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Lyon Capitale n°360

L’ITW dans Lyon Capitale qui a fait condamner Dieudonné

En janvier 2002, Lyon Capitale interrogeait Dieudonné, qui était alors candidat à l'élection présidentielle. Dans cet entretien mené par Philippe Chaslot, cofondateur de Lyon Capitale, Dieudonné déclarait : “antisémite n’existe pas parce que juif n’existe pas”. Ces propos, entre autres, lui ont valu d'être attaqué par des associations de lutte contre l’antisémitisme. Malgré une relaxe en appel en 2004, la Cour de cassation juge de manière définitive (arrêt du 16 février 2007*) que “ces propos mettent précisément en cause la communauté juive à raison de sa religion, ce qui manifeste une conviction ouvertement antisémite”. Nous republions ci-dessous l’intégralité de cet entretien.

Lyon Capitale n° 360 (23 janvier 2002)

Dieudonné existe-t-il ?
Dieudonné, humoriste et candidat aux présidentielles

Entretien – La candidature aux présidentielles de l’humoriste Dieudonné n’est pas sa première implication en politique comme c’était le cas pour Coluche en 1981. Dieudonné se décrit avant tout comme un utopiste révolté. Il développe dans Lyon Capitale ses revendications communautaristes. Son anticléricalisme tous azimuts l’entraîne à nier jusqu’à l’existence même du fait religieux. Jusqu’à l’irresponsabilité dangereuse quand il n’hésite pas à renvoyer au même néant Juifs et antisémites.

“Lyon Capitale : Quelle est votre identité de candidat aux présidentielles et où en êtes-vous de vos 500 signatures ?

Dieudonné : Dieudonné M’Bala M’Bala. Ça figure sur mes pièces d’identité. Ce sera inscrit sur les bulletins de vote. Nous en sommes à 300 signatures.

Pourquoi cette candidature ?

Je ne compte pas être élu président, mais j’ai le sentiment d’être un otage d’un pouvoir autoritaire et injuste. Je veux apporter une dimension d’utopie peut-être, de libre-penseur sûrement. C’est important que les discours ne soient pas monopolisés par des professionnels de la politique dont les carrières ne devraient pas excéder 5 à 6 ans. Après les choses s’entremêlent.

Le FN vous paraît-il toujours aussi dangereux ?

Je joue beaucoup aux échecs et je dirais que le FN reste une pièce qui compte sur l’échiquier. Il est indispensable au jeu politique actuel, bouclier ou épouvantail. Le FN représente les valeurs nues d’une droite d’ultra-conservateurs. Ça peut être un réservoir. Le FN, comme les chalutiers, ça ramasse ce qu’il y a au fond, la merdasse. Une certaine gauche en a aussi besoin pour l’emporter grâce à des triangulaires. Depuis 1997, j’appréhende un peu mieux les enjeux et les règles : il y a des stratégies d’intérêts croisés et il ne faut pas toujours se fier aux étendards politiques.

Dans une salle remplie de militants FN, feriez-vous un discours ou un sketch ?

Un sketch. Et je pense que je les ferais marrer ! Mon métier c’est de rire de la bêtise humaine, on aurait de quoi rire ensemble. Si l’on réfléchit sur leur programme… En attendant, le MNR dans certaines villes appelle dans des tracts à l’interdiction de mon spectacle.

Vous proposez une politique de quotas pour les gens dits “de couleur”… Ce modèle anglo-saxon est très contesté en France. Assumez-vous le fait d’être un candidat communautariste ?

Chirac et Jospin sont des candidats communautaristes, hommes et blancs, et comme les politiques en France qui sont toujours chrétiens ou juifs. C’est une petite minorité au pouvoir dans cette société. Moi, je ne suis pas communautariste… ou alors pas plus qu’eux !

Chirac et Jospin ne sont pas communautaristes, ils n’ont pas été élus sur ces critères – écrits nulle part – mais sur un nom et un programme…

Quand vous allez chercher un boulot ou un logement, la discrimination n’est écrite nulle part. Elle se vit au quotidien. C’est la vérité tout comme l’apartheid en Israël. Aux Antilles, 95 % des richesses appartiennent encore aux descendants des esclavagistes, toujours au pouvoir. Je suis favorable à une nouvelle répartition de ces richesses ainsi qu’aux quotas à la télévision avec une représentativité des minorités.

Comme aux États-Unis ?

Exactement, comme aux États-Unis. Il faut des lois, des règles. Il faut des femmes aux postes de responsabilité et des Noirs. Il n’est pas normal qu’en Guadeloupe, Martinique ou en Nouvelle-Calédonie le pouvoir soit exercé uniquement par des minorités blanches. C’est vrai qu’en République on ne peut pas définir un homme en fonction de sa couleur : un citoyen est un citoyen. Mais ça, c’est la poésie. Quand on va chercher un logement… ça ne marche pas. Alors il faut tendre vers l’utopie républicaine mais il faut jalonner ce parcours de règles et de lois comme la parité et les quotas.

Pour vous, “il est impératif de reconnaître la dette de la France envers les descendants d’esclaves” et vous demandez “réparation comme pour les descendants des Juifs déportés”. Quel sens cela a-t-il, 150 ans après ?

Loïk Le Floch-Prigent, ancien pdg d’Elf, m’a expliqué comment aujourd’hui encore la France continuait à piller le continent africain, comme du temps des esclaves, comment des cargaisons entières de pétrole partaient d’Afrique sans être comptabilisées. La France est un État voleur. La France doit faire un bilan avec son passé, d’autant que le pillage continue. Le braquage organisé par Elf se fait sur ordre de Lionel Jospin et Jacques Chirac. C’est la réalité (…) En cas de crise, Chirac et Jospin se retrouvent ensemble dans une église. Moi, à leur place, plutôt que d’écouter les bêtises de Lustiger, j’aurais pris les textes sacrés et je les aurais brûlés sous l’Arc de Triomphe pour symboliser la destruction des frontières virtuelles qui séparent les hommes jusqu’à les pousser à s’entretuer.

Que pensez-vous de la montée de l’antisémitisme parmi certains jeunes Beurs ?

Le racisme a été inventé par Abraham. Le “peuple élu”, c’est le début du racisme. Les musulmans aujourd’hui renvoient la réponse du berger à la bergère. Juifs et musulmans, pour moi, ça n’existe pas. Donc antisémite n’existe pas parce que juif n’existe pas. Ce sont deux notions aussi stupides l’une que l’autre. Personne n’est juif ou alors tout le monde. Je ne comprends rien à cette histoire. Pour moi, les Juifs, c’est une secte, une escroquerie. C’est une des plus graves parce que c’est la première. Certains musulmans prennent la même voie en ranimant des concepts comme la “guerre sainte”, etc.

Votre liste de ministres putatifs est prestigieuse : Jamel, Bové, etc. Mais votre ancien partenaire Élie Semoun n’en fait pas partie. C’est parce qu’il fait partie du peuple élu ?

Pour moi, Élie n’est pas juif, c’est un comédien qui a des idées politiques que je crois proches du PS. Est-ce que c’est par conviction ou intérêt personnel ? Je ne sais pas, mais je ne vais pas l’entraîner dans une aventure libertaire qu’il ne partagerait pas.

Vous agacez souvent par votre côté revendicatif et geignard. N’avez-vous pas besoin d’un bon conseiller en com’ ou d’une Bernadette à faire valoir ?

(Rires.) Je ne sollicite pas vraiment les électeurs. Il n’y a pas d’autre projet que d’être symboliquement là et d’aborder certains thèmes comme la justice, le droit au logement, la répartition de la richesse en France par rapport au reste du monde. Mon côté revendicatif ? J’ai peu de temps pour exprimer les choses dramatiques que je perçois sur le terrain. Quand on voit 25 personnes sans abri dans la rue dont des femmes et des enfants, c’est insupportable. Ça peut irriter et rendre tendu. Avec le temps, je me défends… mais je ne lâche pas l’affaire (…) Coluche a amené une candidature très burlesque. Je n’ai ni son talent ni sa notoriété. Mais Mme Tjibaou m’a envoyé le drapeau de la Kanakie, c’est important (…) Alors on me trouve chiant, mais c’est la télé-divertissement qui l’est ! Je les trouve chiants, les Fogiel, les Arthur et Ardisson – enfin, Ardisson, ce n’est vraiment pas le pire. La télé est globalement chiante. C’est vrai qu’avec mes histoires de négro j’ai pu emmerder certaines personnes.

Pour un humoriste, la candidature aux présidentielles est un exercice périlleux. Comment être pris au sérieux sans casser son image ?

Je ne me débrouille pas si mal. Aujourd’hui, pour leur “foutre au cul”, comme disait Coluche – pour rester dans cette ligne de pensée –, il faut adopter une attitude sur le fil du rasoir, entre dérision et engagement citoyen. Il faut ne pas se prendre au sérieux mais ne pas être dans la rigolade non plus… Sinon, les hommes au pouvoir, on ne les embêterait pas tant que ça.

Qu’est-ce qui vous fait rire dans la fonction présidentielle ?

Tout m’amuse. Les fastes… Jospin, Chirac, c’est la cour. Ne manquent que les couronnes. L’armée, la religion, les puissances économiques, tout est là. On a un vernis démocratique sur un système complètement archaïque et ringard. Le G8, c’est Rome toute-puissante. Jésus-Christ s’est battu lui-même contre cet empire, contre Berlusconi (…) Quand on a la bombe atomique, on ne vit pas dans une nation civilisée. Dans ce monde, les pires sont ceux qui fabriquent les armes, les Français, les Américains et d’autres.

Le 30 janvier, sort Astérix. Une façon de parler de vos ancêtres les Gaulois ?

Ben voilà, c’est ça. Entre Jamel et moi, c’est important d’être dans ce film qui fait référence au patrimoine. Je suis français, mes ancêtres n’étaient pas forcément gaulois et ce n’est pas un problème. C’est bien !”

Propos recueillis par Philippe Chaslot.

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* L’arrêt de la Cour de cassation est en ligne ici.

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Sur la possibilité d’interdire les spectacles de Dieudonné, suivre ce lundi 6 janvier 2014 l’émission L’Autre Direct qui reçoit l’avocat Gilles Devers : en direct sur Lyoncapitale.fr dès 9h.

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