John Cage, Erik Satie, même combat contre les conventions

Après les toiles saturées de Robert Combas, le musée d’Art contemporain de Lyon fait place aux expériences sonores et plastiques des avant-gardes des années 1950-60 et à leur chef de file incontestable : John Cage.

Un concertiste entre sur scène et salue, avant de s’asseoir devant un piano à queue. Le public fait silence. Concentré, le pianiste ouvre la partition, puis ferme le couvercle et lance un chronomètre. Vont s’ensuivre quatre minutes et trente-trois secondes exactement de silence (ou plutôt d’absence de notation musicale). Bienvenue chez John Cage. Cette pièce magistrale en trois mouvements intitulée 4’33’’ résume parfaitement l’œuvre d’un des plus grands artistes de la deuxième partie du XXe siècle : expérimentale, drôle et directement inspirée du quotidien.

À la lisière de la musique, des arts visuels, de la poésie et de la performance, le travail de ce génie ingénu se révéla une influence majeure, notamment pour le groupe Fluxus, auquel il est d’ailleurs affilié (Fluxus qui fera l’objet d’une exposition au musée d’Art moderne de Saint-Étienne à partir du 27 octobre). Encore aujourd’hui, son héritage reste immense.

L’inépuisable Satie

Fils d’inventeur, John Cage conçoit dès 1938 le “piano préparé” (divers matériaux et objets sont placés entre les cordes d’un piano, modifiant la sonorité des notes), introduit le hasard et l’indétermination dans l’acte même de composition, utilise la musique électro et l’installation vidéo bien avant l’heure, et élève le cactus, la conque et tout un tas d’objets au rang d’instruments de musique ! Cette audace et cet humour, il les doit sans doute à l’une de ses plus grandes sources d’inspiration : Erik Satie, dont il a étudié la musique et la personnalité à Paris, et à qui il rendra hommage toute sa vie.

Pourquoi Satie ? Parce que “Satie est inépuisable, comme les champignons”, répondait Cage, qui, en plus de toutes ses casquettes artistiques, était fin mycologue. Chez Satie, Cage admirait le travail sur la durée, l’utilisation du silence, de l’aléatoire, ou les répétitions gratuites, comme dans la pièce Vexations (un même motif musical répété 840 fois au piano) dont Cage fut le premier à organiser l’interprétation intégrale en 1963.

Cage, Satie, même combat contre les conventions, d’où l’idée de cette exposition, dont la commissaire est Laura Kuhn, directrice du John Cage Trust. Disposées aux premier et dernier étages du musée, un nombre important d’œuvres de l’artiste américain témoigneront de son admiration pour le compositeur français, à travers des compositions musicales, plastiques, des objets, des installations, de la poésie, ou encore des films, dans un joyeux micmac de son et d’images.

L’héritage cagien

Creusant le lit des courants expérimentaux à venir, John Cage marqua durablement le travail d’artistes comme La Monte Young et George Brecht, tous deux exposés à l’occasion de cet hommage. La Monte Young, l’homme au chapeau mou et à la barbe hirsute, considéré comme le père de la musique minimaliste, découvrit les compositions cagiennes dans les années 1960, et elles orientèrent son travail vers l’art conceptuel. Avec son inséparable épouse, Marian Zazeela, il réactive au troisième étage du musée une de leurs pièces les plus connues : Dream House. Installation sonore et lumineuse gigantesque, l’œuvre immerge le visiteur dans une ambiance psyché, mauve et fluo, au son de deux ondes électroniques fixes émises en continu.

À cette expérience en espace clos répondent les œuvres de l’Américain George Brecht, dispersées dans le hall et les espaces de circulation du musée. Puisant dans un répertoire de formes et d’actions minimalistes, Brecht, qui suivit les cours dispensés par Cage à la fin des années 1950 à la New School for Social Research de New York, invente la notion d’events, microévénements décalés, comme laver un violon ou faire de la musique pour peigne. À partir d’objets usuels ou de partitions simples et énigmatiques à la fois, les pièces de Brecht s’inscrivent dans la droite ligne de celles de Cage et de Fluxus, à la fois drôles et empreintes de vie.

Le contenu de cette exposition étant un peu pointu, mêlant à la fois concept et résultat sonore ou visuel, mais néanmoins passionnant, on compte sur une médiation adéquate du musée (en espérant que la situation sociale au MAC le permette, lire nos infos ici) pour faire découvrir à un large public le travail inestimable, à tous points de vue, de John Cage et de ses dignes successeurs.

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Cage’s Satie : Composition for Museum – La Monte Young et Marian Zazeela, Dream House, 1990-2012 – George Brecht, Partitions, Glass and Chair Events, 1959-2012. Du 28 septembre au
30 décembre, au musée d’Art contemporain (Lyon 6e).

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