Cahiers de doléances : “Il faut arrêter avec le mythe de la métropole”

Président de l'Association des maires ruraux de France, basée à Lyon, Vanik Berberian attend beaucoup de la grande consultation lancée par le Gouvernement après le mouvement des Gilets jaunes, mais “s'attend au pire” en cas d'échec. Entretien.

Lyon Capitale : Dans la consultation lancée partout en France, quels sont les sujets qui émergent ? Y a-t-il des revendications sur l’inégalité entre le rural et l’urbain ? 

Vanik Berberian : Ce qui s’exprime, ce n'est pas spécifique aux territoires ruraux. Le premier sujet qui revient, c'est la question du pouvoir d’achat, laquelle se pose autant dans les territoires ruraux qu'urbains. On peut plutôt parler d’un clivage riches/pauvres. Le deuxième sujet, c'est celui de l'injustice sociale, qui est insupportable. Il y a des gens qui triment sans s’en sortir et d'autres qui vivent dans un confort réel. Le troisième, c'est la question des services publics qui disparaissent de plus en plus. Là encore, que l'on soit en ville ou à la campagne, l'accès aux médecins se pose de la même façon. Ma traduction, c'est que ce qui est remis en cause, c'est un mode de développement qui concentre tout vers les pôles urbains. C’est une surenchère stupide qui fait que les villes sont en concurrence les unes par rapport aux autres. Ça coûte très cher et ça assèche les territoires. On nous a bassinés avec les histoires de ruissellement et on se rend compte que ça ne ruisselle pas. Ce n’est que de la transpiration pour les territoires ruraux, rien d'autre.

On voit aussi qu’il y a un mode de construction – le centre commercial, les magasins qui quittent le centre-ville pour la périphérie – des villes moyennes, des préfectures rurales ou des sous-préfectures, qui arrive à bout de souffle...

Quand on parle de désertification des centres-ville, ce n’est pas qu’une responsabilité d’urbanistes. Oui, il y a eu des permis de construire accordés, mais c’est aussi un mode de vie qui a muté. Il y a eu une volonté de répondre à cette mutation sociétale en créant de l’attractivité vis-à-vis des communes autour. Mais, dans cette dynamique, je crois qu’il faudrait revoir l’idée qui consiste à dire que plus vous avez d'habitants mieux vous êtes. Cette vision déformée a conduit aux problèmes que l'on connaît aujourd'hui parce que cette densification a engendré un coût urbain et humain. Il faut arrêter avec le mythe de la métropole de taille européenne. Tout ça est très relatif. Mon village compte 350 habitants [il s'agit de Gargilesse-Dampierre, dans l'Indre, NdlR], j'ai conscience qu'il ne représente pas grand-chose. Si je me compare à Châteauroux, je suis un nain. Mais Châteauroux est un nain à côté de Lyon. Lyon est un nain à côté de Paris et Paris un nain à côté de Pékin. Faire des comparaisons n’a pas de sens. La seule question est celle du type d’aménagement du territoire que l'on veut. Va-t-on continuer cette surenchère ? J’aimerais que la Cour des comptes se penche sur le coût de la surpopulation en termes de santé, d’infrastructures, etc. Je pense que la question de la transition énergétique va peut-être nous obliger à changer la donne. C'est ce que j'ai dit au président de la République quand je l'ai rencontré en décembre. Il faut faire plus dans le local, dans la simplicité, la sobriété, la complémentarité et dans la cohésion des territoires. Il y a un ministère qui porte ce nom, d’ailleurs, ce qui montre bien qu'il y a une fracture des territoires. Mais il faut aussi le dire, si les gens sont dans la rue, ce n'est pas à cause d’un an et demi de “macronisme”, mais de trente ans de fracture territoriale et sociale. À cela s'est ajoutée une fracture de la parole politique.

C’est un terme qui a structuré la pensée politique, puis qui est devenu désuet, mais s’agit-il d’un retour d'une lutte des classes ?

Je ne sais pas, mais j’ai regardé les cahiers de doléances de 1789 dans ma commune. À l’époque, le sujet principal était le même qu’aujourd’hui : les taxes. Les gens les trouvaient trop élevées et inégalement réparties entre les ordres. Cependant, ils disaient : “On sait que le roi aime ses sujets.” D'une certaine manière, ils n'en voulaient pas au roi, mais souhaitaient seulement un peu plus de justice. Quand j'ai raconté ça à Emmanuel Macron, il m'a répondu : “J’espère que je ne finirai pas pareil.”

Quand vous êtes venu sur le plateau de Lyon Capitale, avant l’élection présidentielle de 2017, vous demandiez de la “considération pour le rural”. Le compte y est-il aujourd’hui ?

Nous, maires ruraux, nous ne sommes pas surpris du tout par ce qui est en train de se passer. Cela fait quinze ans qu'on dit : “Intéressez-vous au territoire, sinon ça va vous péter à la gueule.” Ça m'impressionne toujours que le politique soit aussi éloigné de la réalité. Il y a un gap tel que l'on ne se comprend plus. Lors de la deuxième semaine des Gilets jaunes, les associations ont été réunies à Matignon avec comme sujet l'organisation de la loi sur la transition énergétique pour les trois prochains mois, alors que la transition énergétique n'était pas du tout le sujet de la mobilisation. Ils n'y étaient absolument pas.

Aujourd’hui, il y a ce grand débat. Vous en attendez quoi ?

Je pense que ce grand débat est indispensable et on a tous intérêt à ce qu'il aboutisse. Si ce n’est pas le cas, je ne sais pas ce qu'il y aura après. La guerre civile ou je ne sais pas quoi. S'il n'y a pas de réponse concrète, on se dirige à nouveau vers des périodes de tensions.

Il y a eu quelques réponses apportées par le Gouvernement en décembre : augmentation de la prime d’activité, report de la hausse des taxes, heures supplémentaires défiscalisées. Ce n'est pas suffisant ?

Pour le moment, les réponses ne sont pas à la hauteur des enjeux. Il faut changer de paradigme. Le problème n’est pas politique mais sociétal. J'attends de voir ce qu'il va se passer et je reste optimiste. Mais, pour ça, il faut que le débat soit une réussite. Si la seule réponse, c’est de dire “Je vous ai compris, mais on ne change pas”, ça ne marchera pas.

Vous parlez de “complexe du plouc” pour évoquer la dépendance intellectuelle du rural par rapport à l’urbain. Qu’entendez-vous par là ?

Nous sommes les premiers responsables de ce complexe, parce que l’on a tous collectivement pensé que la modernité s'incarnait dans la métropolisation et que, lorsque l'on est dans un village, on est un plouc parce que la métropolisation, c'est le sens de l’histoire. Ce qui est en partie vrai, parce que ça arrive dans d'autres pays. Dans ma région, on a connu un programme d’aménagement de centre-bourg. Tous les villages ont procédé à des aménagements urbains identiques. Que l’on soit chez nous dans l’Indre ou ailleurs en France, on a assisté à cette uniformisation. C’est peut-être une paresse d’architecte, mais c’est aussi le fait que le maire n'est pas maire parce qu'il est diplômé en bon goût. Le maire n'est pas maire de cailloux, mais de citoyens. Il veut rendre attractive sa commune en faisant venir des habitants parce que c’est un gage de dynamisme. Et, pour être attractif, il faut être moderne et ressembler à la ville. On parle d'ailleurs de mobilier urbain et pas de mobilier rural – d'ailleurs ce terme n'existe pas. Je pense que c’est aussi ça qu'il va falloir changer.

On voit quand même que les maires ruraux se découragent. Parmi les 1 021 maires qui ont abandonné leur mandat en exercice depuis quatre ans, 887 venaient de communes rurales.

C'est un chiffre important, qui progresse d'élection en élection. Avant, les maires allaient jusqu'au bout et ne claquaient pas la porte en milieu de mandat. Là, c'est assez inédit. Les raisons, il y en a plein. Il y a notamment l'intercommunalité qui a été dévoyée de son sens. Une intercommunalité, ce n'est pas là pour remplacer la commune. Les maires qui se font engueuler par les habitants sans avoir les moyens d'apporter des réponses disent stop. Cela fait trente ans que je suis maire et trente ans que je me bats pour conserver des services publics. S'ils s'en vont, c'est que les gens sont partis. Donc on se bat contre une conséquence. Quand on parle de ruralité, l'image que l’on en a, c'est celle de gens qui passent leur temps à se plaindre. C'est vrai, mais ce n'est pas que ça. Malgré toutes nos difficultés, il se passe plein de choses dans nos territoires.

En plus des intercommunalités, on a vu arriver beaucoup de fusions de communes (200 au 1er janvier 2019) en France. Est-ce la solution ?

Tout dépend de la motivation qui a engendré la création de la nouvelle commune. Cela peut être une bonne chose, mais il faut qu'il y ait un avis de la population en ce sens. S’il y a création d'une commune nouvelle parce que trois ou quatre maires se sont entendus pour que le maire de la ville chef-lieu devienne le calife à la place des autres, ce n'est pas la bonne motivation. Mais, si la fusion est due à la suite logique de l'imbrication de la vie de deux communes, alors c'est normal. Il ne faut pas oublier qu’une commune nouvelle, c'est la disparition de communes anciennes. On crée parfois une nouvelle entité à la place de plusieurs centaines d’années d'histoire. Il y a donc une dimension historique dans la création d'une commune nouvelle. Donc, quel est le niveau démocratique le plus pertinent pour faire ce choix ? Le citoyen, et non le maire ou le préfet.

Les communes ont aussi fait ce choix pour des raisons budgétaires...

L'État, qui a envie de ne s’adresser qu’à une seule tête, abonde les financements en disant : “Si vous faites une commune nouvelle, on va vous aider trois ans de plus.” Mais sincèrement, à l’échelle du temps, c'est minable et méprisant pour les citoyens. On ne considère pas assez la géographie. Notamment dans la réorganisation territoriale. Plutôt que des énarques, il faudrait associer des géographes, des historiens, des sociologues, des artistes, des médecins, des agriculteurs... Des gens de la vie de tous les jours.

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