Porteur de nombreuses innovations médicales, le microbiote intestinal fait l’objet de recherches et d’innovations pionnières à Lyon, notamment avec la biotech MaaT Pharma.
Cet article a été publié dans le n°843 de Lyon Capitale, de mai 2024.
D’un congélateur à -80°C, Carole Schwintner brandit une boîte en carton rectangulaire : "Voici MaaT013, notre premier médicament”, présente la directrice des technologies de MaatPharma. Fin 2023, la biotech lyonnaise a ouvert sa première usine à Saint-Quentin-Fallavier (Isère), en partenariat avec le sous-traitant pharmaceutique SkyePharma. Planté en pleine Zac, le site de production est idéalement situé, “à proximité de l’autoroute, de la gare et de l’aéroport”. Un atout de taille, car les médicaments produits ici nécessitent la livraison quotidienne d’un ingrédient très frais : de la matière fécale humaine. L’usine tout juste inaugurée est l’une des rares, et la plus grande d’Europe, à fabriquer des traitements à base de microbiote. À ce stade dans le monde, “seuls trois médicaments de ce type, deux aux États-Unis et un en Australie, sont sur le marché”, et MaatPharma se positionne comme l’un des pionniers du secteur. Ce domaine d’innovation thérapeutique, qui consiste à réimplanter via les selles la communauté microbienne de donneurs sains chez des patients qui le nécessitent, n’en est qu’à ses balbutiements à l’échelle planétaire. Mais il ouvre des horizons thérapeutiques très prometteurs.
Un domaine en plein boom
Revenons pour le comprendre aux origines, en poussant les portes de la Cité de la gastronomie à Lyon. S’y expose une épopée interactive dédiée au microbiote intestinal, cet écosystème de bactéries, virus, champignons et archées logé dans l’intestin et le côlon. C’est en effet dans cette partie de l’organisme que la communauté microbienne trouve le terreau le plus fertile : chaque individu, apprend-on en arpentant les lieux, y héberge 40 milliards de bactéries, de 250 à 300 espèces différentes. Cette communauté propre à chacun, à l’image de l’empreinte digitale, est “une synthèse de notre histoire de vie, qui interagit et évolue avec notre corps au cours du temps en fonction de nos gènes, notre naissance, notre environnement, notre alimentation, notre santé”, explique le docteur Nicolas Benech, gastroentérologue à l’hôpital de la Croix-Rousse qui a cofondé le Groupe d’étude sur le microbiote, réunissant une trentaine de spécialistes du sujet dans la région Auvergne-Rhône-Alpes afin de “mettre en commun les expertises sur le sujet dans différentes disciplines médicales pour construire une recherche efficace qui aille vers l’application clinique”.
Au cours des vingt dernières années, notre connaissance du microbiote intestinal a bondi “grâce aux progrès technologiques en métagénomique, qui permettent d’identifier d’un coup toutes les bactéries d’une communauté par le séquençage ADN”, explique Carole Schwintner. La recherche a ainsi peu à peu découvert les innombrables fonctions que joue cet écosystème dans notre organisme, non seulement dans la digestion, mais aussi dans la modération du système nerveux central, la modulation de l’activité neuronale et surtout la régulation du système immunitaire… Très étroitement lié à ce dernier, qui se construit au contact des micro-organismes que notre corps rencontre, l’état du microbiote – qui dépend de la quantité et de la diversité des micro-organismes présents – influe donc aussi sur le développement ou non de certaines maladies. Et peut contribuer à les aggraver… ou à les endiguer.

Oncologie
Ce qui ouvre des perspectives thérapeutiques majeures. “L’idée étant d’utiliser le microbiote comme un co-facteur de santé pour prévenir et soigner”, poursuit le docteur Benech. Pour un individu sain, soigner la richesse de son microbiote implique surtout de le nourrir grâce à une alimentation riche en fibres, pauvre en viande et en aliments transformés. Mais chez des personnes malades, il faut parfois emprunter d’autres voies pour reconstituer un microbiote devenu désertique. C’est là qu’interviennent les innovations thérapeutiques fondées sur le microbiote. Elles peuvent passer par la création d’aliments personnalisés pour des patients cancéreux dénutris, comme le promeut le projet Onco-Nutribiota ou par le développement de probiotiques nouvelle génération, deux ambitions que porte le docteur Benech. Dans d’autres cas, la solution consiste à réimplanter directement un microbiote venu d’ailleurs, il s’agit du transfert de microbiote fécal. Déjà pratiqué à l’hôpital de la Croix-Rousse, qui dispose désormais de sa propre banque de selles, il n’est autorisé en soins courants que dans des cas très précis, et parfois à titre compassionnel chez des patients en impasse thérapeutique. Mais son champ d’application s’élargit peu à peu à mesure que des essais cliniques se déploient, et notamment en oncologie.
Celle-ci – et en particulier l’oncohématologie, les cancers du sang – a été dès ses débuts l’axe stratégique principal de MaatPharma, créée en 2014 sur la base d’un transfert de technologie venu de l’Inrae. “Dans ces cancers, les patients voient leur microbiote et donc leur immunité affaiblis par la maladie et les traitements très lourds (chimiothérapie, antibiothérapie) qu’ils subissent. Réimplanter un microbiote divers aide à lutter à la fois contre les effets du traitement et du cancer”, explique Carole Schwintner. Leur médicament le plus avancé, MaaT013, intervient dans le soin de la maladie du greffon contre l’hôte, qui se déclenche chez des patients atteints en général de leucémie. Après la chimiothérapie et l’antibiothérapie, il est parfois nécessaire de greffer un nouveau système immunitaire au malade. Ce dernier se retourne parfois contre son hôte, dans une réaction provoquant des symptômes très agressifs de peau, du foie et surtout gastro-intestinaux. “On intervient en troisième ligne, sur des patients dont l’espérance de vie à deux mois est de 20 %.”
Essais cliniques
Administré à trois reprises sur dix jours par lavement, ce traitement est fabriqué dans la nouvelle usine iséroise à partir d’un mélange de selles issues de quatre à huit donneurs – pour maximiser la quantité de bactéries – triés sur le volet (seulement 1 % des candidats deviennent donneurs), et mises en suspension dans une solution cryoprotectante. Un savoir-faire qui nécessite des infrastructures dédiées exclusivement à ce type de traitement : l’usine de 650 m2 abrite le laboratoire de développement à l’étage et les salles de production au rez-de-chaussée, soumises à un confinement strict – de niveau 2 – afin d’éviter que d’éventuels éléments pathogènes ne s’en échappent. Le processus de fabrication implique en outre que la matière soit protégée de l’oxygène car “là où les bactéries vivent, il n’y a pas d’oxygène”.
Pour ce médicament, l’essai clinique est actuellement dans sa phase 3, menée sur 75 patients, et MaatPharma vise une mise sur le marché en 2026, avec une cible commerciale en Europe de 2 à 3 000 patients environ. “En phase 2, 38 % des patients répondaient au traitement, c’est-à-dire survivaient 28 jours après le début du traitement, avec une diminution des diarrhées.” Des perspectives se dessinent aussi sur la possibilité d’utiliser le traitement sur des tumeurs solides comme les mélanomes métastatiques. “La littérature montre que la qualité du microbiote joue sur la réponse aux immunothérapies, qui sont les traitements utilisés contre ce type de cancer.” Une autre formule du médicament est en cours de développement, en phase 2 d’essai clinique, et sera fabriquée sur le site de Saint-Quentin : cette gélule contenant le même mélange, séché et lyophilisé, qui ne s’ouvre qu’au niveau du côlon, sera si elle est validée proposée en accompagnement de traitements contre des cancers du sang et pourrait cibler 40 000 personnes par an – une étude évalue également son usage potentiel dans la maladie de Charcot. Une troisième génération de médicaments est à l’étude. Pour poursuivre sur sa lancée, la biotech, qui a déjà levé 115 millions d’euros, prépare un nouveau tour de table en 2024.