Jacques Hochmann, psychiatre et psychanalyste lyonnais
Jacques Hochmann, chez lui en avril 2022 @Antoine Merlet
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"La psychiatrie dépend du fait politique" : Jacques Hochmann, psychiatre et psychanalyste

Retour à une psychiatrie asilaire, autisme, neurosciences... le psychiatre et psychanalyste lyonnais Jacques Hochmann se livre à Lyon Capitale.

Dans son dernier livre Les Arrangements de la mémoire. Autobiographie d’un psychiatre dérangé (Odile Jacob), le psychiatre et psychnalyste lyonnais, professeur émérite à l’université Claude-Bernard et médecin honoraire des hôpitaux de Lyon, défend une psychiatrie humaniste, refusant de réduire la souffrance psychique à des facteurs neurobiologiques et comportementaux. Pour lui, chaque histoire est singulière et le sur-mesure nécessaire. Jacques Hochmann, psychiatre et psychanalyste lyonnais Jacques Hochmann, chez lui, en avril 2022@Antoine Merlet Lyon Capitale : Pourquoi avoir choisi comme sous-titre de votre livre Autobiographie d’un psychiatre dérangé ? Par quoi êtes-vous dérangé ? Jacques Hochmann : Le titre est une référence aux Mémoires d’une jeune fille rangée de Simone de Beauvoir et aux Mémoires d’un jeune homme rangé de Tristan Bernard. Dérangé, je l’ai d’abord été par mes origines. J’ai été un enfant juif caché, pendant une partie de la guerre, sous une fausse identité. Dérangé, je l’ai ensuite été par la découverte de l’extermination d’une partie de ma famille, par la crainte du retour des persécutions et par un sentiment d’étrangeté qui majoraient, chez moi, le dérangement banal des modifications pubertaires. Je suis également dérangé par une certaine évolution de la psychiatrie qui, actuellement, tourne le dos à tout ce que j’ai vécu. En quoi votre enfance vous a-t-elle construit en tant qu’homme et futur psychiatre ? Il me semble que le contact avec cette espèce de folie qu’ont été le nazisme et la Shoah m’a rendu sensible, dans une certaine mesure, aux désordres qui pouvaient exister dans l’esprit des gens et, partant, peut-être conduit à ce métier de psychiatre. Vous avez assisté, pendant vos études de médecine, à des séances d’électrochocs de patientes malades. Ces méthodes ont-elles aussi été pour vous un électrochoc ? J’ai effectivement consacré un semestre de mon externat de médecine à l’office de psychiatrie des femmes de la clinique universitaire de neuropsychiatrie à l’hôpital Édouard-Herriot. Ç’a été pour moi un électrochoc. Et quand j’y repense, cela a aussi été une prise de contact avec une médecine qui ignorait complètement ce qu’il peut y avoir de sentiments chez l’autre. On traitait alors pratiquement les gens de manière vétérinaire, le "fou" était nié dans son humanité et considéré presque comme un animal à qui il fallait apporter un traitement biologique de choc. J’étais rentré dans ce service, déjà attiré par la psychiatrie, avec l’idée d’une médecine humaniste et, subitement, j’ai assisté à des cérémonies dignes de Vol au-dessus d’un nid de coucou. De retour comme interne dans ce même service, vous avez pu quelque peu apporter votre façon de voir... Effectivement, suis revenu dans ce service comme interne quelques années plus tard. Mon ascension dans la hiérarchie hospitalière m’avait octroyé davantage d’autorité. Je pouvais prendre d’autres initiatives que la seule prescription des électrochocs et de médicaments psychotropes. C’était un service de neuropsychiatrie, les médecins qui y travaillaient s’intéressaient beaucoup plus aux maladies neurologiques. En tant qu’interne, j’étais en quelque sorte seul maître à bord dans les salles de psychiatrie. J’ai ainsi pu essayer d’appliquer aux malades ce que j’avais appris à travers mes lectures, ou ce que j’avais découvert ailleurs, c’est-à-dire une psychiatrie dans laquelle les malades mentaux étaient traités comme des êtres humains. J’ai en particulier appliqué, de manière très artisanale, les méthodes de groupe en organisant des réunions de discussion avec les patients qui exprimaient leurs sentiments et échangeaient aussi librement que possible sur leurs ressentis les uns vis-à-vis des autres.  

"Nous assistons à un retour, sous une forme aseptisée, à une psychiatrie asilaire, sécuritaire et bureaucratique"


  Cette dynamique de groupe est-elle la résultante de votre travail auprès de Carl Rogers, l’un des psychologues américains les plus connus, à l’époque ? Aux États-Unis, j’ai effectivement fait la rencontre de Carl Rogers, à l’époque très en vogue, qui avait développé une approche vraiment humaine du malade. À sa retraite, il avait pris part à la fondation d’un petit institut de recherche privé où il essayait de généraliser à l’ensemble des relations humaines ce qu’il avait appris de son expérience psychothérapique. On y étudiait les interactions entre sujets "normaux" dans de petits groupes expérimentaux. J’ai eu la chance d’avoir été accepté en résidence auprès de lui, avec l’octroi d’une bourse américaine. J’ai ainsi beaucoup travaillé à ce moment-là sur la dynamique des groupes, sur ce que les sujets ressentaient les uns par rapport aux autres. J’ai aussi découvert les méthodes de thérapies familiales, alors très peu connues en France, qui consistent à mettre ensemble tous les membres de la famille d’un "malade identifié" en vue d’obtenir une meilleure communication.

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