L’école de dessin Emile Cohl, à Lyon ©Mathilde Régis

Émile Cohl : "34 ans d'existence mis en cause par le tribunal Twitter"

Les menaces et insultes visant l'école de dessin se sont multipliées depuis qu'un prestataire a pris l'initiative de modifier grossièrement une photo d'étudiants en ajoutant des visages noirs pour la campagne d'installation d'une école Émile Cohl aux États-Unis.

Dans les locaux des anciennes usines Renault, les œuvres des étudiants se succèdent dans un hall encore vide à quelques jours de la rentrée. Sur internet, la très réputée école de dessin et d'animation lyonnaise n'a jamais autant été au centre de l'attention médiatique et des réseaux sociaux. Au cœur de la tempête virtuelle, les responsables regrettent que ce soit sur un message "à l'antithèse de ce que prône l'école". Antoine Rivière, directeur général, ainsi que toute son équipe, est particulièrement affecté.

Blackwashing. Un mot dont il ne connaissait pas l'existence avant que ne surgisse la polémique. De l'autre côté de l'Atlantique, la personne chargée de l'implantation d'une école Émile Cohl aux États-Unis a employé un prestataire pour assurer la communication, loin d'être le cœur de métier de l'école, centré sur l'apprentissage du dessin et de l'animation 3D. Un prestataire qui n'hésitera pas à détourner une photo d'étudiants de 5e année, noircissant grossièrement des figures et intégrant des visages noirs pour faire acte de diversité.

"Personne n'a vu la manipulation en amont, plaide Antoine Rivière. Je ne me cache pas derrière mon petit doigt, j'assume. Nous nous sommes excusés auprès des parents des élèves, car nous sommes responsables de ne pas avoir fait acte de vigilance sur cette photo. Mais nous sommes droits : on n'a rien à se reprocher dans la commande ou la direction de cette agence, qui s'est bien gardé de nous demander notre avis".

"On nous traite de racistes, de fascistes et d'homophobes"

"Détourner l'intégrité physique de personnes". L'acte nécessite des répercussions immédiates pour cet avocat de formation. "L'agence de communication a tout de suite été appelée pour qu'ils dégagent du projet et enlèvent cette photo". Mais le mal est fait. Sur Twitter, une ancienne étudiante en procès avec l'école sur un autre dossier, lance la machine. "Des trolls nous accusent désormais de tous les maux". Menaces physiques par mail, insultes en tout genre... Alors qu'elle pensait le mener depuis des années, l'école devient la cible du combat contre la discrimination. Cette semaine, la façade du côté de la rue Feuillat a été couverte de blanc. Un acte de vandalisme affectant d'autant plus l'équipe de l'école, qui a porté plainte.

"Les attaques contre nous dépassent l'entendement, nous avons été obligés de désactiver les avis sur la page Facebook", regrette Antoine Rivière. D'une autre côté, l'affaire est récupérée "par des négationnistes et des extrémistes radicaux". "On nous traite de fascistes, de racistes et même d'homophobes", témoigne le directeur. "Alors que nous n'avons jamais recruté nos étudiants sur la personne, mais sur le travail, l’œuvre, l'aspect technique et l'univers de l'artiste. Lorsque les professeurs critiquent un dessin, ils n'attaquent pas celui derrière le stylo, mais le trait, la perspective. L'école revendique avant tout l'exigence technique au profit de l'univers graphique".

L'identité du prestataire ne sera pas révélée

Le nom de l'inventeur français du dessin animé en prend aussi un coup. "Aujourd'hui, Google associe Émile Cohl à blackwashing", regrette-t-il. L'affaire traverse aujourd'hui l'Atlantique après avoir été relayée par la plupart des médias en ligne de France. La question du prestataire américain retient particulièrement l'attention. Mais celui-ci a assuré ses arrières et le directeur ne peut révéler son identité. "Des clauses de confidentialité ont été signées si les choses tournent mal, et divulguer le nom de ce prestataire pourrait nous retomber dessus", explique-t-il.

Le projet d'une école gratuite aux USA

La polémique qu'il aurait pu imaginer était loin de celle qui vient d'éclater. L'école privée, qui facture entre 7 et 8 000 l'année en France, projetait de lancer une formation gratuite à Los Angeles. Une structure " non-profit ", qui de fait, n'a aucun lien capitalistique avec l'école de Lyon. "Le seul lien entre les deux entités, c'est la pédagogie propre à Émile Cohl," indique Antoine Rivière. "Au départ du projet, nous nous sommes demandé si les écoles de dessin étaient accessibles aux États-Unis. Et en voyant les tarifs des autres facultés, de 40 à 80 000 dollars l'année, on s'est dit que c'était insensé pour nous. À partir du moment où une personne a du talent, l'argent ne doit pas l'empêcher de l'exprimer".

Des paroles qui ne surprendraient pas l'étudiant le plus primé de l'école Émile Cohl, Sidney Kombo. Oscarisé pour les meilleurs effets spéciaux dans le film Gravity, nominé pour son travail sur Avengers: L'ère d'Ultron, il travaille aujourd'hui pour les studios de Peter Jackson, en Nouvelle-Zélande. Véritable talent né au Congo, il était question qu'il ne termine pas son cursus à l'école lyonnaise à cause de difficultés pour financer sa dernière année. Le père d'Antoine Rivière, fondateur de l'école, lui aurait rétorqué. "Tu déconnes ?! Tu as des choses à raconter". L'école aurait alors pris en charge le financement de son année pour qu'il termine son cursus. Depuis la polémique, l'artiste n'a pas retiré son support à l'école de dessin de Lyon ni au projet américain.

"34 ans d'existence mis en cause par le tribunal Twitter"

Aujourd'hui, "l'école assume et fait le dos rond" poursuit Antoine Rivière. "Mais le débat s'est placé sur le blackwashing alors qu'on voulait mener un débat de fonds sur la gratuité de la formation aux États-Unis. Sur les réseaux sociaux, des étudiants nous défendent, la plupart du temps de manière identifiée, mais les messages les plus virulents viennent de trolls. C'est 34 ans d'existence mis en cause par le tribunal Twitter", déplore-t-il. Le directeur tient à rappeler la confiance totale envers les professeurs de l'école, qui "ne peuvent pas être accusés de négationnisme et de racisme". Dès la rentrée, l'école entend "expliquer à [ses] étudiants ce qu'il s'est passé" et compte sur l'intelligence des futurs postulants pour ne pas hésiter à pousser les portes de l'école, d'où qu'ils viennent.

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