Bicentenaire de sa mort ce 5 mai 2021 : "Lyon était l'amour de cœur de Napoléon"

Ronald Zins est le spécialiste de I'histoire de Lyon sous le Consulat et l'Empire. Président de l'Académie Napoléon, société savante et apolitique qui a pour objectif d'étudier et de faire connaître l'histoire des deux empires napoléoniens et de la famille impériale, il revient pour Lyon Capitale sur les liens très forts entre Napoléon et Lyon, sa "ville de coeur".

Lyon Capitale : Quels liens entretiennent Lyon et Napoléon ?

Ronald Zins : Il y a des liens de raison et des liens affectifs. Il faut prendre en compte que quand Napoloéon quitte la corse à l'âge de 9 ans pour venir en France, où son père a obtenu une bourse du roi pour l'éducation de son fils et de son frère Joseph, Napoléon débarque sur la côte, remonte le Rhône et arrive à Lyon. La ville est encore très marquée au niveau apparence, par architecture et l’ambiance de l'Italie. Il y a toujours eu beaucoup d'Italiens, notamment à la Renaissance, dans le quartier du Vieux-Lyon. Napoléon retrouve donc une atmosphère qui lui rappelle un peu son pays. C'est un enfant, les premières impressions le marquent très, très fort. Et puis, Napoléon va passer régulièrement à Lyon lors de ses fréquents retours en Corse et en France. Dès l'enfance et l’adolescence, il y a une habitude de passer par Lyon. Et la ville ne le laisse manifestement pas insensible.


Napoléon chef de l'Etat est celui qui reconstruit Lyon. Ce qui lui vaudra d'ailleurs par les notables lyonnais, par les édiles, le surnom de “réédificateur de Lyon”.


Plus tard, Napoléon montrera tout l'intérêt qu'il porte à la ville...

La ville lui plaît, cet aspect méditerranéen, italien. Le caractère des Lyonnais manifestement doit l' intéresser aussi, notamment par rapport au caractère un peu bouillant et agressif des Parisiens, les Lyonnais sont beaucoup plus dans la retenue. Et puis, dès qu'il est chef de l'Etat, il va manifester tout cet intérêt pour cette ville qui a été partiellement détruite lors du siège de 1793, par les événements révolutionnaires. Au retour de sa victoire de Marengo, en Italie, lors de la seconde campagne d'Italie de 1800, Napoléon va passer par Lyon. Ce sera un séjour très rapide mais symboliquement très puissant, puisqu'il va poser la première pierre de reconstruction de la place Bellecour. C'est très fort du point de vue du symbole : Napoléon chef de l'Etat – à l'époque on l'appelle encore le Premier consul Bonaparte, mais c'est le même homme –, est celui qui reconstruit Lyon. Ce qui lui vaudra d'ailleurs par les notables lyonnais, par les édiles, le surnom de “réédificateur de Lyon”. Cela veut tout dire.

Partant de là, il y a donc une reconnaissance des instances lyonnaises.

Oui et il y a cette volonté affichée de Bonaparte de développer cette métropole importante, déjà la deuxième!me ville de France. Il a à l'esprit de redonner à la ville tout son lustre. Il ne faut pas oublier que Lyon, à l'époque, est encore la capitale où il y a le Primat des Gaules, le personnage religieux le plus important de l'Eglise française. Napoléon veut développer l'économie et les arts. Il va donner suite notamment lorsqu'il reviendra à Lyon en 1805.


C'est de Lyon que Napoléon va créer la république italienne moderne


Combien de passages importants Napoléon a-t-il fait à Lyon ?

Il va en faire quatre importants : 1800, 1802, 1805 et 1815. Le séjour de 1802 est un acte également très important symboliquement au niveau de l'histoire internationale. Il va réunir es députés italiens et c'est à Lyon qu'il va créer la République italienne. La première République italienne moderne, c'est Bonaparte qui la créé à Lyon dans la chapelle de la Trinité, qui est la chapelle de l'actuelle lycée Ampère. C'est son plus plus long séjour car il va rester à Lyon du 11 au 27 janvier. Cela amène en ville une grande effervescence, beaucoup de monde, ça fait tourner le commerce et quand le commerce fonctionne, on sait que les gens sont contents.

Quelle est l’importance du séjour de 1805 de Napoléon à Lyon ?

En 1805, c'est le séjour le plus fastueux puisque Bonaparte est devenu Napoléon. Il a été proclamé Empereur par le Sénat, il a été sacré par le pape. Il est Empereur des Français en 1804 et il est encore président de cette République italienne. C'est un peu embêtant au niveau titulature d'être empereur d'un coté et président d'une république de l'autre. Il transforme alors cette république italienne en royaume d'Italie. Et comme il en était président, il en devient le roi. Partant de là, il se rend à Milan au printemps 1805 pour être couronné roi d'Italie, avec la couronne des rois lombards. Ce qui est intéressant, c'est quand il part de Paris pour Milan, il s'arrête à Lyon, toute une semaine, avec toute la cour. Il y a beaucoup d'or et de pourpre dans toute la ville. On est honoré par la présence de Napoléon. On va faire réaliser les fameuses clés de Lyon, qui sont aujourd'hui conservées et exposées au Musée Gadagne, pour les lui présenter – sachant qu'à Lyon il y avait trois divisons administratives et que c'est Napoléon qui les réunit en une seule, c'est pour cela qu'on lui a présenté ces trois clés.


En 1805, Napoléon prend des décisions qui vont permettre à Lyon de se développer économiquement, artistiquement et au niveau de l'urbanisme.


En 1852, une autre statue équestre est connue à Lyon, celle de Napoléon, place Carnot – 4,65 mètres de haut, sur un piédestal de 5,80 mètres, surplombant les allégories de la Loi et de la Force qui font chacune 2,20 mètres. En 1870, avec la fin du Second Empire, la statue est détruite. Les deux allégories sont installées au palais de justice des 24 colonnes. Une autre statue prend sa place à Carnot, celle de la République.

C'est alors qu'il prend aussi des décisions en faveur de la soie ?

Il va prendre toute une série de décisions en faveur de la Fabrique (de la soie lyonnaise), donc en faveur du textile, il va prendre des décisions également au niveau des arts puisqu'il va aller au Palais Saint-Pierre pour visiter une exposition de tout ce que les industriels lyonnais peuvent présenter de plus beau et de plus accompli, il va instaurer l'une des cinq écoles de dessin, il va prendre des décisions pour améliorer l'urbanisme, notamment pour construite des quais sur la Saône et sur la rive droite du Rhône. Cette série de décisions vont permettre à Lyon de se développer économiquement, artistiquement et au niveau de l'urbanisme.

Le dernier séjour date de 1815, à son retour de l'île d'Elbe.

C'est le Vol de l'Aigle, le retour de Napoléon depuis l'île d'Elbe. Il revient en passant par les Alpes. Sa première prise importante est la ville de Grenoble, où la garnison se rallie à lui. Mais Grenoble, sans vouloir faire de peine aux Isérois, est une ville de seconde zone. Militairement importante, mais symboliquement, et politiquement, elle n'a pas beaucoup de poids. La ville qui a du poids, c'est Lyon. D'ailleurs, pour arrêter Napoléon, il n'y a rien de moins que le futur Charles X - le frère de Louis XVIII -, le futur Louis- Philippe, qui est un cousin, et un maréchal de l'Empire. Donc Napoléon, le paria, l’exilé, qui revient de l'île d'Elbe est opposé à la puissance royale. Et la puissante royale va s’effriter et s'enfuir honteusement. C'est très intéressant car on constate que Napoléon est acclamé par les Lyonnais comme il ne l'a jamais été. C'est du délire. Bien sûr que les élus, la haute bourgeoise sont plus circonspects car ils savent que le retour de Napoléon va ramener une situation de guerre et va peut-être poser des problèmes économiques. Mais le peuple est très enthousiaste. Il séjournera à Lyon trois jours.

Et c'est à Lyon, réellement, que la réussite du Vol de l'Aigle est assurée. Après Lyon, jusqu'à Paris, c'est une petite promenade : toutes les troupes se rallient à lui au fur et à mesure. Napoléon retrouve son trône le 20 mars 1815.


Paris est l’amour de raison et Lyon est l'amour de cœur.


Et le fameux "Lyonnais je vous aime” ?

Il le prononce le 13 mars 1815 à Lyon. C'est après ce séjour, où il est particulièrement sensible à l’accueil qui lui a été réservé. Il va faire cette déclaration unique. On ne l'a pas vu afficher une autre proclamation similaire à celle-ci.

Y-a-t-il d'autres villes que Lyon pour lesquelles Napoléon affiche une telle sympathie, un tel amour ?

Il y a deux villes qui comptent pour Napoléon : Paris, par la force des choses car c'est le lieu où il réside et où sont implantés tous les symboles de son pouvoir. Et Lyon. Pour schématiser, Paris est l’amour de raison et Lyon est l'amour de cœur. Je le vois comme cela en tout les cas.

Lyon doit-elle beaucoup à Napoléon ?

Je le pense, parce que la reconstruction de la ville d'une part, la relance de l'économie d'autre part. Qui dit économie dit travail et donc cela permet à toute une partie importante de la population de manger à sa faim. Il y a également des progrès sociaux. C'est au cour de son séjour de 1805 que des soyeux lui parlent de certains conflits du travail . C'est à la suite de cette conversation que Napoléon va créer le conseil des prud'hommes, en 1806.


Il y a peu de reconnaissance de la part des élus lyonnais pour Napoléon.


Comment Lyon célèbre Napoléon ?

On ne le célèbre pas. Il y a peu de reconnaissance de la part des élus lyonnais pour Napoléon. Il y a le pont Bonaparte sur la Saône mais en-dehors de ce pont, dont il est décideur de sa construction, puisque ce pont est inauguré en 1807 et va s'appeler pont de Tilssit, de la paix faite entre Napoléon et le tsar Alexandre. Il y a aussi une petite plaque commémorative de la reconstruction de la place Bellecour, rue du Colonel Chambonnet. Mais d'une manière générale, ce n'est pas très affiché.

Pour quelles raisons Napoléon n'est-il pas honorer à Lyon ?

Tout simplement car les hommes ont la mémoire courte et que l'ingratitude est, d'une manière générale, l'un des principaux défauts de la nature humaine, notamment dans les milieux politiques puisqu'il faut reconnaître que ce sont les politiques qui décident de ce qui se passe dans leur ville. On préfère se glorifier soi-même que glorifier un homme mort depuis des centaines d'années.

Et la période n'aide pas. C'est complètement stupide de vouloir juger l’histoire d'il y a quelques siècles selon les valeurs contemporaines car ces valeurs n’étaient pas les mêmes. Je ne dis pas que c'était mieux ou moins bien, mais ces valeurs sociétales n'étaient absolument pas les mêmes. Si on veut juger ou apprécier Napoléon à sa juste valeur selon les normes sociétales de l'époque, il fait le comparer aux autres souverains ou autres généraux de l'époque. C'est en faisant à un étalonnage de cette sorte qu'on peut établir la valeur ou non de l’individu mais certainement pas en le comparant avec nos critères actuels.

A lire : Lyon et Napoléon, sous la direction de Ronald Zins, aux éditions Faton.

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