Fifa : Reportage au Qatar sur les pas de Bin Hammam

Réfugié à Doha, Mohammed Bin Hammam est aujourd’hui un véritable fantôme dans la ville. Reportage dans la capitale du Qatar, transformée en immense chantier pour la Coupe du monde 2022.

La skyline de Doha (Qatar), en janvier 2013 © Karim Sahib / AFP

© Karim Sahib / AFP
La skyline de Doha (Qatar), en janvier 2013.

Mohammed qui ?” Au pied de l’Olympic Tower, en plein cœur de la forêt de buildings du centre-ville de Doha, le vigile reste interdit. Non, il n’a jamais entendu parler de Mohammed Bin Hammam, l’homme qui a apporté la Coupe du monde 2022 au Qatar. Non, ce nom ne figure pas dans le registre. “Essayez la fédération qatarie de football.

Locaux épurés et voitures de luxe

À Doha, partir à la chasse de l’homme le plus recherché de la planète football n’est pas une mince affaire. Le dossier Bin Hammam est un sujet sensible, brûlant même. Sous les 50 degrés de l’été qatari, nous nous dirigeons à pied, presque liquéfiés, vers la très stylisée Al Bidda Tower, l’autre tour du sport de la capitale. Haute de ses 215 m de verre incurvé, près de la corniche de Doha, elle est l’un des symboles de la ville. L’immeuble abrite la fédération qatarie de football et surtout le Comité suprême pour la Coupe du monde 2022. Sur le parking, des Qataris en longue robe blanche traditionnelle rentrent dans des voitures de luxe climatisées. Pas de doute, nous sommes au bon endroit.

Changement de décor, changement de stratégie. À la réception, nous demandons Najeeb Chirakal, le bras droit, l’indispensable assistant de M. Bin Hammam, qui filtre tous les entretiens avec le Monsieur Foot du Qatar. Première victoire : l’obtention d’un badge et un accès au siège de la fédération qatarie de football, dont M. Bin Hammam a assuré la présidence de 1992 à 1996.

Au 36e étage, les portes de la fédération s’ouvrent sur des locaux blancs et épurés, impressionnants pour un pays qui émerge difficilement à la 95e place du classement Fifa. Dans des cadres en verre, des maillots signés, ceux du Brésil ou de l’équipe d’Espagne victorieuse de la Coupe du monde 2010, ornent les murs. Pendant la pause-déjeuner, nous dénichons un salarié zélé, assis dans un bureau confortable avec vue sur la baie de Doha. Il s’étonne avec un sourire : “Najeeb ? Mais il ne travaille plus ici depuis des années !”

“Je ne sais pas où est Bin Hammam, je sais juste qu’il est sur Twitter”

À Doha, le fidèle Najeeb Chirakal et Mohammed Bin Hammam sont comme des fantômes dans la ville. “Je ne sais pas où est Bin Hammam. Je sais juste qu’il est sur Twitter, après… Oui, il doit sûrement être au Qatar”, confie sous anonymat un employé du Centre international pour la sécurité dans le sport (ICSS) de Doha.

Depuis son éviction de la Fifa en 2012 pour des faits de corruption, M. Bin Hammam, jadis éminence grise du palais, est devenu un véritable paria au Qatar. Un nom tabou pour l’émir, qui dément toute association avec le sulfureux Qatari, de peur de perdre “sa” Coupe du monde. “Pas de questions sur Bin Hammam”, prévient d’emblée Ilija Trojanovic, attaché de presse au Comité suprême pour la Coupe du monde 2022, dans un café de Doha.

À l’usine de Bin Hammam

Le monde du football restant un univers fermé et opaque, nous tentons notre chance auprès de Kemco, l’entreprise de construction de M. Bin Hammam, qui pèse plusieurs milliards de dollars. Pour se rendre à l’usine, située dans l’agglomération de Doha, il faut sortir de la ville et s’éloigner des nombreux chantiers de stades, d’hôtels et de métro qui constituent aujourd’hui la capitale du Qatar, en marche vers son rêve de 2022 et sa “vision nationale pour 2030”. Slalomer entre les déviations, les routes barrées et les travailleurs étrangers, indiens, népalais ou kenyans, qui construisent le Qatar de demain, et parfois meurent, sous la chaleur.

Derrière une station-service, au bout d’un chemin de terre cahoteux, se dresse enfin l’usine de Kemco. Étrange pour une entreprise qui brasse des milliards, la société n’est pas signalée, pas plus qu’il n’y a de nom ou de logo sur le portail. Les ouvriers, tous étrangers (comme 90 % des travailleurs au Qatar), dorment sur place, dans un camp installé à même le site. Un gérant indien, chaleureux, nous reçoit et explique que M. Bin Hammam est absent. Sur un bout de papier, il indique l’adresse des bureaux du centre-ville, à côté du “signal fou” et du “centre de police”. Tout un symbole.

“Ici, c’est Kemco, on ne parle pas de sport”

Bin Hammam ()

© Robert Schmidt
A Doha, le 4x4 Lexus de Mohammed Bin Hammam, sur le parking du siège de Kemco, son entreprise de construction qatarie.

L’immeuble de Kemco à Doha est tout aussi discret. Situé derrière l’immense bâtiment noir de Qatar Petroleum, il n’a pas de signe ostensible extérieur. Dans la cour, une seule voiture est garée. Un 4x4 de luxe blanc, de la marque Lexus, sous un panneau “Mohammed Bin Hammam Al Abdulla”. Le patron est au bureau…

Au 3e étage, les portes de l’ascenseur s’ouvrent sur le secrétaire de Kemco, irrité de la présence de deux journalistes. “M. Bin Hammam est en meeting tout l’après-midi”, défend l’employé, barrant le passage vers une salle de réunion. À quelques mètres seulement du but et de l’homme le plus recherché de la planète foot, qui refuse encore toute interview, nous insistons et rappelons nos demandes répétées de rendez-vous, par téléphone et par mail, restées sans réponse. L’employé s’absente, puis revient après avoir parlé à M. Bin Hammam, en personne. “Ici, c’est Kemco. On ne parle pas de sport. Sa secrétaire va vous contacter.” Une heure plus tard, le 4x4 de M. Bin Hammam a déjà déserté le parking. Nous attendons toujours son appel.

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