Le Grand Bazar de Lyon vers 1908 © Musée Gadagne

Histoire & patrimoine : Naissance des grands magasins lyonnais

Rien ne nous paraît plus naturel que de flâner dans les rayons des grands magasins pour choisir nos articles, voire les rendre s’ils ne conviennent pas. Une manière de consommer, aujourd’hui d’une grande banalité, qui est apparue avec l’avènement des grands magasins au XIXe siècle révolutionnant alors les règles du commerce. Dans le sillage de Paris, Lyon se dote dès 1857 de ce type d’enseignes et embrasse ce nouveau mode de consommation.

Émergence des grands magasins au XIXe siècle 

Ancêtres de nos centres commerciaux et galeries marchandes, les grands magasins apparaissent au milieu du XIXe siècle. Paris est alors l’épicentre de ce phénomène.

C’est, en effet, dans la capitale, qu’Aristide Boucicaut, un ancien commis chapelier devenu chef de rayon, sans emploi, lance en 1852 le premier grand magasin au monde. Il s’associe aux frères Videau, qui possèdent une petite mercerie Au Bon Marché, à l’angle de la rue de Sèvres et de la rue du Bac, et la transforme en un vaste magasin moderne.

Le magasin, devenu Le Bon Marché en 1984, existe toujours. Ne cessant de s’étendre, il prend son apparence actuelle en 1905. La bonne fortune de Boucicaut fait rapidement des émules : le Louvre ouvre à Paris en 1855, suivi du Bazar de l’Hôtel de Ville en 1856, Le Printemps en 1865, La Samaritaine en 1869. Au tournant du siècle, les Galeries Lafayette, créées en 1893, connaissent un essor spectaculaire.

Cette petite révolution du commerce s’exporte à l’étranger : Macy’s ouvre à New York en 1896 tandis que l’Américain Harry Gordon Selfridge, venu chercher l’inspiration au Bon Marché, lance son enseigne à Londres en 1909.

Publicité pour les Grands Magasins des Cordeliers © Musée Gadagne

L’invention du shopping moderne

Le grand magasin, “temple élevé à la folie dépensière de la mode”, selon Zola, s’enracine dans le Paris haussmannien du Second Empire. Échoppes et ruelles cèdent le pas aux grands boulevards, le train révolutionne les moyens de transport tandis que la révolution industrielle entraîne une production de masse de nouvelles marchandises.

Dans cette effervescence économique et cette profonde transformation sociétale, les grands magasins viennent révolutionner le commerce traditionnel et fondent les bases de la nouvelle société de consommation. Émile Zola, qui s’est essentiellement documenté au Bon Marché, décrit extrêmement bien ces changements dans Au bonheur des dames qui, plus récemment, a inspiré la série télévisée The Paradise.

Le grand magasin parisien Au Bon Marché achevé en 1887. Gravure

L’architecture monumentale des grands magasins hypnotise, les offres de produits sont théâtralisées. Le client ne demande plus à voir les articles, comme dans les anciennes boutiques spécialisées, le grand magasin dorénavant les expose et devient un lieu de divertissement.

Cette “cathédrale du commerce moderne” pose les jalons d’un nouveau modèle économique : la satisfaction du client prime tandis que les marges bénéficiaires se font sur le volume, nécessitant une rotation des stocks (et donc des capitaux) rapide.

Quant aux méthodes de vente, c’est du jamais-vu : l’entrée est libre, sans obligation d’achat, les prix sont fixes et affichés, faisant disparaître le marchandage. Les soldes, les rendus, les envois d’échantillons, la vente par correspondance, la livraison à domicile se développent tout comme la publicité. Le shopping moderne est né !


Le passage de l’Hôtel-Dieu au début du XXe siècle © BM de Lyon

Les grands magasins, héritiers des passages couverts, grands bazars et magasins de nouveautés

Un commerce concentré émerge dès la première moitié du XIXe siècle. Inspirés des galeries du Palais-Royal, ce sont d’abord les passages couverts qui fleurissent sous la Restauration et la monarchie de Juillet (1830-1848), comme les galeries Vivienne, Colbert, d’Orléans, respectivement créées en 1823, 1826 et 1830 ou le passage Jouffroy en 1847.

Ces passages piétonniers, dotés d’un éclairage zénithal, permettent aux élégantes de ne pas se “crotter” les pieds, tout en se protégeant des miasmes et du vacarme de la ville. Si Paris en compte encore plus de 150 en 1870, leur déclin a déjà largement commencé, les larges avenues de Haussmann et les grands magasins leur ôtant leur raison d’être.

Entre 1820 et 1850 naissent également dans la Ville Lumière une quinzaine de grands bazars, comme le Bazar français, le Grand Bazar de Paris ou le Bazar des Ménages vendant une multitude d’ustensiles à destination de la ménagère.

Autre transformation, les magasins de nouveautés, passant de 300 en 1830 à 1 346 en 1862, se multiplient à partir des années 1930.

Forme concentrée et modernisée du commerce, ils vendent principalement des tissus et des articles de Paris (châles, chapeaux, gants, bas, rubans, dentelles, etc.). La continuité entre le magasin de nouveautés et le grand magasin est évidente, seul le changement d’échelle radical les différencie.

Pour preuve, Au Bon Marché compte en 1852 douze employés, quatre rayons et un chiffre d’affaires de 450 000 francs. En 1882-83, ce sont 2 370 employés, 36 rayons et 100 millions de chiffre d’affaires. L’expansion des Galeries Lafayette est encore plus prodigieuse.

En 1899, six ans après sa création, le magasin compte seulement neuf rayons. À la veille de la Grande Guerre, en 1913, ce sont 108 rayons qui proposent aussi bien soieries, parfums que meubles, tapis, porcelaines, papeterie, etc. On assiste à un élargissement sans précédent de la clientèle qui, auparavant constituée de classes supérieures, s’étend aux classes moyennes.

Source : “Les grands magasins et la modernisation du commerce de détail en France au XIXe siècle”, Jean-Claude Daumas


Le saviez-vous ?

Le célèbre café parisien Les Deux Magots, fréquenté entre autres par Apollinaire, Hemingway ou Sartre, était, à l’origine, un magasin de nouveautés. Il laisse sa place à un café en 1884 et tire son nom de deux statuettes asiatiques, des “magots”, toujours installées sur le pilier central du café, souvenirs du magasin de nouveautés.


Le passage de l’Hôtel-Dieu au début du XXe siècle © BM de Lyon

Le passage disparu de l’Hôtel-Dieu

En 1838, l’Hôtel-Dieu se dote également d’un passage, dessiné dès 1828 par l’architecte des hospices, Dubuisson de Christot.

Le passage de l’Hôtel-Dieu au début du XXe siècle © BM de Lyon

Cette galerie couverte vient remplacer un ancien abattoir, déplacé vers Perrache. Une verrière couvre le passage haut de 15 mètres comprenant deux rangées de magasins. Il abritait notamment de nombreuses bijouteries et fut détruit en 1959.


Le passage de l’Argue

Construit entre 1825 et 1828, c’est l’un des plus anciens passages en province, reliant les rues de Brest et de la République.

Galerie de l’Argue en 1828 © Musée Gadagne

Coupé en deux par le percement de la rue Édouard-Herriot, en 1860, et doté de deux nouvelles entrées, il conserve malgré tout son authenticité. Son nom fait référence à un outil à filer l’or et l’argent à destination des tissus précieux et que l’on pouvait trouver autrefois dans une boutique à cet emplacement.

© Nadège Druzkowski

Le saviez-vous ?

Grands travaux d’urbanisme et nouveau visage de la Presqu’île

Tout comme les travaux d’urbanisme de Haussmann apportent aux grands magasins parisiens l’espace nécessaire à leur épanouissement, les grands travaux entrepris par le préfet Vaïsse à Lyon sous le Second Empire favorisent l’éclosion des grands magasins lyonnais.

Par son ampleur, le percement en 1858 de la rue Impériale (actuelle rue de la République) afin de relier l’hôtel de ville à Bellecour transforme profondément la Presqu’île. Pas moins de 270 maisons sont abattues, entraînant de nouveaux projets dans les rues annexes, comme l’ouverture de la rue de l’Impératrice (actuelle rue Édouard-Herriot) en 1860.

D’élégants immeubles s’élèvent rue Impériale, ainsi que le palais du Commerce, inauguré en 1860. De belles enseignes s’y installent rapidement et les premiers grands magasins lyonnais ouvrent leurs portes.


L’essor de la publicité

La publicité – annonces dans les journaux, affiches, envoi de prospectus, catalogues et échantillons – joue un rôle essentiel dans l’expansion des grands magasins promouvant l’image du commerce, les produits vendus mais aussi le style de vie véhiculé par ces nouvelles enseignes.

Les grands magasins font ainsi appel à des artistes de renom comme Alfons Mucha qui réalise vers 1901 des cartes postales publicitaires pour les magasins de La Belle Jardinière, à Paris, Lyon, Angers et Marseille.

Affiche de Firmin Bouisset © BM Lyon

L’illustrateur et affichiste Firmin Bouisset, connu notamment grâce à ses affiches pour la chocolaterie Menier et le petit écolier de la marque Lu, conçoit pour les Grands Magasins des Cordeliers une affiche, à l’occasion des fêtes de fin d’année, mettant en scène un bel Arlequin orangé sur fond vert.


Le Grand Bazar de Lyon

Près des Cordeliers, le Grand Bazar de Lyon fut un temps l’un des commerces les plus importants de la ville.

Le Grand Bazar de Lyon vers 1900 © BM Lyon

En 1856, Jean Dabonneau décide de créer un grand magasin de nouveautés vendant des vêtements pour enfants et adultes, des tissus, de la mercerie. Un premier magasin naît à cet emplacement sous le nom À la ville de Lyon.

Projet d’agrandissement du Grand Bazar © BM de Lyon

Il ouvre en 1857. Une concurrence féroce s’engage avec Aux deux passages bien qu’À la ville de Lyon vise une clientèle plus populaire. Ce dernier ferme ses portes en 1885. Henri Perrot rachète le bâtiment et ouvre en 1886 le Grand Bazar, visant là cette fois une clientèle populaire.

Dès 1906, le magasin lance les livraisons à domicile par automobile. Le commerce s’agrandit rue Tupin, un nouvel étage est ajouté en 1912 puis à nouveau en 1926.

Jusqu’en 1933, année de son apogée, le Grand Bazar tient le devant de la scène commerciale lyonnaise et recourt systématiquement à la publicité. Son activité déclinant, l’échoppe abandonne ses comptoirs de l’îlot et se concentre sur son emplacement d’origine.

Dans les années 1950, le Grand Bazar est affilié à la chaîne de magasins Prisunic, puis racheté en 1997 par Monoprix.

En 2005, le bâtiment historique est entièrement détruit, remplacé par un nouvel édifice tout en verre, conçu par l’architecte Jean-Pierre Buffi.

© Nadège Druzkowski

Dessin de Girane © Musée Gadagne

Grands magasins Sineux puis Grands Magasins des Cordeliers puis Galeries Lafayette

En 1890, le quartier Grôlée est entièrement réaménagé et doté d’immeubles à l’architecture haussmannienne, avec de grands balcons filants. Les grands magasins E. Sineux et Cie s’installent en 1895, place des Cordeliers dans l’immeuble construit par Prosper Perrin.

© Nadège Druzkowski

Rebaptisés Grands Magasins des Cordeliers en 1899, ils sont repris par les Galeries Lafayette en 1919 et considérablement agrandis en 1924-25. L’architecte Georges Trévoux dote le bâtiment de deux étages supplémentaires et fait appel à plusieurs sculpteurs pour les décorer. Les masques de femme, typiquement Art déco, sont signés Jean-Louis Chorel.


Aux deux passages

Visant une clientèle bourgeoise, l’enseigne Aux deux passages (actuel magasin Le Printemps) est fondée en 1857 par l’homme d’affaires Henri Perrot.

© BM de Lyon

Il installe son magasin au 36, rue de la République avant de s’étendre à partir de 1871 aux numéros 34 et 38, trois immeubles construits lors de la percée de la rue Impériale.

Afin de donner une unité à ces trois immeubles, une marquise est installée en 1888 sur les façades de la rue de la République et sur celle en retour de la rue Thomassin. Une enseigne en fer forgé doré portant l’inscription “Aux deux passages” est mise en place au-dessus de chacune des entrées.

Maison des deux passages, milieu du XIXe siècle © Musée Gadagne

En 1898, le magasin, ayant annexé d’autres boutiques de l’îlot, rue Thomassin et passage de l’Argue, fait construire une passerelle en métal vitrée au-dessus de la rue Palais-Grillet afin de faciliter la circulation entre ses différents espaces de vente.

Escaliers du magasin Aux deux passages © BM de Lyon

En 1865, l’enseigne est rachetée par Le Printemps qui, en 1988, s’étend en cœur d’îlot et modifie profondément la distribution de ses espaces intérieurs. Une partie de la rue Palais-Grillet est annexée et les grands escaliers du XIXe siècle sont démolis.


La Belle Jardinière

L’enseigne La Belle-Jardinière est fondée en 1824 par Pierre Parissot, un marchand de tissus du faubourg Saint-Antoine, qui ouvre dans l’île de la Cité les magasins à prix fixe de La Belle Jardinière.

© BM de Lyon
© BM de Lyon

Devant le formidable succès du magasin parisien, plusieurs succursales sont créées, dont une à Lyon. Précédemment installée rue du Bât-d’Argent, La Belle Jardinière s’établit en 1900 au 62, rue de la République, à la place de l’ancien Grand Hôtel Collet.

© BM de Lyon

Son magasin de vêtements est bientôt réputé pour être l’un des mieux approvisionnés de la ville. L’enseigne déménage dans les années 1960 rue Longue avant de disparaître dans les années 1970. Le bâtiment est démoli et remplacé en 1968 par un immeuble moderne.

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