Laïcité : “Légiférer, c’est ouvrir la boîte de Pandore”

Christine Lazerges, présidente de la Commission nationale consultative des Droits de l’homme, vient de rendre son avis à l’Observatoire sur la laïcité, mis en place par François Hollande, sur l’opportunité de légiférer sur la laïcité. Selon cette commission, une nouvelle loi serait complètement inutile.

Lyon Capitale : Selon la CNCDH, une nouvelle loi sur la laïcité serait inutile. Dans un contexte de radicalisation d’une partie de la société, cet avis est-il guidé par la prudence ?

Christine Lazerges : Nous concluons qu’il n’y a pas lieu à légiférer, non pas par prudence, mais parce que nous considérons que l’encadrement législatif est tout à fait suffisant. Aujourd’hui, la laïcité est strictement encadrée, non seulement par la loi de 1905, mais aussi par une jurisprudence claire du Conseil d’État, du Conseil constitutionnel et de la Cour de cassation.

Justement, c’est une décision de la Cour de cassation sur l’affaire Babyloup* qui a déclenché ce débat sur l’opportunité de légiférer de nouveau sur la laïcité.

L’affaire Babyloup a beaucoup fait parler car c’était une crèche exemplaire. Mais c’est bien la nature juridique de la crèche Babyloup qui est à l’origine de ce débat public sur l’application du principe de la neutralité religieuse dans le secteur de la petite enfance. La crèche Babyloup est une crèche associative, dont le règlement intérieur n’était malheureusement pas suffisamment clair sur le port des signes religieux. C’est un cas parmi d’autres qui invitent les structures associatives de la petite enfance, notamment, à rédiger de façon très claire leur règlement intérieur.

La crèche Babyloup est aussi une association qui perçoit un financement public. N’est-ce pas suffisant pour appliquer le principe de neutralité religieuse ?

Lorsqu’une association remplit une mission d’intérêt général, elle n’est pas considérée comme relevant du service public. La difficulté porte sur la frontière entre une mission d’intérêt général et une mission de service public. Une subvention d’État ne suffit pas pour imposer le principe de neutralité. Il faut aussi un contrôle hiérarchique du service public sur la structure et ensuite que les missions elles-mêmes soient considérées de service public. C’est par exemple le cas pour la Caisse primaire d’assurance maladie.

“La laïcité n’est pas un ensemble d’interdictions”

Ce que reprochent les défenseurs d’une laïcité plus dure – et c’est aussi la question posée par François Hollande lorsqu’il a instauré l’Observatoire de la laïcité –, c’est que la loi ne se prononce pas sur le secteur de la petite enfance…

Le principe de la neutralité pour la petite enfance pourrait être tentant pour le législateur. Mais se poseront ensuite les cas des crèches de confession juive ou catholique. Ensuite, il faudra se prononcer sur les maisons de retraite catholiques. Légiférer, ce serait ouvrir la boîte de Pandore. On ne peut pas demander à la loi ce qu’elle ne peut pas produire. La loi ne peut pas entrer dans tous les détails de toutes les situations innombrables qui se posent. Par exemple, le défenseur des droits, médiateur de la République, a posé au Conseil d’État un certain nombre de cas pratiques, comme celui de la question des barbes. En ce moment, les barbes sont très à la mode et cela va bien au-delà des positions intégristes. Comment peut-on imaginer une législation sur la taille des barbes ! C’est le même débat sur les assistantes maternelles voilées qui a aussi été soulevé. C’est un contrat de droit privé, les parents sont donc libres de choisir leur assistante maternelle. La laïcité n’est pas un ensemble d’interdictions, mais une condition de la liberté des citoyens et d’une plus grande neutralité de l’État.

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* En 2012, le Conseil d’État a annulé le licenciement par la crèche Babyloup d’une salariée voilée, déclenchant ainsi une polémique sur la neutralité religieuse dans les crèches associatives.

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