Un député lyonnais réhabilite un impôt juste

Pierre-Alain Muet, expert fiscal au PS, sort deux ouvrages dans lesquels il plaide pour une plus grande justice sociale. Il propose la suppression du bouclier fiscal, le maintien de l'ISF et la fusion entre la CSG et l'impôt sur le revenu. Résumé de ses propositions.

C'est la quadrature du cercle pour François Fillon. Assainir les finances de l'Etat sans casser la reprise. Alors que la dette nationale s'élève à 77,6% du PIB et le déficit à 7,5%, le gouvernement vient d'annoncer le gel de la dépense publique pendant trois ans et une coupe de 5 milliards d'euros dans les niches fiscales. La réforme fiscale revient du même coup au coeur des débats. Plus que jamais, le bouclier fiscal est au coeur du cyclone. Même certains élus de droite (notamment Alain Juppé) demandent son abrogation et la remise à plat de nos prélèvements. Conjonction de calendrier : le PS, emmené par Pierre Moscovici, a lancé une réflexion sur son nouveau modèle économique. Les militants sont appelés à se prononcer sur cette nouvelle ligne le 20 mai prochain.

C'est dans ce contexte que Pierre-Alain Muet sort deux livrets "une fiscalité au service d'une croissance durable" et "un impôt citoyen pour une société plus juste". Le timing est parfait. Le député du Rhône, conseiller de Lionel Jospin jusqu'en 2001, passe depuis la nomination de Didier Miguaud à la tête de la Cour des Comptes comme l'un des spécialistes de la question au PS. Il a inspiré les travaux de la commission Moscovici. Bien que colorés et de format poche, ces deux ouvrages ne constituent pas franchement une littérature de vacances. La démonstration est académique. Sur le fond, Muet se livre à une attaque en règle de la politique économique de Nicolas Sarkozy, coupable d’injustice sociale, de prodigalité budgétaire et d’inefficacité économique. Rien de bien nouveau de ce côté-là. En revanche, ses propositions intéressent, qui dessinent un programme économique de gauche, lequel assume un niveau de fiscalité élevé. "Il ne faut pas exclure une augmentation des impôts et engager une maîtrise des dépenses de l'Etat. La gauche sait faire", indique-t-il.

Une charge contre la politique fiscale de Sarkozy

D’abord le contexte. Muet est pessimiste. Il cite la Cour des comptes qui table sur un déficit compris entre 7% et 8% du PIB et une dette atteignant 2000 milliards d'euros en 2013. "Le plus probable est que l'on ait, d'ici 2012, tout à la fois, l'austérité, la hausse des impôts et la persistance des déficits", pronostique le député du Rhône. Certains invoqueront la crise pour expliquer la dérive des finances publiques. Pas lui : le dérapage est antérieur. Si la France et l'Allemagne avaient des déficits comparables en 2005 (respectivement 3 et 3,4%), nos voisins ont su le ramener à zéro avant la crise tandis que le nôtre dérivait à 3,4%. Une dérive causée par le paquet fiscal adopté par Nicolas Sarkozy. Parmi celui-ci, le bouclier fiscal est le plus décrié, mais pas le plus cher : 600 millions d'euros contre 4,1 milliards pour la défiscalisation des heures supplémentaires.

En finir avec le bouclier fiscal et nombre de niches

Evidemment le bouclier fiscal est dans son collimateur. Mais aussi nombre des 486 niches fiscales. La combinaison des deux permet aux plus riches de réaliser des prouesses de défiscalisation, des tours de passe-passe à couper le souffle au Fisc. C’est ainsi que "parmi les contribuables qui disposaient en 2008 de plus de 15 millions de patrimoine, 36 déclaraient un revenu inférieur à mille euros par mois". Jack-pot : non seulement ceux-là ne paient pas d'impôt sur le revenu - merci aux niches -, mais ils touchent un chèque du Trésor Public pour leur rembourser leur ISF versé - merci au bouclier. Le chèque moyen remis aux contribuables est de 374 000 euros, ce qui en dit long sur la situation financière des bénéficiaires. Ne parlez pas à Muet de l'exil fiscal. Selon lui, ce phénomène est "marginal", ne se traduisant par un manque à gagner pour l'Etat de 15 millions d'euros."La suppression du bouclier fiscal est un préalable à toute réforme de la fiscalité des revenus", assène le député. D'autant que si les impôts devaient augmenter pour rétablir les comptes publics, ce seraient les plus riches qui en seraient exonérés grâce au bouclier.

Garder une imposition sur le patrimoine

Muet refuse le deal proposé par certains élus de droite et de gauche qui consisterait à supprimer de concert le bouclier fiscal et l’ISF et d'instaurer en contrepartie de nouvelles tranches supérieures à l’impôt sur le revenu. "Cela reviendrait à taxer un peu plus le travail", invoque-t-il. "Les inégalités de patrimoine sont presque dix fois plus élevées que les inégalités de revenu", rappelle-t-il. Or Muet pointe une montée des inégalités. D'où l'impératif selon la gauche de taxer le patrimoine. "C'est aussi une façon d'empêcher cet argent de dormir, de le rentabiliser", objecte-t-il. Objectif : faire rentrer cet argent qui dort dans l'économie, par des investissements de particulier ou, à défaut, par la redistribution au profit de personnes qui consomment.

Fusionner impôt sur le revenu et CSG

Un constat : l'impôt sur le revenu et la CSG totalisent 7,4% du PIB en France en 2004, contre 9,1% dans l'Europe des quinze. "Surtout le poids de l'impôt progressif (sur le revenu) y est beaucoup plus faible que celui de l'impôt proportionnel (la CSG)", relève-t-il. "La tendance, notamment sous les gouvernements de droite a été en effet de réduire la composante progressive de l'impôt alors que la CSG a eu au contraire tendance à croître de façon continue les finances sociales", note le député du Rhône. D'où sa proposition de fusionner impôt sur le revenu et la CSG, qui permettrait de retenir, selon lui, le "meilleur" de chaque impôt : la progressivité de l'impôt sur le revenu, et l'assiette universelle de la CSG. Cet impôt serait prélevé à la source. Ces propositions figurent en bonne place dans le projet socialiste qui sera avalisé par les militants.Nul doute que cette évolution, si elle n'est pas concomitante avec un maintien en l'état des taux, conduirait à un alourdissement de la fiscalité sur les ménages.

Pour une taxe carbone sociale

Dans la grande réforme que préconise Muet, la fiscalité écologique tient une place de choix. Objectif : redonner un prix à des ressources auxquelles le marché n'en attribue pas. Comme Pierre Moscovici, il prône une taxe carbone, pudiquement rebaptisée "contribution climat énergie", fixée à 32 euros la tonne de CO2, comme le proposait le rapport Rocard. Ni l’électricité, ni les industriels n’en seraient exonérés, contrairement à la version gouvernementale finalement abandonnée. Pour rendre la pilule plus acceptable par l'opinion publique, il suggère qu'une compensation soit reversée aux ménages selon un barème inversement proportionnelle à leur revenu. Pour le Lyonnais, cet impôt, loin de pénaliser les entreprises, constitue pour elles un facteur de compétitivité à long terme. "Autant un choc brutal de prix peut avoir des effets négatifs sur la profitabilité et la compétitivité, autant une hausse régulière qui incite à l'innovation a des effets favorables sur la croissance", estime-t-il. Muet propose de taxer les produits importés ne respectant des normes environnementales et sociales - un système dit d'"écluses". Il se défend de promouvoir du "protectionnisme" mais y voit une "incitation à une mondialisation responsable". Au passage, le député s'élève contre la détaxation du kérosène depuis la convention de Chicago de 1928. Sans elle, "on ne trouverait plus des fruits produits à l'autre bout du monde à un prix à peine plus élevé que ceux produits dans nos régions".

Moduler l'impôt sur les sociétés

Pour Muet, la baisse de la fiscalité sur les entreprises n'est pas une priorité. Il estime que la qualité de la main d'oeuvre et des infrastructures apparaissent autrement plus déterminant pour attirer les entreprises sur le territoire national que le poids de l'impôt. Ses axes de réforme visent à favoriser l'emploi et l'investissement au détriment des actionnaires et de formes de précarités salariales. Muet propose de moduler l'impôt sur les sociétés, selon qu'elles distribuent leur bénéfice ou qu'elles investissent. Il avance aussi l'idée d'une taxe supplementaire de 10% pour les établissements bancaires "qui doivent leur santé retrouvée à des injections sans précédent de capitaux publics".

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