Perte d'une étoile : Jérome Bocuse "bouleversé, choqué mais confiant"

Jérome Bocuse a accordé un entretien à Lyon Capitale, depuis Miami où il réside, suite à l'annonce du retrait de la troisième étoile au restaurant Paul Bocuse de Collonges-au-Mont-d'Or.


Quel sentiment éprouvez-vous à la suite du retrait de la troisième étoile, ce qui n'était pas arrivé depuis 1965 ?

Je suis, comme vous l'imaginez, bouleversé et choqué mais je reste très confiant pour l'avenir. Il y a un engagement extraordinaire et jamais vu de la part de l'équipe qui travaille, s'acharne j'irai même jusqu'à dire, depuis des mois et des mois, pour pousser les curseurs vers le haut.

"Confiant" donc. Pensez-vous que vous récupérerez vos trois étoiles ?

Je suis intimement persuadé que les trois étoiles reviendront très vite. Aujourd'hui, lorsque Gwendal Poullenec, le directeur du guide Michelin, dit que les étoiles ne sont pas incrustées dans le marbre, ne sont pas décernées à vie et qu'elles se méritent et ne dépendent pas de l'aura médiatique d'un chef, je ne peux qu'être d'accord.  Mais vous savez, nous sommes chez Bocuse des optimistes doublés de compétiteur, on ne va rien lâcher. Ce sont les clients qui réagiront. Je les laisse commenter.

Le groupe Bocuse a récemment lancé "La tradition en mouvement", en revoyant ses recettes mythiques, ses plats de mémoire, comme on rectifie l'assaisonnement d'un mets après l'avoir goûté, en lui ajoutant ce qui est susceptible de l'améliorer. Qu'allez-vous faire de plus ?

"La tradition en mouvement" est une formule qui colle bien à ce que nous voulons faire à l'Auberge de Collonges.  Ce n'est pas une révolution mais une adaptation aux goûts de l'époque, un ajustement à notre temps en gardant nos racines. Je vous disais, en janvier dernier, à l'occasion du Bocuse d'Or, que le guide Michelin devait s'accorder avec son époque. Mon propos s'illustre aujourd'hui à travers le partenariat que le guide vient de signer avec TripAdvisor : le Michelin ne reste pas figé, il évolue avec son temps. La tradition en mouvement que nous avons voulue pour Collonges, c'est justement de vivre avec notre temps. L'une des grandes forces que nous avons, c'est l'équipage. Aujourd'hui, nous sommes tous dans le même bateau. Nous sommes tous sur la même longueur d'onde. Nous avons un cap et nous nous y tenons. La ligne de conduite est claire : l'excellence.

Nos collaborateurs s'investissent au quotidien, c'est primordial. Toute cette expertise, ces savoir-faire individuels, nous nous appliquons à les mettre en valeur de manière à ce que le restaurant fondé par mon père Paul Bocuse reste au sommet de l'excellence à la française.
Mais nous ne pouvons pas non plus plus réinventer la roue. Nous ne pouvons que pousser les curseurs vers le haut.

Quand on nous reproche un "manque de créativité", ce que nous a dit explicitement le guide Michelin, ce n'est pas facile. Surtout pour une maison comme la nôtre où l'on est dans une très forte identité. On ne va pas déstructurer la sole Fernand Point. Mais j'aime bien le challenge. J'ai fait beaucoup de compétitions, notamment en ski nautique, et on ne peut pas toujours être le premier. Nous allons nous efforcer de faire encore mieux. J'ai confiance. Les équipes sont solidaires et très impliquées. Nous avons trois meilleurs ouvriers de France en poste et deux autres qui vont passer le concours cette année.

Pourquoi, selon vous, avoir sorti l'information dix jours avant la publication du guide Michelin (le 27 janvier) ?

C'est également la question que je me pose quand même : pourquoi le guide Michelin a-t-il annoncé la nouvelle dix jours avant la sortie officielle du guide ? Voulait-il faire le buzz deux fois ? En réalité, à la fin, une seule chose compte véritablement : nos clients (L'Auberge fait 45 000 couverts par an, NdlR). Ce retour des clients a toujours été la principale obsession de mon père, c'est ce qui comptait le plus pour lui.

Le guide Michelin est-il encore crédible ?

Nous ne pouvons pas le juger sur une sanction, en loccurrence la nôtre mais sur une plus longue période. Pour avoir une meilleure vue d'ensemble de ce que veut être le guide Michelin, il faut analyser ses décisions sur le moyen terme, pas uniquement court terme. Pour moi, le Michelin reste toujours la « bible ». Aujourd'hui, aucun guide ne peut avoir la crédibilité du guide Michelin. Encore faut-il qu'il la conserve. On peut toucher à Bocuse si la cuisine, ou l'accueil, ne sont pas suffisants pour mériter trois étoiles. Bocuse n'est pas un cas à part, nos étoiles ne sont pas incrustées dans le marbre. Les étoiles se méritent, ce n'est pas l'école des fans. Mais nous brillerons bientôt de nouveau à trois étoiles, je vous le garantis.

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