (120 places supplémentaires ouvertes dans le cadre du niveau 3 du plan grand froid) mardi 31 janvier. Maryse Bastin regrette cette "gestion au thermomètre" de l'urgence. Rappelons que la compétence "hébergement d'urgence" incombe à l'Etat en France. Mais, devant l'ampleur des problèmes, certains comme Olivier Noblecourt, adjoint au maire de Grenoble, militent pour que les collectivités locales se saisissent de ce problème. C'est le cas à Grenoble, ce n'est pas encore le cas à Lyon.

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65 % des personnes n'arrivent pas à sortir de la rue

Inquiétant également selon la FNARS, le baromètre du 115 a montré en décembre que "65 % des personnes ayant appelé la veille sociale étaient déjà connues du dispositif". Ce qui signifie que 65 % des personnes errent dans le dispositif sans trouver de porte de sortie. Bruno Lachnitt, responsable de la Mission régionale d'information sur l'exclusion (MRIE) affirme que les autorités, y compris locales, sont en effet dépassées par l’augmentation des besoins. Il s'appuie dans son analyse sur les conclusions du récent rapport d’évaluation de la Cour des comptes qui évalue les politiques de gestion de l'urgence en France (lire ici). Le rapport met notamment en avant l'augmentation considérable des personnes sans domicile en France : + 50 % au cours de ces dix dernières années, le nombre de SDF étant passé de 85000 à 150000 en France.

Le logement, "grande cause nationale" ?

Le responsable de la MRIE plaide pour "une meilleure connaissance des publics". Jérôme Colrat, directeur de l'Alynea, association qui gère le 115 ainsi que 373 places d'hébergement d'urgence dans le Rhône, affirme en effet que "la question du sans-abrisme fait peur en France parce qu'on ne sait pas de qui on parle. Il y a beaucoup d'appréhension chez les Français de devenir soi-même sans-abri. On parle de grands exclus, de personnes aux parcours migratoires complexes, des accidentés de la vie, des personnes qui dévissent à un moment donné et qui ont besoin d'être mises à l'abri..." La vérité, selon lui, c'est que l'hébergement d'urgence est "une sorte de voiture balai de la société, qui rassemble tout ce qu'on n'arrive pas à régler", d'où sa complexité. Maud Bigot, membre de "Réel engagement SDF", collectif de travailleurs sociaux, estime que le dispositif doit être entièrement remis à plat. Il ne correspond à rien, selon elle, sinon à un "bricolage de statuts : logements d'urgence, de stabilisation, ALT, etc.", qui représentent autant de "lignes budgétaires" qu'il faut faire "exploser" pour prendre en charge efficacement les personnes au profit de la logique du "logement d'abord". "Selon la porte d'entrée que les sans-domicile prennent au départ", Olivier Noblecourt, adjoint au maire de Grenoble, estime en effet qu'"ils n'ont pas les mêmes chances de s'en sortir". Comme Maud Bigot, il veut faire "cesser au plus vite la distinction entre hébergement d'urgence et hébergement d'insertion", sinon "on risque de créer un ghetto qui va perdurer". Maud Bigot demande aux candidats à la présidentielle de déclarer le logement "grande cause nationale".

Construire des logements sociaux

Pour régler en partie le problème, la fondation Abbé Pierre, avec son délégué régional, Marc Uhry, préconise de "construire 500000 logements sociaux en France chaque année pendant 5 ans, dont 150000 très sociaux". Dans le Grand Lyon, Gérard Collomb affirme en construire 5000 chaque année. Gilles May-Carle répond que "1000 personnes en 2010 et 1045 personnes en 2011" ont quitté les centres d'hébergement d'urgence du Rhône pour les logements sociaux du "contingent préfectoral". "Une partie des autres n'ayant pas la possibilité de s'intégrer dans de tels logements parce qu'ils ont besoin d'un accompagnement spécifique", estime le directeur départemental de la cohésion sociale. Pour essayer de répondre à ce problème, la préfecture précise que "430 places en maison-relais ou pension de famille seront ouvertes fin mars dans le Rhône pour les personnes qui ne sont pas en capacité d'accéder à un logement autonome". Mais Maud Bigot, membre du collectif "Réel engagement SDF", affirme que ces maisons-relais ne sont pas adaptées puisque aucun suivi n'y est assuré le week-end.

Elargir le droit au travail

Pour Jérôme Colrat, directeur d'Alynéa, la situation ne sera pas réglée à Lyon tant que les personnes logées dans les centres d'hébergement d'urgence n'auront "aucun droit par rapport au travail". Il plaide pour les "sortir de cette logique d'assistance destructrice", tout comme Jean-François Ploquin, directeur de Forum Réfugiés, qui regrette que "les demandeurs d'asile [soient] privés de travail en France depuis 1991". Il rappelle qu'entre le moment où une personne demande l'asile et celui où les autorités lui répondent, il peut se passer deux ans sans droit au travail. Dans le Rhône, 2000 personnes demandent chaque année l'asile, selon jean-François Ploquin, dont 30 % seulement voient leur demande acceptée, ce qui fait 600 personnes qui "passent souvent par les centres d'hébergement d'urgence". Ces centres proposent en effet un accueil "inconditionnel", rappelle Jérôme Colrat. "La place prise par les demandeurs d'asile a éjecté du système un public plus traditionnel", note Olivier Noblecourt, adjoint au maire de Grenoble. Ce qui provoque selon lui "des logiques de racisme", "une perversion des systèmes de critères". L'élu plaide pour "la régionalisation de la demande d'asile" et pour "une augmentation de l'offre temporaire".

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