LES AMERTUMES

Debout, en face, Bernard-Marie Koltès l'observe de son sourire lumineux. Il murmure dans un bruissement d'ailes : "On meurt et on vit seul. La vie est une petite chose minuscule. C'est la chose la plus futile."
"Je suis aigri, peut-être..." répond Bruno Boeglin, après un long, si long silence. Les anges diaphanes s'évaporent et Boeglin se sent bien seul. Il marche en claudiquant, porté par sa canne, porté par sa douleur. Il grimace un instant et dans l'instant sa grimace devient un sourire malicieux.

Bruno Boeglin est un immense génie du théâtre, un poète naufragé dans une tempête qui n'en finit pas. Il a porté, le premier, Bernard-Marie Koltès au théâtre. C'était en 1977. Depuis, Bernard-Marie Koltès est joué sur les scènes du monde entier. Depuis, Bernard-Marie Koltès est mort. Il a aussi porté l'œuvre incendiaire de ce Koltès mort, Roberto Zucco, et cela fit scandale. C'était en 1991. La pièce fut interdite à Chambéry et défendue, comme avant on avait dû défendre Les paravents de Genet. Roberto Zucco est mort aussi, dans les ravages.

Bruno Boeglin s'assied. Souffrant, le dos courbé, il lance ses gestes dans le vide, là devant lui. Il ressemble à Pan Theodor Mundstock, ce petit juif sur le chemin de la mort. Ce petit juif qu'il avait incarné, bouleversant les spectateurs et les défunts, comme le voulait Genet. Le metteur en scène George Lavaudant dit de lui : "Bruno tient au creux de ses mains les dernières étincelles d'une pensée naïve, c'est-à-dire le contraire d'une pensée simpliste." Pourtant, les mains de Boeglin tremblent.

Le poète naufragé
Depuis 40 ans, il crée à Lyon des œuvres qui marquent l'histoire du théâtre et voguent dans le monde. L'Etat le finance. La ville et la Région lui font la grâce d'une aumône. Lyon se félicite toujours de son ingratitude à l'endroit de ses serviteurs.

Puisque les grands théâtres ne veulent plus de lui, "ils me pensent atypique et, frileux, pensent que je ne vais pas remplir leur salle", Boeglin va jouer, seul sur la scène, dans le petit théâtre de L'Elysée. Sa nouvelle création, Trop humain, est un monologue d'une heure. Une petite forme pour une grande histoire : Dieu, lassé des hommes et de leurs errements, décide de mettre un terme à leur existence. Il envoie son ange, Bruno Boeglin, pour accomplir cette mission...
"Je suis dans une mauvaise passe, mais je ne suis pas le seul à l'être.". Il ôte la casquette, dévoilant son crâne brisé par une cicatrice qui galope le long du cuir chevelu. Boeglin parle, commente, s'impatiente et joue déjà. Il est déjà sur la scène, avec de factices accents dramatiques et des saillies facétieuses. Quand d'aucuns l'ont enterré, Boeglin poursuit son chemin contre le vice du bien pensant et les infortunes. Et va être un ange flamboyant qui provoque le désordre dans le désordre. Et nous serons bouleversés encore. Koltès et Zucco aussi. Car les anges sont toujours surveillés par des démons bienveillants.

Trop humain librement adapté de l'œuvre de Donald Westlake par Bruno Boeglin. Du 2 au 27 à l'Elysée, 14 rue Basse Combalot, Lyon 7. 04 78 58 88 25.

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