La préoccupante gestion financière du club de foot d’Évian

Relégué en Ligue 2, l’ETG (Évian-Thonon-Gaillard) continue de susciter la curiosité en raison des conflits entre dirigeants qui minent le club. Moins discutée dans les médias que les bisbilles entre personnes, la gestion financière des dirigeants actuels interroge. Enquête.

club de foot Evian (illustration) (samedi 01 juillet 2017)

ROMAIN LAFABREGUE / AFP

Le club de foot d’Évian, relégué en Ligue 2, se prépare à s’enfoncer doucement dans une crise qui risque de mettre le club en péril. Et ce ne sont pas les conflits permanents entre dirigeants qui sont en cause, tant ils sont devenus habituels à Évian.

Le manager, Pascal Dupraz, va être remercié pour d’obscures raisons, tout comme son fils, directeur des services. Joël Lopez, le président du club, a été révoqué début juin, un an et demi après la révocation de Patrick Trotignon. Ce dernier était jugé trop proche de Franck Riboud, le patron de Danone, qui fut le principal sponsor du club avant de se retirer.

Gestion pointée du doigt

Les actionnaires principaux de l’Évian-Thonon-Gaillard (ETG), Esfandiar Bakhtiar et Richard Tumbach, avaient estimé qu’un sponsor au chiffre d’affaires de 21 milliards d’euros et qui touche près d’1 milliard de consommateurs à travers la planète n’était pas indispensable. Du coup, le duo Bakhtiar-Tumbach cherche aujourd’hui de l’argent frais pour sauver Évian. La situation devient même urgente.

D’après des documents en notre possession, le cabinet d’audit KPMG considère, dans un courrier alarmiste daté du 18 mai, que la situation financière du club “est de nature à compromettre la continuité d’exploitation de [la] société”. Et c’est en grande partie la gestion des actionnaires principaux qui est pointée du doigt.

Rachat de titres

Zinedin Zidane et Franck Riboud étaient les prestigieux soutiens du club de foot d'Évian, aujourd'hui évanouis

PIERRE VERDY / AFP

Avec le départ de Danone, 34 actionnaires, détenteurs chacun de 1 % du club, ont souhaité se défaire de leurs actions. Parmi ces “petits” actionnaires, on retrouvait Zinedine Zidane (le seul à 2%), Alain Boghossian, Bixente Lizarazu, Michel Denisot ou encore l’avocat lyonnais André Soulier et Jean-Claude Condamin, patron du groupe lyonnais Sogelym qui vient de construire la tour Incity à la Part-Dieu.

Esfandiar Bakhtiar et Richard Tumbach, principaux actionnaires de Haute-Savoie Football Développement (HSFD), la holding qui chapeaute le club d’Évian, ont racheté ces actions pour 1,8 million d’euros “sur nos fonds propres”, selon M. Tumbach, consolidant ainsi un peu plus leur mainmise sur le club.

Mais la Commission des chefs de services financiers (CCSF), un service de Bercy qui gère les dettes sociales des entreprises, relève que “[cette] opération de rachat de titres pour “sortir” certains actionnaires désireux de vendre leurs actions (actionnaires initialement liés à Danone) (…) réduit les possibilités pour les actionnaires d’amener à court terme de la trésorerie dans [le club]”. En clair, le duo Bakthiar-Tumbach devrait injecter de l’argent dans le club mais n’en a pas les moyens et aurait dû le faire plutôt que de s'emparer de 35% du capital pour 1,8 million.

Opacité

Pis, les deux actionnaires de la holding ponctionnent la trésorerie du club pour la faire transiter dans la holding au sein de laquelle ils sont majoritaires. KPMG s’inquiète de l’opacité de ces transactions financières, qui portent sur des dizaines de milliers d’euros. “Nous n’avons pas connaissance de l’objet de ces virements”, s’interroge le cabinet d’audit, qui souligne que les besoins en trésorerie du club sont pourtant majeurs, de l’ordre de 600 000 euros. “Compte tenu de ces éléments, nous nous interrogeons”, appuie encore le cabinet d’audit.

Le gendarme financier des clubs de foot (la DNCG) a par ailleurs décidé, le 4 juin dernier, de placer le club sous recrutement contrôlé pour la prochaine saison et d'encadrer sa masse salariale. Une nouvelle audition d'Évian devant la DNCG est prévue cet automne.

Danse du ventre

Bakhtiar et Tumbach avaient pourtant l’opportunité de faire rentrer de l’argent en avril 2014. Yves Bontaz, un richissime industriel haut-savoyard, proposait de racheter les 35 % des petits actionnaires “people” pour 2,2 millions d’euros. Bakthiar et Tumbach s’y sont opposés, insultant au passage Yves Bontaz dans des mails que nous avons obtenus : il y est traité de “clown” ou jugé bon pour “l’asile”.

Joël Lopez, ex-président de l’ETG “remercié”, en discussion avec Luis Fernandez, devenu conseiller du club à titre bénévole © Jean-Pierre Clatot / AFP

© Jean-Pierre Clatot / AFP
Joël Lopez, ex-président de l’ETG, avec Luis Fernandez, devenu conseiller bénévole du club.

Un an après, avec l’urgence de trouver des fonds, les actionnaires du club font la danse du ventre à Bontaz pour qu’il injecte de l’argent dans le club. Celui-ci, peu rancunier, pourrait accepter, à condition de devenir majoritaire et de faire revenir Franck Riboud à l’ETG.

Richard Tumbach se veut serein. Il assure que la situation financière est saine et que des solutions de trésorerie peuvent être trouvées dans la vente d’au moins six joueurs. Pourtant, un plan social qui prévoit 8 licenciements est sur les rails. Le club a également réclamé un échelonnement du paiement de 2,5 millions d’euros de dettes aux services fiscaux. Toujours pas accordé. Le club vient également d'intégrer Luis Fernandez, l'actuel sélectionneur de la Guinée, dans son organigramme comme conseiller bénévole.

“Quand on est dans la merde jusqu’au cou, il ne reste plus qu’à chanter”, écrivait Samuel Beckett, le maître de l’absurde. Absurde, la situation le devient chaque jour un peu plus à Évian.

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