Cow-boys et envahisseurs

L'éditorial du rédacteur en chef de Lyon Capitale.

À San Angelo, Texas, les cow-boys sont soulagés par la reprise des rodéos. Après quasiment un an d’arrêt pour cause de pandémie, le rodéo local, l’un des plus anciens et plus grands du pays, a repris. À Lyon, avec le retour des beaux jours, le circuit de rodéos est, lui aussi, bien reparti. Quatre jambes là-bas, deux roues ici.

Far West outre-Atlantique, nouveau western entre Rhône et Saône, comme le rappait MC Solaar en 1994 (poète selon l’académicien Maurice Druon). À cette époque, la mode à Lyon est plutôt aux “béliers”, ces voitures qu’on projette sur la devanture d’une bijouterie ou d’un magasin pour la démolir. Une génération de pilotes était née, se faisant la main dans des rodéos ou des courses poursuites avec la police.

Les rodéos, concurrents directs de la quenelle pour le rayonnement international de la ville, sont nés en 1978 à Vénissieux, aux Minguettes et dans la cité Grappinière à Vaulx-en-Velin. Ils se sont généralisés en 1981, quelques mois après l’arrivée au pouvoir de François Mitterrand. Sociologues et politiques s’écharpent sur le désarroi de la jeunesse des banlieues vis-à-vis d’une société de consommation ostentatoire, dont elle est exclue. D’autres avancent l’ennui, l’oisiveté et la transgression.

La gauche n’a souvent abordé le sujet qu’en se pinçant le nez, désavouant de la sorte les classes populaires d’en être les premières victimes et en faisant le jeu de la droite et de l’extrême droite. À trop opposer la sécurité et la liberté, phosphore Comte-Sponville, à toujours soupçonner de dérive autoritaire ou sécuritaire ceux qui font de la sécurité la priorité qu’elle est, la gauche s’est coupée, à force de bons sentiments, de ceux qui vivent en effet dans l’insécurité.

Everything is bigger in Texas. Rien ne change et tout recommence à Lyon. Si dans le "Lone Star State" on monte donc les chevaux sauvages (bronco), entre Rhône et Saône, on parade en moto en se risquant à faire des roues arrière (bronca). Concentré au sein des banlieues, le phénomène se déplace désormais dans les rues du centre-ville de Lyon.

Fin avril, place Bellecour, cœur de l’identité lyonnaise, sous le regard imperturbable de Louis XIV chevauchant à la romaine, cinq jeunes ni masqués ni casqués, juchés sur des motos-cross non immatriculés – que certains semblaient d’ailleurs moyennement maîtriser – ont pris l’endroit pour un vaste terrain de jeu, enchaînant weelings et dérapages plus ou moins contrôlés. Rebelote quelques jours après, place des Terreaux, sous les fenêtres de l’hôtel de ville.

La police avertie, les envahisseurs étaient repartis dans leurs pénates. Il faut dire que des instructions écrites et orales empêchent toute poursuite afin d’éviter l’accident. "Il y a aussi une peur de l’émeute", reconnaît un élu de la majorité lyonnaise. On se souvient, en mars dernier, des violences et des affrontements à La Duchère, après le grave accident en scooter d’un jeune de 13 ans. Provocation par une patrouille selon son frère, fake news pour la Préfecture.

Les lascars ont remplacé les loubards. Sous la pression, la Ville de Lyon pense mettre sur pied une cellule rodéo. On ne peut s’empêcher de penser au bon mot de Clémenceau : “Si vous voulez enterrer un problème, nommez une commission.”

Le titre de l'éditorial, Cow-boys et envahisseurs, est un clin d’œil au western-science-fiction de Jon Favreau, sorti en salles en 2011.
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