La cour du 60, rue Pasteur, semble avoir été quittée du jour au lendemain. Déserte, elle accueille pourtant encore du linge qui sèche et quelques uns des habitants, assis sur les marches de l’entrée. @Jeanne Le Bihan

Métropole de Lyon : à Caluire, les habitants d'un squat menacés d'expulsion, décryptage

Comme à Feyzin, les habitants du squat de Caluire-et-Cuire sont concernés par une demande d'expulsion. Dans la métropole, plusieurs communautés auto-gérées se sont constituées dans des bâtiments inoccupés et généralement précaires, en attendant un relogement presque chimérique à leurs yeux.

À Caluire-et-Cuire, la rue Pasteur est jalonnée de petits commerces de proximité. Une pharmacie, un pressing, une boucherie, un fleuriste, un primeur, un bureau de tabac... et le squat "DurACuire". Au numéro 60, l'ancien centre-médico-psychologique du Vinatier est occupé depuis décembre 2019 par 63 personnes. Devant le portail en brique rouge de l'entrée, les poubelles de tri ont été sorties mercredi 25 août. Le lendemain, c'est jour de collecte dans ce secteur de la commune, au nord de Lyon.

Sur le terrain, deux bâtiments sont séparés par une cour, où un panier de basket et un canapé aux assises usées trônent en solitaire. Rangés et alignés, des jouets pour enfants de toutes les couleurs semblent ne pas avoir servi de la journée. Lorsqu'on s'engouffre à travers les portes vitrées de l'édifice principal, c'est une véritable résidence qui a été aménagée. Chaque pièce a été habilitée à une fonction précise, de la cuisine à la salle de prière, en passant par le salon à l'étage.

Des procédures similaires

Pourtant, la vie au "DurACuire" semble avoir été mise sur pause. Le 17 août dernier, les habitants reçoivent un appel qui les prévient de leur expulsion prochaine. C'est le centre hospitalier du Vinatier, propriétaire du site, qui a lancé la procédure. En 2020, la décision du juge lors du procès du squat avait abouti sur un délai d'habitation. La trêve hivernale a offert un répit supplémentaire aux habitants du squat, rassurés par une rencontre entre eux, le Vinatier et la métropole. Le 11 mars, M. Mariotti, directeur de l'hôpital, affirmait ne pas vouloir employer la force publique pour expulser les squatteurs. Le compte-rendu de la réunion, placardé sur la porte d'entrée du "DurACuire", rend cette information explicite. "L'objectif de la direction est de vendre mais pas de demander au préfet de mettre les habitants à la rue".

C'est pourtant le prêtre Christian Delorme - célèbre organisateur de la Marche pour l'égalité et contre le racisme en 1983 - qui a averti les habitants. Désigné médiateur par la préfecture du Rhône, il est chargé de faire l'intermédiaire entre l'instance et le squat. Depuis, les occupants de la rue Pasteur sont dans une attente interminable. "J'ai toujours espoir qu'on trouve une solution, mais je n'arrive pas à fermer les yeux la nuit", raconte un des habitants. De peur que la descente policière se fasse à l'aube, nombreux sont ceux qui passent la nuit dehors et reviennent la journée pour les activités de la vie quotidienne.

Comme au squat de l'ancienne école Georges Brassens, à Feyzin, la procédure d'expulsion a été amorcée par le propriétaire. Le tribunal a autorisé cette intervention afin de déloger les squatteurs, la trêve hivernale s'étant achevée le 31 mai. À Caluire-et-Cuire, le centre hospitalier souhaite vendre le site. Pour les 63 habitants, dont une grande partie viennent de l'Amphi Z, cela signifie le retour à la rue. Une situation très difficile à vivre, en particulier pour les plus jeunes. Le référent du DurACuire s'en désole : "Je ne sais plus quoi dire aux enfants : à chaque fois que je sors dans la cour, ils me demandent où on va habiter ensuite. À 10 ans, certains ont connu au moins trois squats !" La plupart des occupants de la rue Pasteur sont des demandeurs d'asile avec une demande en cours. Certains ont obtenu le statut de réfugiés, d'autres se le sont vu refuser. Certains viennent de Guinée, d'autres du Tchad, d'Albanie, de Côte d'Ivoire....

60, rue Pasteur @Jeanne Le Bihan

Des ensembles auto-gérés

Le site radar.squat.net répertorie une quinzaine de squats actuellement occupés à Lyon et ses alentours. La plupart font partie de l'Intersquats Exilé.es Lyon et Environs, un collectif de mise en relation des associations et des habitants. "On met tout en commun, mais ce n'est pas une autorité", explique Colette Blanchon, membre de l'Intersquats. "Les collectifs se rejoignent pour mener des luttes communes". Chacun des sites occupés par des squatteurs désigne un référent parmi les habitants, pour que toutes les opérations soient plus simples. Celui de Caluire-et-Cuire indique qu'il est en contact avec les autres squats, sans pour autant avoir une organisation commune ou des réunions récurrentes.

Chaque ensemble s'organise comme il l'entend, avec des décisions prises démocratiquement entre les membres du groupe. Le référent n'est pas un chef mais la personne à contacter et l'intermédiaire avec les associations d'aide et les autorités publiques. "On n'interfère pas du tout. Chaque squat décide pour lui-même. " À Feyzin, des réunions avaient par exemple lieu tous les dimanches pour les 140 occupants du squat, afin de prévoir l'organisation hebdomadaire du ménage, des activités... À Caluire-et-Cuire, une charte est accrochée au mur à tous les étages pour rappeler les règles de vie commune. "Aucun service ou travail ne doit être rémunéré à l'intérieur de la maison", indique par exemple le texte. "Aucune violence physique, sexuelle et verbale ne sera tolérée dans la maison ou à l'extérieur", interdit le paragraphe "RESPECT". Chacun des occupants est concerné sans exception par les principes statués dans la charte, sur l'heure des repas, la régularité du ménage et la sécurité du squat. "Le directeur du Vinatier reconnait que les locaux sont très bien entretenus", est-il d'ailleurs marqué sur le compte-rendu de la réunion avec Pascal Mariotti.

Deux squats ont bénéficié cette année d'une convention avec la Métropole de Lyon, dans le 9e et le 3e arrondissement. Ils ont ainsi fixé avec l'institution une date butoir de sortie des locaux, pour qu'ils soient utilisés aux fins prévues. "Mais ces conventions sont sur nos bâtiments", explique la collectivité. À Caluire-et-Cuire ou à Feyzin, il s'agit de propriétés privées. Libre aux propriétaires de gérer la situation, mais la métropole est chargée de la situation des mineurs peu importe le type de squat. Le vice-président Pascal Blanchard était d'ailleurs présent le 11 mars lors du rendez-vous du "DurACuire" avec le Vinatier.

La seule cuisine du squat est l'endroit où les repas sont préparés pour les 63 occupants. À l'étage, la seule douche du bâtiment fuit à chaque passage à travers le plafond. Un seau a été placé temporairement en attendant de réparer le système, mais l'arrivée imminente de l'expulsion rend cette installation précaire pérenne. @Jeanne Le Bihan

Du droit au logement à l'accueil des réfugiés

"Tout le monde doit avoir le droit au logement'", martèle Colette Blanchon. Si les habitants de la rue Pasteur sont expulsés du jour au lendemain, aucun diagnostic social n'a été entamé et ils n'ont pas été informés d'une quelconque solution de relogement . Déjà expulsées de l'Amphi Z en 2019, certaines familles se sont retrouvées à la rue pendant plusieurs mois, et espèrent ne pas avoir à revivre cette période. Pourtant, comme le souligne la bénévole, l'INSEE évaluait en 2018 à 7,8% la proportion de logements vacants sur la commune de Lyon. La préfecture du Rhône, contactée par Lyon Capitale, assure que la situation des squatteurs est étudiée, en collaboration avec la Métropole de Lyon. "Avant l'expulsion, on travaille sur la question du relogement".

Même au sein de l'ancien CMP, les conditions de vie restent très précaires et les associations ont mis plusieurs jours à meubler les bâtiments pour les rendre habitables. Pour les 63 personnes vivant au quotidien rue Pasteur, le squat compte six toilettes et une unique douche. "Elle mérite des travaux", ajoute le référent des lieux, "mais avoir un toit sur la tête c'est toujours mieux que de vivre dehors". En effet, dès que quelqu'un se lave, l'eau fuit et coule jusque dans la cuisine. Chaque famille dispose d'une pièce fermée à clé, où les bénévoles et les habitants ont réuni des matelas de fortune, et où chacun entrepose ses affaires. Pour les personnes seules, ils se partagent une chambre à trois ou quatre. "Il y a une véritable solidarité", souligne le référent avec un sourire. "On vient de pays différents, on est de toutes les religions, mais il n'y a jamais de problème".

L'un des occupants exprime son sentiment d'impuissance face à l'avenir de leur situation par un soupir. L'annonce de l'accueil de réfugiés afghans face à la prise de pouvoir des talibans a sonné creux au sein du squat. "On a rien contre eux, mais on ne comprend pas que les autorités accueillent de nouvelles personnes alors que celles qui sont déjà là ne sont pas prises en charge". La DDCS, direction départementale de la cohésion sociale, est en charge de tous les dossiers.

Lire aussi : Métropole de Lyon : Au squat de Feyzin, la menace de l'expulsion, reportage

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