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Elections tunisiennes : le parti islamique présente une tête de liste à Lyon

Dix mois après la révolution de Jasmin, les élections auront lieu en Tunisie ce dimanche 23 octobre pour désigner les membres d'une assemblée constituante qui prendra les rennes du pays. Les Tunisiens de l'étranger sont également appelés aux urnes pour la première fois, de ce jeudi 20 au samedi 22 octobre, avec une tête de liste à Lyon, Neji Jmal, candidat pour le mouvement islamique Ennahda, favori des sondages. Rencontre.

Un bureau, un ordinateur, une grande table de réunion, un canapé, et un cadre orné d'un verset du Coran. C'est le local des militants d'Ennahda (Renaissance), le parti islamique tunisien. Situé à Saint-Priest, dans la banlieue lyonnaise, il est "provisoire, le temps des élections", nous confie Neji Jmal (à droite sur la photo), tête de liste du mouvement dans la circonscription sud de la France créée pour l'occasion. Il est accompagné de trois militants.

A première vue, rien n'indique les orientations politiques de ce cadre de 46 ans, docteur en Histoire et père de 5 enfants. S'exprimant dans un français impeccable, ce réfugié politique est arrivé en France en 1986, pour ses études, il n'en ai jamais reparti. Le dictateur Ben Ali entame alors une campagne de répression sauvage contre son mouvement, Ennahda, accusé de vouloir le renverser. Des milliers de militants sont arrêtés et torturés, d'autres, à l'instar du leader Rached Ghannouchi, choisissent l'exil. S'en suit une longue traversée du désert pour le parti.

"La situation exige une participation politique large"

Jusqu'à cette fameuse révolution en décembre 2010, inaugurant le printemps arabe. Comme tous les observateurs, les dirigeants d'Ennahda n'ont rien vu venir. "Pour les plus optimistes des Tunisiens, le changement pouvait venir de l'intérieur du système, mais personne n'imaginait un soulèvement populaire", admet Neji Jmal.

Le parti soutient bien évidemment la révolution, mais tient à ne pas apparaître sur le devant de la scène. "Nos membres ont rejoint la révolution, et nous avons organisé des manifestations de soutien en France. Mais nous étions conscients que le régime tunisien était soutenu par les puissances occidentales. Et nous ne voulions pas que Ben Ali puisse prétexter des manifestations islamistes, pour diaboliser le soulèvement".

Neji Jmal regrette que les puissances occidentales regardent son mouvement "à travers les lunettes de Ben Ali". Et ne souhaite pas que le parti soit majoritaire lors du prochain scrutin : "Le mouvement Ennahda ne veut pas gouverner seul. La situation exige une participation politique large et un consensus entre les parties, d'autant que la rédaction de la Constitution concerne tous les Tunisiens. Toutefois si nous gagnons nous l'assumerons".

La crainte de devoir diriger un pays seul vient du fait qu'Ennahda n'a aucune expérience en la matière, et qu'il craint de susciter l’hostilité des puissances occidentales dans la mesure où il n'accepte aucune ingérence.

"L’Islam est religion d’Etat"

Pour autant la tête de liste de la circonscription sud de la France tient à rassurer. Si son mouvement, Ennahda, est un mouvement islamique, il ne s’agit ni d’interdire ni d’imposer la religion par la force. Certes, il tient à l’article premier de la Constitution tunisienne qui dispose que "L’Islam est religion d’Etat", et ne conçoit pas "de voter une loi en contradiction avec nos références religieuses". De même qu’il n’envisage pas une quelconque relation avec Israël "tant que le problème palestinien ne sera pas réglé". Une approche, selon lui, partagée par la majorité des Tunisiens. Mais Neji Jmal tempère. "Nous avons notre lecture de l'Islam, que nous adaptons et que nous contextualisons. Par exemple, le système bancaire actuel fonctionne avec l'intérêt, ce qui est contraire à l'Islam. Mais le système de finance islamique n'est pas assez fort et répandu pour pouvoir l'adopter au niveau national comme système économique. Donc nous garderons le système traditionnel jusqu'à ce que nous trouvions un meilleur système. Nous appliquerons nos références petit à petit". Une logique de persuasion, et non de contrainte, qui serait contre productive dans une Tunisie encore marquée par une laïcité imposée sous Bourguiba et Ben Ali.

Neji Jmal tient toutefois à rappeler que "les valeurs que réclament les Tunisiens, la liberté, la justice, la dignité sont des valeurs islamiques. C'est cela qu'il faut commencer à mettre en place". Une position partagée par les militants. Comme Béchir, qui ajoute qu'au sein du parti, "il existe des frères qui ne portent pas la barbe et des sœurs qui ne portent pas le voile. Nous sommes pour la liberté et tous ceux qui partagent notre programme peuvent nous rejoindre. Nous n'imposons rien à personne".

Vers un AKP à la tunisienne ?

Pas de quoi rassurer l’ensemble des Tunisiens. Comme Tahar Ben Meftah, tête de liste d'un autre mouvement, candidat lui aussi aux élections tunisiennes, le Coraldt (Collectif Rhônalpin pour la liberté et la démocratie en Tunisie), favorable à une séparation stricte entre la religion et l’Etat. Selon lui, il convient d’être vigilant car "Ennahda utilise un double langage. Dans les déclarations officielles, le parti se veut démocratique. Mais dans des cercles privés, c’est un autre discours".

Pour Vincent Geisser, politologue spécialiste de la Tunisie, le mouvement ''a incontestablement évolué depuis 20 ans. Il est aujourd'hui acquis à la démocratie et tend plus vers le modèle de l'AKP en Turquie que vers un régime islamique strict. De toute façon, ils savent que les Tunisiens n'accepteront plus de voir leur liberté confisquée".

Les élections tunisiennes à Lyon se déroulent au consulat, 14 avenue Foch (Lyon 6e) ces jeudi, vendredi et samedi de 8h à 18h. Les habitants de Bron votent eux, 20 rue Guillermin, dans leur commune, et ceux de Villeurbanne, 14 place GrandClément jusqu'à samedi soir. Plus de 10 000 Tunisiens sont domiciliés dans le Grand-Lyon selon le consulat. Avec l'ensemble des Tunisiens de l'étranger, ils désigneront 19 sièges sur 218 au sein de la future Assemblée constituante qui prendra, après les élections, les rênes du pays.

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