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La Criirad boycotte le débat sur la gestion des déchets nucléaires

"Informations tronquées et tendancieuses", "partialité", "désinformation","arnaque", "déni de démocratie". La Commission de recherche et d'information indépendantes sur la radioactivité (Criirad) met en cause l'honnêteté et la sincérité des services de l'État mais aussi celle des ingénieurs et techniciens qui réalisent les mesures. Son directeur de laboratoire s'explique à Lyon Capitale.

Bruno Chareyron est ingénieur en physique nucléaire et directeur du laboratoire de la Criirad. Créée à Valence en mai 1986 par Michèle Rivasi, suite à l'accident de Tchernobyl, la Criirad a établi une carte montrant que les retombées moyennes réelles en césium 137 en France étaient au moins 100 fois plus importantes que celles données par les autorités. Au début des années 2000, elle a obtenu que les services officiels français (IPSN puis IRSN) reconnaissent le caractère erroné des cartes initiales des retombées de Tchernobyl sur le territoire français. Ce 2 mai 2019, la Criirad annonce boycotter le débat public sur la gestion des déchets radioactifs qui vient d'être lancé jusqu'au mois de septembre.

Pourquoi la Criirad a-t-elle décidé de boycotter le débat public sur la gestion des déchets radioactifs ?
La Criirad boycotte ce débat car nous ne voulons pas cautionner un dispositif qui donne l'impression qu'il y a une consultation des citoyens alors que les décisions sont déjà prises. On a nous a déjà fait le coup sur l'EPR de Flamanville ou l'installation Cigéo, le centre industriel de stockage géologique des déchets radioactifs en Meuse et Haute-Marne. Ce sont des débats qui ne servent à rien. L'idée première est donc de ne pas avaliser un débat qui laisse croire aux citoyens que l'État prend en compte leur avis, car ce n'est absolument pas le cas. Sachant que cette question des déchets et de leur gestion devrait être couplée à la question de leur production. L’État tronçonne les projets et les décisions. Les autorités invoquent le droit des générations futures mais s'emploient dans le même temps à développer des activités qui vont générer des déchets radioactifs pour lesquels il n'existe aucune solution de gestion satisfaisante. L’hypocrisie le dispute au cynisme. Pour le dire autrement, soit il n'y a pas de consultation citoyenne soit les résultats de cette consultation ne sont pas pris en considération ou alors le périmètre de la pseudo-consultation est trop limité. Les discussions se font en effet à l'échelle locale alors que la question des déchets a des impacts sur d'autres sites.

Vous parlez d' "informations tronquées et tendancieuses". Retour, trente-trois plus tôt quand un communiqué du ministère de l’agriculture en date du 6 mai 1986 indiquait que "le territoire Français, en raison de son éloignement, a été totalement épargné par les retombées de radionucléides consécutives à l’accident de Tchernobyl" ?
De manière générale, sur la question nucléaire, la consultation citoyenne a toujours été biaisée. Les documents qui ont été remis au public n'ont jamais reflété la réalité. L'État a construit le nucléaire sur l'idée que tout était transparent et qu'il existait un consensus sur le sujet. Ce qui n'est absolument pas le cas. C'est un semblant de démocratie. Nous ne pouvons pas cautionner ce système, car il s'agit bien d'un système, une dérive qui s'amplifie d'année en année. En admettant que les citoyens soient consultés, il faudrait donner une vision correcte de la situation avec des documents fiables. Les documents adressés au public et aux associations par les services de l'État sont faux. C'est ni plus ni moins de l'arnaque.

Les informations qu'on veut bien leur donner sont incomplètes et partiales. La consultation sert de caisse de résonance à la désinformation. On nous dit que le stock des déchets radioactifs, toutes catégories confondues, est d'1,6 million de m3. C’est complètement faux ! En réalité, ces chiffres sont très loin de prendre en compte "toutes les catégories" de déchets radioactifs. Ont été "oubliés" les 282 000 m3 de boues radioactives de Malvési et plus de 23 millions de m3 de déchets issus de la lixiviation dynamique du minerai d’uranium. De la même façon, il faut ajouter aux 537 000 m3 de déchets dits TFA (très faible activité), plus de 15 millions de m3 de déchets issus de la lixiviation statique des minerais pauvres et des dizaines et des dizaines de millions de m3 de stériles uranifères. Ont également été omis 50 millions de m3 de déchets à radioactivité naturelle élevée (stockages de phosphogypse, de déchets de production d’alumine, de cendres de charbon, de résidus de traitement de minerai, notamment de monazite, etc.) qui sont des déchets TFA et FA (faible activité) à vie longue. La réalité est que si on prend les dépôts les moins présentables, qui sont entassés en vrac, sans conditionnement, sans isolation du sous-sol, dans des sites dont les caractéristiques devraient interdire toute matière à risque, on arrive à 200 millions de m3, soit 125 fois plus ! Ce volume ne correspond pas à quatre mois de la production nationale de déchets dangereux conventionnels, comme les services de l'État le disent, mais à plus de 40 ans !

En juin dernier, le parking du stade de foot de Geugnon était classé site interdit...
À Gueugnon, les déchets FA-VL produits par l’usine d’extraction de l’uranium ont été déversés à moindre coût dans les excavations les plus proches : d’anciennes gravières où la nappe phréatique affleure ! Le stockage s’étend en outre sous le parking du stade de foot et constitue une bombe à retardement pour les générations futures. Aujourd'hui en France, on trouve des déchets issus de l'extraction d'uranium utilisés pour remblayer des chemins, des parking et même des cours d'école. La radioactivité est sous nos pieds. Un des sites exemplaires, c’est le site des Bois Noirs, dans la Loire : 1,3 million de tonnes de résidus radioactifs à très longue période physique issus de l’extraction de l’uranium sont entreposés dans le bassin artificiel de dix-huit hectares. La Criirad dénonce cette situation depuis des années et la contamination de l'environnement qui en découle depuis des années. Á quoi ça sert d'organiser une consultation puisque rien ne bouge au final ?

Si la Criirad ne prend pas part à ce grand débat, n'est-ce pas se priver d'une expertise scientifique indépendante sur la question nucléaire ?
Le fait que la Criirad ne souhaite pas apporter sa caution à ce énième débat public ne signifie pas qu'elle se privera d’intervenir au cours des prochains mois sur les questions posées par les déchets radioactifs, qu’elles soient traitées ou pas dans le cadre du débat public. Nous souhaitons simplement et officiellement, aujourd'hui, dénoncer le contenu du dossier qui sert de base et de cadre au débat sur le plan national de gestion des matières et des déchets radioactifs. Le dossier proposé comme cadre et base du débat public sur le est truffé d’affirmations erronées et de présentations partisanes. Vu la masse de documents et la complexité des sujets, il faudrait plusieurs mois de travail et les moyens correspondants pour analyser et corriger l’ensemble des documents. D’ici là, le débat sera terminé et les participants se seront déterminés sur des bases d’information tronquées et tendancieuses.

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