« Demandez au propriétaire du garage »

Personnage complexe, Toni Musulin revient à l’audience sur le déroulement des faits, du jour du vol et sa fuite en Italie jusqu’à son arrestation à Monaco.

Les cheveux longs coiffés en arrière, la barbe dense, grisonnante, Toni Musulin se tient, face au juge. Les mains dans les poches. Dégagé. La personnalité de Toni Musulin reste un point clé de l’affaire. Comment comprendre cet homme de 40 ans ? Le personnage est difficile à cerner. A la fois très détaché de son procès, d’une décontraction apparente, discutant avec le juge plus qu’il ne débat avec lui. Et à la fois très attentif à tout ce qui se dit, scrutant et recherchant régulièrement les réactions dans les yeux des spectateurs de l’audience. Pour ses anciens collègues de travail eux-mêmes le bonhomme n’est pas simple. Philippe, convoyeur de fonds présent le jour du vol le qualifie à la fois d’ami, de collègue, le voyant tantôt comme une grande gueule, tantôt comme une forte tête. Musulin un homme craint ? Au début de la procédure, Philippe avait même estimé dans une déposition que Toni Musulin faisait la pluie et le beau temps. A chaque étape de son procès, l’homme a montré un visage différent.

Le procès de Loomis plutôt que de Musulin

Tout au long de l’audience, la défense de Toni Musulin n’aura de cesse de tenter de justifier le vol par un fort ressentiment du suspect envers la société de transport de fonds Loomis. L’ancien convoyeur reproche à son employeur de ne pas l’avoir considéré à sa juste valeur, d’avoir subi des vexations, comme des manquements sur sa fiche de paye ou lorsque ses supérieurs lui ont refusé une après-midi d’absence pour se rendre à l’enterrement d’un ami très proche. « L’appât du gain n’est pas le moteur principal de son acte » selon son avocat Me Banbanaste. Musulin accuse également Loomis de l’avoir fait travailler dans des conditions dégradées : camions mal entretenus, parfois même des portes de fourgons ne fermant pas. Critiques fondées, selon les deux employés de Loomis qui assuraient la tournée avec Toni Musulin le jour de son vol, et le représentant CGT de l’entreprise. Appelés à la barre cet après-midi, ils ont tous dénoncé des conditions de travail déplorables. A ce moment précis, le travail de la défense semble payer. C’est presque le procès de la société Loomis qui se tient, et on en perd de vue le vol qui passe au second plan. Le président du tribunal Jean-Hugues Gay s’en agace : « il y a eu un vol quand même! On est en train de changer de procès. Je vais bientôt renvoyer aux prud'hommes Loomis si ça continue »

« Ça aurait aussi bien pu être le 6 »

Retour sur la journée du 5 novembre 2009. Ce jour là, le fourgon transporte plus de 11 millions d’euros d’après les bordereaux de la Banque de France. Pour Toni Musulin, rien d’exceptionnel. Après une longue préparation, c’est ce jour là que Musulin passera à l’action. « Pourquoi ce jour là ? Pourquoi le 5 ? » demande le président. Flegmatique, impassible et neutre comme il l’est depuis le début de l’audience, l’accusé répond : « Je ne sais pas, ça aurait aussi bien pu être le 6. J’avais décidé de le faire, je ne pouvais plus reculer. » Ferme et assuré, il ajoute : « quand j’ai décidé quelque chose je le fais ». Il raconte alors comment il prend la route, seul à bord du fourgon, alors que ses deux collègues sont descendus lors d’une halte prévue sur l’itinéraire : « je pars… et je me tape le feu rouge ». Quelques sourires dans la salle qui ne sont que les prémisses des rires qui allaient suivre.

Musulin fait rire le tribunal

« Je gare le fourgon, les portes face à face avec celles du Kangoo. Je fais tomber les sacs, et commence à les jeter dans le coffre du Kangoo. Les gens qui passaient en voiture me voyaient faire. Les sacs sont lourds et recouverts de plastique, ils glissent les uns sur les autres. C’était la galère, mon arme n’arrêtait pas de tomber. » Une évocation cocasse qui arrache un sourire à Musulin. « On ne va quand même pas pleurer » ajoute t’il tandis que le président se dit heureux d’avoir pu voir un sourire sur le visage de l’accusé. Et le suspect se rend compte que son organisation aurait pu être meilleure. Après avoir rempli à la hâte le coffre du Kangoo, le convoyeur s’est aperçu que tout ne pouvait rentrer. C’est pourquoi Toni Musulin a dû laisser une partie de son butin sur place. Mais il déclare ne pas avoir le reste de l’argent qui manque toujours : « demandez au propriétaire du garage que je louais. Lui a un double ».

Fuite en Italie : « J’ai mangé des pâtes »

Une fois la voiture chargée, il se rend dans un garage qu’il a loué et, au moment de décharger la voiture, prend conscience du volume de son butin. « C’est énorme. Qu’est ce que je vais bien pouvoir en faire ? » s’est-il alors interrogé. Serein, il raconte être parti ensuite s’acheter à manger. C’est à ce moment là qu’il prend conscience qu’un important dispositif policier a été déployé. Il décide alors de prendre la fuite sur une moto qu’il a louée une semaine auparavant. « Je voulais laisser passer le week-end, le temps que l’affaire se tasse » précise-t-il. Direction l’Italie. Lorsque le président l’interroge sur ce qu’il y a fait, Musulin lui répond « A Rome, j’ai visité. J’ai mangé des pâtes ». Puis à Naples, même programme. Éclats de rire dans la salle. « Lorsque j’étais à Naples je me suis renseigné et j’ai vu qu’ils avaient trouvé l’argent. J’avais un peu les boules. » Musulin perd l’envie de rire : « Je n’avais pas choix. Soit je courrais toute ma vie, soit je me rendais. Je n’avais plus d’argent pour continuer à courir, alors je me suis rendu ».

Le rêve monégasque ?

Mais pourquoi Monaco ? C’est la question qui taraude le président. Musulin sert alors une explication peu convaincante : « J’avais décidé de me rendre, mais je me suis trompé de route et je me suis retrouvé à Monaco ». Mais le président relève que Musulin est rentré sur la principauté par l’ouest, et donc par la France. Il aurait donc pu se rendre aux autorités en France. Musulin évoque vaguement qu’il se serait recueilli à Sainte Dévote avant de se rendre aux autorités, mais ses arguments restent pour le moins vagues. Lorsque l’avocate de Loomis, partie civile dans l’affaire, interroge Toni Musulin sur le ressentiment de ce dernier vis-à-vis de son employeur, l’homme n’évoque qu’un regret : ne pas avoir brûlé le fourgon. On attend encore le plaidoyer et le réquisitoire pour ce soir. Le procès qui devait se dérouler sur une seule journée risque de s’étaler sur une bonne partie de la nuit, voire demain matin. Toni Musulin encourt trois ans de prison et 375.000 euros d'amende.

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