Photo d’illustration, hôpital de la Croix-Rousse, JEFF PACHOUD / AFP

"On entre dans la 3e vague à Lyon" : entretien avec le directeur des hôpitaux lyonnais

Raymond Le Moign est le directeur général des HCL (Hospices civils de Lyon), deuxième plus grosse structure hospitalière de France derrière l'AP-HP (les hôpitaux parisiens). Le nombre de nouveaux cas est en forte hausse à Lyon depuis quelques jours. Comment s’adaptent les hôpitaux lyonnais ? Des opérations vont-elles être déprogrammées ? Quels liens avec le privé ? Quelle est la pression en réanimation ? Comment est le moral des soignants ? Raymond Le Moign s’exprime sur LyonCapitale.fr.

Dès ce vendredi soir, minuit, de nouvelles mesures de freinage supplémentaires vont être appliquées à Lyon, où le taux d’incidence (le nombre de nouveaux cas pour 100 000 habitants lors des 7 derniers jours) est en très nette augmentation. Dans les hôpitaux, 3200 patients sont hospitalisés ce vendredi des suites du covid-19 dans la région, dont 474 en réanimation.

Quelle est la situation dans les HCL, dans les Hospices Civils de Lyon ? Les HCL sont la deuxième plus grosse structure hospitalière de France derrière l'AP-HP (les hôpitaux parisiens). Au mois de novembre, Lyon, le Rhône et la région ont pris de plein fouet la deuxième vague. Auvergne-Rhône-Alpes était la région la plus touchée de France. Et de loin. Des patients ont dû être transférés de Lyon vers d’autres régions moins touchées. Pour pouvoir soigner tout le monde. Alors que, pourtant, deux fois plus de lits de réanimations avaient été « armés » par rapport à la normale.

Raymond Le Moign fait le point sur la situation actuelle dans les hôpitaux lyonnais pour LyonCapitale.fr. Interview (réalisée jeudi 25 mars).

LyonCapitale.fr : Quelle est la situation, à l'instant t, dans les HCL ? Est-ce que la situation se dégrade ?

Nous avons pris la décision en début de semaine, compte-tenu de la situation - marquée à la fois par l’accélération de la progression du taux d’incidence, l’accélération de la progression de ce taux d’incidence dans la population jeune (les jeunes adultes) et l’augmentation de la pression hospitalière c’est-à-dire une plus grande sollicitation de nos unités de réanimation et de surveillance continue - de réaugmenter le nombre de nos lits de soins critique dans les HCL.

Aujourd'hui (jeudi), on va passer à 186 lits de réanimations (dans les HCL). Le nombre total de patients en réanimation s’établit à 171 patients, covid et non covid. En temps normal, les HCL fonctionnent avec 139 lits de réanimation hors crise. On est à + de 130% d’occupation dans les HCL (A l'échelle de la région, 789 lits de réanimations sont armés au 26 mars, contre 559 en temps normal. Plus de 800 le seront en début de semaine prochaine, NDLR).

Pour rester factuel, combien y-a-t-il de patients covid en réanimation dans les HCL actuellement ?

La situation est clairement différente, à l'instant t, par rapport au mois de novembre à Lyon. Au pic de la 2e vague, au mois de novembre, on est monté jusqu’à 172 patients covid en réanimation dans les HCL. Mais la tendance est à la hausse depuis le début de la semaine. On est remontés entre 85 et 90 patients covid-19 dans les HCL depuis deux-trois jours.

Comme le taux d’incidence augmente fortement dans le Rhône, en gros il est passé de 200 à 400 dans le Rhône en deux semaines, vous vous attendez à une augmentation ces prochains jours avec le décalage date de contamination - date de test positif - date d'entrée à l'hôpital - date d'entrée en réanimation ?

Exactement. C'est pour ça qu'on a pris la décision d'anticiper et d'ouvrir de nouveaux lits. Pour avoir un temps d'avance. L’effet vaccin commence à se faire ressentir et atténue cette modélisation pour les personnes âgées. A contrario, l’effet variant accentue l’impact de ce taux d’incidence sur le recours à l’hôpital et notamment sur la classe d’âge des moins de 65 ans.

Ce que l’on sait, en revanche, c’est qu’il y a un effet variant. C’est la mauvaise nouvelle. La forme du virus qui circule désormais, c’est malheureusement un virus beaucoup plus contagieux et un virus beaucoup plus virulent. Il développe des pathologies assez sévères, qui se traduisent par une pression hospitalière accrue. La moyenne d’âge des patients a baissé en réanimation dans les HCL. C’est une observation qui prévaut dans la France entière.

Pour pouvoir anticiper les entrées à l'hôpital, et le nombre de lits à "armer", vous nous disiez en novembre "on sait que sur 1000 personnes contaminées, 30 seront hospitalisées et sur ces 30, 6 iront en réanimation", cette modélisation est-elle encore bonne avec le variant anglais ?

Cette règle est en train de se modifier, et elle se stratifie par classe d’âge. Pour l’instant, on n’a pas encore assez de recul et de grande statistique nationale. Mais on sait qu’avec les variants, cela n’a pas diminué. On commence même à voir que le taux de recours aux soins de réanimation est un peu plus élevé (dans le Rhône, au 26 mars, le variant anglais représente 83% des cas positifs, NDLR)

En novembre, Auvergne-Rhône-Alpes était la région la plus touchée. Avec le plus de cas. Avec une très forte pression à l'hôpital. Près de 300 lits de réanimations avaient été ouverts dans les HCL. Désormais, ce n'est plus le cas. Vous pouvez davantage anticiper ?

Oui, en novembre, nous étions les plus touchés. Ce qui ce passait en Auvergne-Rhône-Alpes était ce qui allait se passer avec quelques jours de décalage dans les autres régions. Actuellement, on n’est plus la première région dans l’œil du cyclone. Ce sont essentiellement les régions Ile-de-France et Hauts-de-France. Notre région est un peu plus protégée. On a le temps d’observer l'évolution, dans les autres régions, du taux d’admission en réanimation par rapport au taux d’incidence. Les questions sont : est-ce qu’on observe le même décalage que lors de la 2e vague ou est-ce que ça va plus vite ? Et est-ce que cela se traduit par une admission beaucoup plus forte en réanimation sans passer par l’étape hospitalisation conventionnelle ? On observe attentivement ce qui est en train de se passer à Paris.

De nombreux transferts de patients avaient été réalisés au mois de novembre pour désengorger les hôpitaux lyonnais. Pourquoi ces transferts sont plus compliqués désormais ?

Aujourd'hui, beaucoup plus de régions sont touchées. Hormis les régions de l’ouest de la France, peu de régions peuvent maintenant accueillir des patients. Je vous rappelle que quand nous on a organisé les transferts, en novembre, la région Auvergne-Rhône-Alpes était très exposée et la région parisienne l’était beaucoup moins. On avait beaucoup plus de régions d’accueil possibles. C'est beaucoup plus compliqué désormais de transférer les patients d’Ile de France ou des Hauts de France. Aussi, la capacité à désigner ou à repérer les patients transférables ou à peu près stabilisés est plus compliquée. Les patients sont également moins enclins à accepter un processus d’éloignement familial.

Combien de soignants ont été vaccinés dans les HCL ?

On a dépassé les 45% de professionnels qui sont rentrés dans un processus vaccinal dans les HCL, c'est-à-dire qui ont reçu au moins une dose.

Comment est le moral des soignants aujourd'hui à Lyon ?

Ecoutez, ils font face. La décision prise en début de semaine de réaugmenter le nombre de lits de réanimation, tout le monde a bien compris ce que cela signifiait. Tous les soignants savent qu’on entre dans la 3e vague à Lyon. Il y a un sentiment de répétition qui peut légitimement glacer et fatiguer. Il faut imaginer ce que c’est une déprogrammation et "armer" des lits. Cela veut dire des soignants qui changent d’équipe, modifient leurs plannings, tout ça a des répercussions sur leur vie familiale. Des soignants doivent être reformés. C’est un effort d’adaptation qui est encore demandé, en plus, alors que nous n’avons pas pu passer, contrairement à ce qui c’était déroulé entre la 1ère vague et la 2e vague (entre juin et août), par un retour à la normale. Autrement dit, on n'a jamais retrouvé depuis la 2e vague (mi-octobre) le niveau d’installation de lits de réanimation normal dans l’établissement.

Depuis fin octobre, depuis 5 mois, il n'y a eu aucun retour à la "normale" dans les HCL ?

Non. Ces derniers temps, on déprogrammait en moyenne entre 15 et 20%, on avait retrouvé environ 80% du potentiel de notre activité programmée. Entre 80 et 85%. On s’est préparé pour être en possibilité d’armer et d’installer des lits de réanimation complémentaires pour le week-end, et on a une nouvelle étape d’augmentation capacitaire pour la semaine prochaine.La décision qu’on a prise lundi nous conduit à déprogrammer environ 30% de notre activité. On passe à 70%. Ne sont pas évidemment pas concernées par les déprogrammations les urgences et tout ce qui se traduit par une perte de chance pour les patients.

Au mois de novembre, de nombreux salariés du privé avaient été mis à disposition des HCL. Et aujourd'hui ?

La déprogrammation à Lyon s’établit de manière homogène entre les établissements privés et publics. Tout le monde fait l’effort. Des soignants du privé sont mis à disposition depuis une dizaine de jours des Hospices civils de Lyon. On n'est juste pas dans les mêmes proportions qu'au mois de novembre. On est à hauteur des 30% de déprogrammation. Mais c’est exactement le même raisonnement, la même façon de faire, le même cadre de mise à disposition qu’au mois de novembre à Lyon.

Est-ce que les mesures prises par le gouvernement pour freiner la diffusion du virus sont suffisantes ?

Il y a un débat entre ceux qui estiment qu’il faut aller plus loin, et que les mesures actuelles ne vont pas suffire et ceux qui estiment qu’il faut trouver la juste mesure entre freinage du virus et maintien d’une vie sociale et économique. On va vite voir, à la fin de la semaine prochaine, en Ile-de-France et dans les Hauts-de-France, si la situation se stabilise. Si la situation ne se stabilise pas, le gouvernement devra réexaminer les mesures actuellement mises en place de freinage du virus.

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