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Un sénateur contre l'anonymat pour se faire un nom ?

Le sénateur divers droite de la Moselle, Jean-Louis Masson, entend supprimer l'anonymat des blogueurs. Entretien.

Texte « techniquement » inefficace, « allumé de première », « atteinte à la liberté d'expression »… Depuis le dépôt de sa proposition de loi le 3 mai, Jean-Louis Masson est sous le feu des critiques pour s'en être pris à l'anonymat des blogueurs. Le sénateur divers droite de la Moselle répond sur Rue89.

Des critiques dirigées contre l'article unique de cette proposition de loi qui prévoit d'appliquer aux blogueurs non professionnels les mêmes règles qu'aux éditeurs de sites professionnels, à savoir l'obligation d'indiquer nom et coordonnées pour être joints.

Puisque le dispositif existe également dans la presse écrite, il n'y a pas de raison qu'il ne s'applique pas non plus dans la blogosphère, argumente l'élu ex-RPR :

« Mon objectif est de faire en sorte qu'il y ait les mêmes obligations de clarté au niveau d'Internet. C'est d'autant plus important que, régulièrement, on a affaire à des gens qui se livrent à des propos diffamatoires, injurieux. De telles pratiques malveillantes sont quand même regrettables et doivent être sanctionnées. »

« Le parquet fait tout pour traîner »

La proposition a tout de même de quoi surprendre, car un dispositif juridique visant à sanctionner de telles pratiques existe déjà.

Si l'article 6 de la loi pour la confiance dans l'économie numérique prévoit que les non professionnels peuvent s'abstenir de communiquer leur nom et coordonnées « pour préserver leur anonymat », il oblige néanmoins leur hébergeur à les révéler « à la demande d'une autorité judiciaire ».

Insuffisant, rétorque Jean-Louis Masson. En raison, selon lui, de la lenteur du parquet :

« On est obligé de porter une plainte normale, et bien entendu ça n'intéresse absolument pas le parquet qui fait tout pour traîner. Il faut attendre trois mois pour être partie civile. Ensuite, le parquet continue de traîner pour faire les enquêtes. Au mieux, on peut arriver un an après à mettre en cause judiciairement l'auteur de propos diffamatoires. »

« Regardez M. Juppé, il tient son blog »

Cette proposition de loi « est une atteinte à la liberté d'expression », a fait savoir de son côté Jean Arthuis, le président centriste de la commission des finances du Sénat, loin de partager l'initiative de son collègue.

Comme nombre de blogueurs, qui ont signé une pétition pour s'y opposer, le célèbre avocat masqué Maître Eolas tient à son pseudonyme pour pouvoir écrire sur son métier, expliquait-il vendredi sur Rue89 :

« Si je n'étais pas anonyme, je n'écrirais pas différemment, mais je serais lu différemment. […] C'est aussi une garantie d'égalité : ce qui compte, c'est ce qu'on dit, pas qui on est. Mon métier et mon blog sont deux choses séparées. Sur mon blog, je ne vais pas à la pêche aux clients, je ne parle pas des affaires que je plaide. »

Mais lorsqu'on l'accuse de vouloir brider la liberté d'expression, le sénateur divers droite s'offusque :

« Regardez M. Juppé, il tient son blog et dit : “Alain Juppé, moi, je dis que…” C'est comme si vous me disiez : “Il faut autoriser la publication de journaux anonymes ou tracts anonymes parce que sinon ça gêne les gens.” […] Moi, je dis : la liberté des uns s'arrête où commence celle des autres. »

« Vous cherchez les difficultés d'application »

« Une telle loi ne pourrait empêcher (car techniquement impossible) des personnes malintentionnées de s'exprimer en tout anonymat si elles veulent s'en donner les moyens », poursuit Jean Arthuis, dans son communiqué. D'autant que le nombre de blogs n'a rien à voir avec celui de sites professionnels ou de journaux.

Application impossible ? Méconnaissance d'Internet comme pour Hadopi ? Simple coup politique ? Jean-Louis Masson balaye les critiques :

« Ce n'est pas un problème. Il faut peut-être déjà commencer à mettre l'obligation et si [un blogueur] ne l'a pas respectée, ce sera une circonstance aggravante. […] Vous êtes déjà en train de chercher les difficultés d'application. Si on prend la mesure, on verra bien. »

Et ne pas lui faire remarquer non plus que les politiques auraient alors plus de droits que les blogueurs, eux dont le « off » est protégé par le secret des sources des journalistes. En cas de diffamation, les journalistes peuvent se faire condamner, cela lui suffit.

Si l'anonymat sur Internet n'est pas attaqué pour la première fois par la majorité et qu'une rapporteuse a été nommée en la personne de la sénatrice UMP Marie-Thérèse Bruguière, l'élu de la Moselle paraît toutefois isolé et cette « proposition de loi a peu de chance d'être discutée », prédit Jean Arthuis.

Photo : une rangée de Playmobils (Stéfan/Flickr)

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