© Dan Aucante

Nawal Aït Benalla au festival Karavel : danser le pouvoir des femmes

Présentée au Festival Karavel, Sur tes épaules de Nawal Aït Benalla transforme les états de femmes soumises à des injonctions séculaires en une danse salvatrice ! Une pièce réalisée dans le cadre du programme Premier(s)pas créé par la compagnie La Baraka.

La Baraka…. entre création, transmission et générosité

Codirigée par Abou Lagraa et Nawal Aït Benalla, la compagnie lyonnaise La Baraka (qui vient de fêter ses 25 ans) est installée depuis 2018 à Annonay en Ardèche dans une Chapelle désacralisée où elle développe un formidable travail autour de la création, la transmission et la sensibilisation artistique. Elle accueille en résidence des artistes français et internationaux, se transformant en une importante plateforme de créations indispensable aux compagnies de danse.

"Assis mais toujours debout !" © Cie La Baraka

Des représentations publiques mais aussi de nombreux ateliers sont proposés aux habitants créant un véritable lien social sur le territoire : "Nous travaillons avec des jeunes de quartiers dit Nawal Aït Benalla, des personnes en situation de handicap, des mineurs non accompagnés d’Afrique subsaharienne, des personnes âgées, avec les lycées, les maternelles, les associations, on crée du lien mais aussi un lieu de vie qui est devenu un moyen de questionner la société, les droits des femmes, la liberté, justement par la pratique artistique et les discussions autour." Profondément engagés dans l’ouverture aux autres, refusant le terme d’acteurs culturels pour revendiquer celui d’acteurs sociaux, ils défendent l’idée de répondre à un besoin politique qui consiste - en réinvestissant un centre ancien un peu déserté, en remettant le corps dans une Chapelle désacralisée, en ouvrant le débat sur les danses - à réhumaniser un territoire fait de cultures multiples, où il est parfois difficile de communiquer. La Chapelle accueille ainsi chaque année 5 000 personnes, la ville d’Annonay comptant 17 000 habitants.

"Comme des artistes !" © Cie La Baraka

Premier(s)pas : un projet innovant pour accompagner les jeunes danseurs et chorégraphes dans la réalisation de leur métier

En 2019, la compagnie a lancé Premier(s)pas, un projet unique en Europe, essentiellement financé par du mécénat (Fondations Edmond de Rothschild, Caisse des Dépôts et Fonds Régnier pour la Création). L’objectif étant de donner à un jeune danseur et/ou un chorégraphe une formation en danse mais également tous les outils nécessaires à la création d’un projet, d’une compagnie et pour vivre de son métier. Coaching en communication, en entrepreneuriat et ateliers de sensibilisation des publics en sont les axes principaux. "Le chemin a été douloureux pour nous précise Abou Lagraa, on a tout appris sur le tas, on a voulu ce programme pour les aider afin qu’ils ne soient pas lâchés seuls dans la jungle du métier. Cette approche entrepreneuriale n’existe pas dans les écoles de danse, les conservatoires ni dans les centres chorégraphiques nationaux qui à mon avis ne répondent plus aux besoins actuels des artistes. Elle est totalement intégrée au projet artistique de la Chapelle que l’on développe de manière vertueuse, avec une petite équipe et une bonne gestion, d’ailleurs son modèle interpelle les financeurs institutionnels mais aussi des structures culturelles qui viennent nous voir pour l’étudier. On essaye de trouver un équilibre entre financement privé et public et depuis notre installation à la Chapelle, nous sommes la seule compagnie en France à obtenir, tous les ans, 100 000 euros de mécénat. C’est risqué mais c’est aussi le résultat d’une profonde conviction que l’on a sur le sens d’un travail que l’on veut poursuivre malgré les difficultés financières que rencontre la culture." Ainsi, "Premier(s)Pas saison 1" aboutit à la création en 2020 de deux spectacles mixtes chorégraphiés chacun par Abou et Nawal avec 8 interprètes au plateau. Lancé dans la foulée, "Premier(s)Pas saison 2" est un tremplin pour sept jeunes artistes femmes, danseuses et chorégraphes, choisies parmi 350 candidates, embarquées dans un contrat de 9 semaines avec Nawal Aït Benalla qui crée le spectacle Sur tes épaules. Les femmes sont encore peu nombreuses à la tête des compagnies de danse et des structures culturelles, elles sont surtout danseuses. Avec ce programme, il est aussi question de leur donner confiance pour qu’elles s’imposent et défendent leurs ambitions artistiques !

Sur tes épaules… le poids de nos mémoires, la métamorphose des corps

Si le questionnement de la place des femmes au sein de la société est en elle depuis très longtemps, Nawal Aït Benalla l’a expérimenté encore dans le partage d’expériences avec ces interprètes, leurs parcours et leurs cultures différentes. Révélant une fragilité intrinsèque où chacune reprend le pouvoir, non pas dans le sens de la domination masculine, mais dans la réappropriation et l’affirmation de ce qu’elles sont ou de ce qu’elles ont envie d’être.

© Dan Aucante

Vibrations, spirales, violence, douceur, soubresauts, enchevêtrements des corps, bassins qui aspirent ou rejettent, corps relâchés, qui se débarrassent ou enlacent, dessinent une écriture laissant échapper des fragments de soi qui constitueront une nouvelle identité. La chorégraphe explore une gestuelle provoquée par des mouvements d’épaules autour de ce que porte une femme sur ses épaules mais aussi par le poids qui fait plier, tressaillir, tomber ou se soulever tandis que le corps cherche à se libérer, témoigner des traces dont il est empreint, du poids des cultures, des religions, des injonctions accumulées. L’univers sonore qu’elle a conçu elle-même est surprenant et véritablement intéressant car il fait sens avec la danse. Superposant des strates sonores constituées de bruits du quotidien tels que aspirateur, micro-onde, balai avec des fragments de voix de grands airs d’opéra dont celle de La Callas, la musique – qui bascule avec les arrangements d’Olivier Innocenti dans un registre électronique – distille des sons transformés et inconnus qui pourtant réveillent notre mémoire. Ils évoquent des cris stridents de contestation, des chants traditionnels ou encore des états de transe mais surtout ils rendent extraordinairement visible l’univers mental de ces femmes en prise avec leur propre métamorphose. Cette cohérence dans la métamorphose danse/musique transforme la scène en un espace mouvant où l’impact des sons et la présence des corps est démultiplié, faisant jaillir les images d’une féminité enfouie qui se débat et revendique sa place au cœur d’un voyage intérieur que les danseuses portent avec intensité !


Sur tes épaules de Nawal Aït Benalla, le 15 octobre – Espace Albert Camus à Bron. Suivi d’une rencontre avec les chorégraphes autour du spectacle et du projet artistique de la Chapelle.

La pièce est précédée de la diffusion (en accès libre) du superbe documentaire de Laurent Aït Benalla, Ô mon corps réalisé dans le cadre d’un travail mené par La Baraka auprès de jeunes danseurs hip-hop à Alger, ayant abouti au spectacle Nya.

www.karavel.karavelkalypso.com


 

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