Les collégiens doivent désormais porter le masque à l'école © Antoine Merlet
Photo d’illustration © Antoine Merlet

Académie de Lyon : a-t-on demandé aux correcteurs du brevet de signaler les "propos tendancieux"?

Le syndicat Education Sud Rhône a rapporté à Lyon Capitale que des inspecteurs académiques d'Histoire-Géographie auraient demandé aux correcteurs du brevet de signaler les "propos tendancieux". S'agit-il d'une atteinte à la liberté d'expression ou d'une consigne anodine? Enquête.

Lundi 28 et mardi 29 juin, 860 037 collégiens en France -environ 42 000 pour l'Académie de Lyon-  devaient plancher sur les épreuves de français, de maths, d'histoire-géographie, de physique et de chimie. Jeudi 1er juillet, c'était au tour des professeurs de se mettre au travail.

Néanmoins, tout ne s'est pas passé comme prévu, et plusieurs professeurs de l'Académie de Lyon auraient rapporté aux syndicats Education Sud Rhône et CGT Educ'action Rhône avoir reçu comme directive de signaler les "propos tendancieux".

Cette consigne aurait été donnée par les IPR (inspecteurs pédagogiques régionaux) à des correcteurs d'Histoire-Géographie, essentiellement dans des centres d'examen à Vaulx-en-Velin et Saint-Priest.

Ces signalements concerneraient la partie dédiée à l'enseignement Moral et Civique (EMC) où les élèves étaient invités, à partir d'un extrait de la Constitution de la Ve République ("La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale"), à choisir une valeur ou un principe républicain pour en proposer une application concrète. Le corrigé donnait comme exemple l'égalité homme-femme, et les élèves auraient pu notamment proposer de mettre des noms de rues féminins par souci d'équité.

Une consigne floue, des correcteurs confus

Une enseignante de Rilleux-la-Pape, contactée par Lyon Capitale, nous explique que tout s'est fait à l'oral. Les professeurs auraient été interrompus au beau milieu de la correction par une curieuse demande des harmonisateurs chargés de faire le lien avec les IPR.

"Au bout d'une heure, une heure et demie, les harmonisateurs nous ont appelé pour nous demander de faire attention, parce que quelques copies avaient des propos tendancieux notamment sur la laïcité. On nous a demandé de les signaler". La demande paraissait d'autant plus curieuse qu'il y avait eu une une réunion préliminaire juste avant pour définir les critères de correction, et que cette consigne n'avait jamais été soulevée ni même écrite sur un document quelconque.


"On ne nous avait pas précisé ce que voulait dire tendancieux au départ"


Les enseignants ont rapidement protesté : "on ne nous avait pas précisé ce que voulait dire tendancieux au départ. Dans ma salle, des collègues ont refusé". Par ailleurs, "on corrigeait des copies de l'Ouest lyonnais, bizarrement quand il était question de messe ce n'était pas tendancieux", ironise-t-elle. Selon les professeurs, "ça concernait l’Islam".

Une heure après, les harmonisateurs ont finalement expliqué qu'il s'agissait de signaler "les appels à la haine".


"On a questionné les harmonisateurs  :  qu'est-ce qui est tendancieux? Ils n'ont pas vraiment su nous répondre"


Un autre correcteur du même centre d'examen, professeur à Vaulx-en-Velin, nous a confirmé ce témoignage.

"Je vous confirme, on a pas eu plus de détail que ça". "On nous a dit que c'est un élève qui a parlé de l'Islam et qui a dit qu'il y avait un problème avec l'Islam et la laïcité. On a questionné les harmonisateurs  : est-ce que tendancieux? qu'est-ce qui est tendancieux? Ils n'ont pas vraiment su nous répondre".

Selon lui, c'était d'autant plus confus qu'ils avaient effectivement eu des "propos étranges sur la laïcité", mais sur la religion catholique. "On leur a demandé : qu'est-ce que c'est que cette consigne? est-ce qu'on fait tout remonter?". "Nous on a compris que c'était sur l'Islam, mais on a eu aucune explication"


« Cette ambiance de délation nous pose problème »


Pour ce qui est du signalement, il admet ne pas bien savoir comment cela se passe. "D'habitude ce qu'on signale, c'est quand l'élève mentionne un nom, un établissement, ou quelque chose qui empêcherait l'anonymat de la copie".

L'enseignante de Rilleux explique quant à elle que, concrètement, "il ne se passe pas grand-chose" lorsque l'on signale une copie:  les IPR notent simplement le numéro de la copie. "Concrètement il ne se passe rien, mais cette ambiance de délation nous pose problème".

Une consigne habituelle?

"C'est la première fois qu'on me demande de signaler des histoires de propos mais visiblement ça peut arriver souvent", admet l'enseignant vaudais.

Les correcteurs étaient répartis dans des salles différentes et ne savent pas forcément ce qui a poussé les IPR à rappeler ce type de consigne. Le professeur explique qu'il avait "l'impression que cela venait de [leur] centre d'examen". Selon lui, "un collègue dans une salle a du lire quelque chose qui l'a pas convenu et l'a fait remonter". En tout cas, "ce n'était pas très clair".

Selon la CGT Educ'Action Rhône, "ce n'est pas la première année".

Le professeur de Vaulx explique : "en discutant avec les collègues, je comprends que signaler des copies c'est quelque chose qui arrive assez fréquemment dès qu'il y a des sujets un peu sensibles dans les devoirs". Aussi, "beaucoup d'élèves ont choisi la laïcité car c'est un sujet tendu dans la société".


"On voulait souligner l'absurdité entre demander aux élèves leur avis et juger cet avis"


"On peut être souvent amenés à signaler les copies", ajoute-t-il, "effectivement, quand c'est des appels au meurtre, il faut s'inquiéter, mais ce qui était bizarre c'est que cette consigne soit donnée d'un seul coup, surtout qu'ils n'ont pas précisé quelles étaient les conséquences". 

"On voulait souligner l'absurdité entre demander aux élèves leur avis et juger cet avis. On a trouvé ça déplacé, étrange". 

La réponse de l'Académie de Lyon

Contactée par Lyon Capitale, l'Académie a expliqué que "tous les ans il est demandé de signaler les propos contraires aux valeurs de la République", qu'il s'agisse des épreuves du brevet ou du Bac. "Peut-être que le terme "tendancieux" a été mal choisi, mais c'est simplement remonter tout manquement et propos contraire".


"Peut-être que le terme "tendancieux" a été mal choisi". 


Un communiqué envoyé après coup explique que "par "tendancieux", les inspecteurs ont souhaité coller à la définition littérale du Larousse "qui n'est pas objectif, qui manifeste une tendance idéologique"".

"Toute l'année les professeurs sont sensibilisés aux atteintes aux valeurs de la République, dans le travail scolaire ou dans la classe. [...] De la même façon, il leur est demandé d'être particulièrement attentif aux propos tenus dans les copies d'examen (bac ou brevet). Les éventuelles sanctions sont ensuite prises de manière individuelle et au cas par cas".

Lire aussi : "Bac 2021 à Lyon : "un cafouillage complet" selon le syndicat d'enseignants SNES-FSU"

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