Fabrice Balanche
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Fabrice Balanche : "la fin de 25 ans d'hégémonie de l'Occident sur le monde"

Fabrice Balanche, maître de conférence en géographie à Lyon 2, est l'invité de 6 minutes chrono pour son livre Les leçons de la crise syrienne.

Spécialiste de la Syrie et du Proche-Orient, Fabrice Balanche, maître de conférences en géographie à Lyon 2 et chercheur associé au Washington Institute, a publié le 6 mars Les leçons de la crise syrienne, un livre où il tire les grands enseignements d'un conflit qui pour lui a mis fin à "25 ans d'hégémonie de l'Occident sur le monde". "On n'a pas réussi à changer le régime de Bachar el-Assad, les Russes sont intervenus en Syrie, se sont alliés aux Iraniens, avec le soutien chinois par derrière et on a eu la création de ce bloc eurasiatique qui aujourd'hui se sent pousser des ailes comme le montre la guerre en Ukraine", développe Fabrice Balanche.

La retranscription intégrale de l'entretien avec Fabrice Balanche

Bonjour à tous et bienvenue, vous regardez 6 minutes chrono le rendez-vous quotidien de la rédaction de Lyon Capitale. Aujourd'hui, nous sommes avec Fabrice Balanche. Bonjour. Alors vous êtes maître de conférences en géographie à Lyon 2, vous êtes aussi chercheur associé au Washington Institute, vous êtes un spécialiste notamment de la Syrie, vous publiez ce 6 mars ce livre « Les leçons de la crise syrienne » avec une préface de Gilles Kepel, on va parler justement de cette région du monde avec vous et puis aussi de géopolitique internationale. En 6 minutes c'est tout un programme. Votre livre s'intitule « Les leçons de la crise syrienne », ça induit qu'elle est finie cette crise aujourd'hui elle n'est plus vraiment au premier rang de l'actualité, on n'en parle plus beaucoup de la Syrie. Pour vous c'est fini ?

Non bien sûr la crise n'est pas finie mais enfin on a d'autres crises qui sont arrivées, avec la crise ukrainienne, la crise à Gaza, mais cette crise syrienne est intéressante parce qu'elle marque la fin de 25 ans d'hégémonie de l'Occident sur le monde depuis la chute de l'Union Soviétique. On n'a pas réussi à changer le régime de Bachar el-Assad, les Russes sont intervenus en Syrie, se sont alliés aux Iraniens, avec le soutien chinois par derrière et on a eu la création de ce bloc eurasiatique qui aujourd'hui se sent pousser des ailes, comme la guerre en Ukraine, la Turquie associée aujourd'hui à cet axe eurasiatique qui intervient en Libye, qui intervient en Arménie aux côtés de l'Azerbaïdjan contre le Karabakh et donc on a un recul général de l'Occident, on le voit aussi pour la France en Afrique subsaharienne, Niger, Mali, Burkina, parce qu'on a cet axe qui cherche à réduire l'influence occidentale et tout simplement à nous remplacer
et c'est en Syrie que ça a commencé.

`Mais pourquoi cette guerre l'Occident ne l'a pas gagné, ou en tout cas cette bataille là, puisqu'il n'y a pas vraiment eu de guerre avec des troupes au sol occidentales, c'est parce que l'autre bloc qui se constituait pour cette occasion-là était plus fort ou c'est qu'on n'a pas voulu aller jusqu'au bout, aller jusqu'à l'envoi de troupes au sol à ces fameuses frappes aériennes qui avaient un temps été repoussées par les Américains ? C'est une bataille qui n'a pas été menée ou c'est une bataille qui a été perdue ?


C'est une bataille qui a été perdue parce que si on n'a pas envoyé de troupes au sol et on ne voulait pas envoyer de troupes au sol parce qu'on avait le précédent de l'Irak, les États-Unis ont envoyé 200 000 hommes en Irak pendant 2003-2011 avec d'énormes pertes, plus de 3000 morts, des dizaines de milliers de blessés, ça ce n'était plus acceptable pour les armées occidentales. Une armée occidentale aujourd'hui ne peut pas se permettre de perdre des milliers d'hommes. Il ne faut pas oublier qu'une des raisons de la victoire de Trump justement aux États-Unis en 2016, c'est que la société américaine ne voulait pas replonger dans un conflit extérieur qui avait mobilisé ses enfants.

Les Américains ne veulent plus être le gendarme du monde comme on l'a dit ?

Le gendarme du monde oui, mais par procuration, c'est-à-dire ne plus intervenir. Or en Syrie, si on voulait faire tomber le régime, il fallait faire comme les Américains en Irak, c'est-à-dire envoyer minimum 100 000 hommes pour faire tomber le régime d'Assad et ensuite essayer de stabiliser le pays. Or ça, on n'était pas prêt à le faire et c'est même Joe Biden qui à l'époque était vice-président qui l'avait déclaré.

La grande leçon de la crise syrienne pour vous, c'est l'émergence de ce bloc euro-asiatique, les régimes autoritaires russes, chinois, iraniens, c'est leur émergence comme potentiellement aussi puissante que l'Occident ?

Tout à fait, c'est vraiment en Syrie que s'est constitué cette alliance qui s'est montrée victorieuse. Il faut dire que nous, on s'était un petit peu endormi sur nos lauriers. On pensait que l'opposition syrienne, la rébellion syrienne allait emporter le régime. Vous reprenez les déclarations d'Alain Juppé et de Laurent Fabius à cette époque. Le régime en a pour 15 jours, il sera tombé avant Noël, etc. On n'avait pas compris que ce régime était..


Mais c'était aussi dans la lignée des printemps arabes...


Oui, mais alors voilà, on a cru que c'était un effet domino. On a plaqué sur la Syrie la situation tunisienne alors que c'était complètement différent. On a complètement oublié le communautarisme qui structurait la société syrienne. Cette communauté alaouite qui soutenait le régime, qui tenait l'armée et qui donc, en cas de chute du régime, risquait de se faire éliminer par l'opposition, qui était une opposition sunnite, de plus en plus islamiste et qui a fini par verser dans le djihadisme.


Et est-ce que pour vous, tout ce qu'on voit depuis sur la géopolitique internationale, mondiale, c'est finalement le prolongement de l'émergence de ce bloquer asiatique quand on voit la guerre en Ukraine, finalement, où les Européens et les Américains arment les Ukrainiens face aux Russes, qui eux-mêmes sont armés par les Iraniens, par la Corée du Nord, avec la Chine qui joue un jeu trouble. On est vraiment dans le prolongement de ce qu'on a vu en Syrie ?

On est vraiment dans ce prolongement, effectivement. Alors certains y voient justement un retour des années 30, guerre d'Espagne, la conquête de la Manchourie du côté du Japon, ensuite l'élimination de la Tchécoslovaquie. On a des similitudes, mais il faut faire attention. L'histoire n'est pas un éternel recommencement. Il faut prendre dans l'histoire ce qui permet d'expliquer le présent. Mais on voit évidemment que ce bloquer asiatique a le vent en poupe. Et il profite finalement de notre méconnaissance des sociétés locales. Parce que si Assad a pu rester au pouvoir, c'est parce qu'il maîtrisait son régime, c'est parce qu'il connaissait la société syrienne. Et nous, on ne la connaissait pas. Donc on a joué les mauvais chevaux. On n'a pas utilisé les bonnes méthodes pour le faire tomber. En Afrique, si on est en train de se casser la figure, c'est aussi parce qu'on manque de connaissances sur cette région du monde, malgré notre dispositif diplomatique. Parce que les chercheurs, les diplomates ne font plus de terrain. Et donc ils restent dans leur bureau. Ils sont gérés par des idéologies, par des courants de pensée. Et on manque énormément de recherche de terrain, de recherche réaliste de terrain qui permettrait de comprendre pourquoi on est en train aussi dans ces sociétés de perdre notre influence et que les Maliens, les Nigériens, finalement, ils s'aident aux sirènes des Russes et des Chinois.

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