“Xi Jinping est plus autoritaire que ses prédécesseurs”

Alors que la France et la Ville de Lyon déroulent le tapis rouge au nouveau n° 1 chinois, Xi Jinping, les démocrates s’inquiètent de l’arrivée au pouvoir d’un homme “beaucoup plus autoritaire” que ses prédécesseurs. Au prétexte d’une lutte contre la corruption, il semble déterminé à éliminer toute opposition interne au sein du parti unique.

Entretien avec le plus célèbre des démocrates chinois, Wei Jingsheng, exilé à New York. L’homme a une histoire forte avec Lyon, car il a pu déjà par deux fois, en 1999 et 2001, interpeller – grâce à Lyon Capitale – les prédécesseurs de Xi Jinping.

Lyon Capitale : En 1999, à Lyon, vous aviez interpellé Jiang Zemin grâce à un mégaphone depuis les balcons de Lyon Capitale. Votre “plus beau coup” depuis votre libération et votre exil forcé, aviez-vous confié à l’époque. Quel souvenir avez-vous gardé des Lyonnais, qui s’étaient beaucoup mobilisés pour dénoncer cette visite ?

Wei Jingsheng : Ce qui m’a le plus impressionné, c’est que les Lyonnais, notamment les journalistes, les élus et les jeunes ont affiché la même passion, la même conviction claire de ce qu’il faut aimer et haïr, le même courage que celui dont ils avaient fait preuve pendant la guerre antifasciste de 39-45. Je les ai trouvés aussi courageux que dans les films sur l’Occupation.

En 2001, les lecteurs et la rédaction de Lyon Capitale avaient, grâce à différentes sonos placées sur le parcours officiel, réussi à diffuser un message préenregistré de vous au futur président chinois Hu Jintao. Vous l’appeliez à “démocratiser la Chine”. Avez-vous été entendu ?

Hu Jintao a assurément entendu ce que vous avez diffusé par les haut-parleurs. Malheureusement, il n’a pas évolué par la suite. Mais il s’est certainement senti humilié, il a été touché au vif.

En 1999, la Chine avait fait ouvertement pression sur la Norvège pour que vous n’obteniez pas le prix Nobel de la paix. Est-ce que ceux qui défendent la démocratisation de la Chine aujourd’hui sont mieux entendus des démocraties occidentales ?

C’est l’effet inverse qui s’est produit, malheureusement. Dans le but de faire de l’argent en Chine, les politiques occidentaux ont cherché à flatter les communistes chinois. D’ailleurs, quand ils envoient des aides destinées à soutenir la démocratie et les droits de l’homme en Chine, il est stipulé qu’on ne donne pas celles-ci à des gens comme nous.

Vous aviez le sentiment que l’attribution des Jeux olympiques à la Chine était une erreur, car elle renforcerait le nationalisme chinois et la dictature exercée par le Gouvernement…

Grâce à la résistance de gens partout dans le monde, le régime communiste chinois n’a pas intégralement réalisé ses objectifs. Toutefois, les dignitaires de certains pays se sont rendus à Pékin pour flatter le régime : ainsi, le Parti communiste a pu marquer des points dans les enjeux intérieurs, tel que le nationalisme.

Vous estimez qu’il y a encore combien de prisonniers politiques en Chine ?

Il est difficile d’en obtenir le nombre précis. Mais la situation actuelle est pire qu’il y a dix ans.

Vous avez toujours dénoncé la répression terrible dont est victime la minorité musulmane ouïghoure. Les actes terroristes commis par des Ouïghours sont-ils pour vous la conséquence de la politique menée par Pékin ?

Non, il n’existe pas de relation causale directe entre les deux choses. Et nous nous opposons à la répression brutale, de même que nous nous opposons au terrorisme.

Le développement économique de la Chine est-il à mettre au crédit du gouvernement chinois ?

Il est normal qu’une société arriérée connaisse un développement économique rapide. Un grand pays qui commence à développer son économie présente des opportunités pour le monde entier. Cela n’a rien à voir avec une quelconque sagesse du régime communiste. Je vous rappelle que, dans la Chine d’aujourd’hui, il y a autant de pauvres qu’il y a trente ans, avant son soi-disant “développement économique”.

Xi Jinping est en France et à Lyon pour une visite d’État à partir du 25 mars. Il semble encore un mystère pour les Occidentaux. Selon vous, est-il plus ouvert ou plus dur que ses prédécesseurs ?

Les Occidentaux ont abusé du mot “mystère” afin d’embellir les dictateurs chinois. L’emploi de ce mot constitue un écran de fumée permettant de masquer le visage du dictateur Xi Jinping. Alors que lui a déjà montré son vrai visage : celui d’un dirigeant encore plus autoritaire que ses prédécesseurs.

Si vous pouviez aujourd’hui adresser un message à Xi Jinping, quel serait-il ?

S’il poursuit sa voie actuelle, le Parti communiste s’effondrera encore plus vite. Il n’est pas à même de sauver le parti, d’ailleurs personne ne l’est.

Vous avez bientôt 64 ans. Vous avez été enfermé en octobre 1979 pour des écrits demandant la démocratie en Chine. Après 18 ans d’enfermement et presque autant d’années d’exil forcé depuis votre libération en 1997, avez-vous encore l’espoir de rentrer un jour dans votre pays ?

Bien sûr. Depuis que j’ai quitté la Chine, l’envie de rentrer est de plus en plus forte. Mais parfois des amis enthousiastes, à Lyon et ailleurs, me le font oublier.

Traduction de l’anglais : Paul Jones
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