Raymond Avrillier

Sondages de l'Elysée : Hollande ne veut pas dévoiler tous les secrets de Sarkozy

Lanceur d’alertes, le Grenoblois Raymond Avrillier est à l’origine de l’affaire des sondages de l’Élysée. À force de ténacité, il a obtenu une partie des enquêtes d’opinion commandées sous la présidence de Nicolas Sarkozy. Un tour de force. Mais ce militant écologiste, qui fut conseiller municipal à Grenoble de 1989 à 2008, n’en est pas à son coup d’essai. Il est le “tombeur” d’Alain Carignon en 1994 et a contribué à mettre au jour le scandale du réacteur nucléaire Superphénix en 1997. Il attaque l’Élysée devant le tribunal administratif de Paris, pour refus de communication des sondages de 2010 à 2012. Entretien.

Lyon Capitale : Vous êtes à l’origine de l’affaire des sondages de l’Élysée. Comment avez-vous découvert cette histoire ?

Raymond Avrillier : En juillet 2009, je lis le rapport de la Cour des comptes sur la présidence de la République. À l’époque, c’était le premier rapport qui mettait en lumière les comptes de l’Élysée, ce qui est à mettre au crédit de Nicolas Sarkozy ! En lisant ce document entre les lignes, une phrase lapidaire suscite ma curiosité. Il est noté que les marchés publics de sondages “mériteraient une mise en concurrence”. Ce qui me fait dire que les marchés de sondages réalisés n’ont pas respecté la mise en concurrence.

Personne ne l’avait relevé ?

Si, une journaliste de Mediapart, la députée Delphine Batho et l’association Anticor. Mais personne ne va plus loin dans la recherche d’informations. En août 2009, je suis le seul à faire une demande de communication du contenu des sondages à la présidence de la République.

Pendant trois ans, vous avez bataillé avec l’Élysée pour obtenir ces documents. Ça a été un chemin de croix...

Oui, c’est sûr, vu que j’ai obtenu les prestations de conseil et les sondages de 2007 à 2009 en août dernier ! J’en avais fait la demande trois ans auparavant. À l’époque, je n’ai obtenu aucune réponse. J’ai alors saisi la Commission d’accès aux documents administratifs (Cada). Malgré l’immunité présidentielle, est-ce que ces documents sont communicables ? La Cada a répondu oui. C’était une première.

Je relance alors l’Élysée. En vain. Il a fallu que je saisisse le tribunal administratif de Paris, en novembre 2009, pour accéder aux sondages. Le tribunal mettra trois ans à instruire le dossier... Et c’est seulement le 17 février 2012 que le tribunal va annuler le refus implicite de la présidence de la République de me communiquer les documents de juin 2007 à juillet 2009. Il a considéré que cela ne relevait pas de l’immunité de la présidence de me les communiquer. Là encore, c’était une première judiciaire.

Sous le mandat de Nicolas Sarkozy, vous n’avez pas eu accès aux sondages ?

Non. En plus, lorsque le jugement tombe, on est en pleine campagne présidentielle. Les élections sont prévues deux mois plus tard. On est dans une période sensible, mais j’écris à Nicolas Sarkozy afin qu’il exécute le jugement. Évidemment, il ne me répond pas. Je vais devoir attendre le mois d’août 2012 pour avoir les enquêtes d’opinion de juin 2007 à juillet 2009. Et je fais une demande pour ceux de 2010 à 2012.

Mais, finalement, François Hollande n’agit pas avec plus de transparence... Vous pensiez qu’avec l’arrivée au pouvoir de la gauche il y aurait un changement ? Qu’en est-il, en fait ?

C’est scandaleux. J’ai rédigé trois courriers à François Hollande pour obtenir les prestations de conseil et les sondages de 2010 à 2012. Depuis huit mois, je n’ai aucune réponse. J’ai été très étonné de son silence. D’autant que l’affaire des sondages de l’Élysée a eu un impact favorable sur sa campagne électorale.
J’ai donc dû déposer un recours devant le tribunal administratif, le 11 décembre 2012, pour obtenir gain de cause, suite au refus implicite de François Hollande de me fournir ces documents.

Que pensez-vous de sa décision, en premier lieu, d’arrêter les sondages présidentiels ?

C’est une décision absurde. Sur le fond, les sondages présidentiels sont utiles, s’ils sont réalisés en fonction de l’intérêt général. Je redoute que l’on retombe dans une logique de gouvernement médiatique, où se succèdent les effets d’annonce. La décision de se déplacer en train et pas en avion, alors qu’il existe un avion présidentiel, va dans le même sens : la présidence réagit en fonction de l’opinion publique. Mais il est revenu sur sa décision, les sondages sont réalisés désormais par le service d’information du gouvernement (SIG).

Quand vous recevez le contenu des prestations de conseil et les enquêtes d’opinion, qu’est-ce qui vous surprend ?

Je me rends compte que, de 2007 à 2009, Nicolas Sarkozy a commandé pour près de 6 millions d’euros de sondages à ses conseillers privés Patrick Buisson et Pierre Giacometti, via leurs sociétés Publifact, PubliOpinion et Giacometti-Péron. Si l’on prend en compte ceux passés jusqu’en 2012, la facture culmine à 9,3 millions d’euros. Le tout payé sur des fonds publics. Ce qui est énorme. Le contenu est tout aussi étonnant. En 2008, un sondage pose la question : “Que pensez-vous de son mariage possible avec Carla Bruni ?” D’autre part, chaque semaine, pendant trois ans, on pose la question aux Français : “Que pensez-vous du comportement personnel de Nicolas Sarkozy en tant que président de la République ?”On voit ici qu’on s’intéresse, non pas à la fonction du président de la République, mais à l’image de l’homme. Les sondages les plus insolites portent sur la grossesse de Rachida Dati, les gaffes des ministres ou la venue de Tom Cruise à Paris, ce qui n’a absolument rien à voir avec les missions de la présidence de la République !

D’autre part, 50% des sondages portent sur les élections à venir. À savoir, les législatives (en 2007), les européennes (2009) et les présidentielles (2012). Certains d’entre eux ont été clairement utilisés par l’UMP en vue des diverses élections. Par exemple, “Qui voyez-vous comme tête de liste aux législatives en Ile-de-France ?” ou ce sondage de décembre 2008 : “Pour chacune des personnalités suivantes, diriez-vous qu’elle ferait un(e) bon(ne) candidat(e) à l’élection présidentielle ?” Il y a un suivi chaque mois des intentions de vote pour les présidentielles de 2012 : en 2007, 2008 et 2009.

Au final, quelle est la proportion de sondages qui sont du domaine de la présidence ?

Environ 30 à 35% des sondages correspondent à des interrogations sur les décisions à prendre. Comme : “Êtes-vous pour l’ouverture des commerces le dimanche ?” Et encore, on peut dire que ces pré-tests relèvent des décisions gouvernementales mais pas de la présidence de la République. Il subsiste donc une minorité de sondages sur le retrait des troupes en Afghanistan, l’Europe ou la visite de Khadafi.

Pour vous, qu’est-ce que cela révèle ?

Une conduite de l’État en ivresse sondagière. Le gouvernement était centré sur le président, surtout sur sa personne, non pas sur son action. Je me suis rendu compte que certaines actions présidentielles avaient été abandonnées suite à des sondages défavorables.

Le recours aux sondages peut être totalement justifié, mais, de cette ampleur, chaque semaine, ça devient démesuré !

À la réception des documents, vous constatez l’absence d’appel d’offres sur ces prestations de conseils de 2007 à 2012 et sur les sondages de 2007 à 2009. Deux proches du président ont remporté les contrats... pour 5,9 millions d'euros sur un total de 9,3 millions d’euros. Pour vous, il y a violation du Code des marchés publics ?

Oui, clairement. En déballant les cartons que l’Élysée m’a envoyés, j’ai pu avoir en main les copies des marchés et des avenants. Mais aucun appel à la concurrence, aucun document préparatoire ne m’a été fourni, alors que je les avais demandés. Cela veut donc dire que tout a été passé de gré à gré, entre le cabinet du président et ses deux conseillers. Pire, en 2009, malgré le coup de semonce de la Cour des comptes, le président continue à faire travailler Patrick Buisson et Pierre Giacometti par avenant, sans aucun appel à concurrence.

Il y a aussi un problème de surfacturation potentielle. Je n’ai pas reçu les bons de commande de Buisson auprès des instituts de sondage. On me répond que la présidence de la République ne dispose pas de ces documents. Car Buisson passaient commande à l’Ifop ou Ipsos et refacturaient leurs prestations à l’Élysée, j’imagine avec une marge.

Ce qui me permet de dire : les sondages ont été payés sans preuve du coût réel de la marchandise. J’estime donc qu’il y a comptabilité de fait de la part de Patrick Buisson. Pour moi, ce sentiment d’impunité est incroyable. En avril 2012, je saisis alors le procureur de la République de Paris pour violation du Code des marchés publics.

Justement, où en sont les différentes plaintes ?

Le juge d’instruction Serge Tournaire va enquêter sur le volet “favoritisme” de ce dossier, suite à une plainte en 2010 de l’association Anticor, dont je fais partie. Le 21 janvier, ses investigations ont été élargies et portent désormais sur d’éventuels faits de favoritisme, détournements de fonds publics, complicité et recel de ces délits. La Cour de cassation, en décembre, a cassé l’arrêt de la cour d’appel de Paris qui s’était opposée à ce que le juge enquête, risquant de remonter jusqu’au chef de l’État et de porter atteinte à son inviolabilité. En octobre 2012, une seconde plainte pour “détournements de fonds publics” a été déposée par Anticor. Le parquet de Paris a décidé, un mois plus tard, d’ouvrir une enquête préliminaire, dont les éléments sont maintenant dans les mains du juge Tournaire.

Suite au rejet des comptes de campagne de Nicolas Sarkozy, pensez-vous que la commission a pris en compte les sondages réalisés par l’Élysée ?

Nous n’avons pas les détails, mais on sait que les meetings et les déplacements ont constitué les dépassements. D’après moi, il faut ajouter 1,3 million de prestations de conseil et de sondages au compte de campagne de Nicolas Sarkozy. J’ai saisi la commission nationale de contrôle des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP), le 21 mai 2012 et le 14 août 2012, afin de lui transmettre les éléments quant aux prestations de conseil et sondages, engagées sur les dépenses de la présidence de la République alors qu’elles relevaient du compte de campagne de M. Sarkozy.

Vous êtes ce que l’on appelle un lanceur d’alerte, le “tombeur” d’Alain Carignon, mais aussi à l’origine du scandale Superphénix. Qu’est-ce qui vous motive ? La lutte contre la corruption ?

Pour moi, accéder aux informations, en soi, c’est une action politique et citoyenne. J’ai toujours procédé comme ça. Ce qui a permis d’arrêter le réacteur nucléaire Superphénix ? C’est le télex envoyé par la centrale nucléaire au ministère en 1987, que j’ai obtenu, qui confirmait qu’il y avait une avarie et qui prouvait qu’il y avait eu 20 tonnes de fuite de sodium. Cette information était capitale et a permis d’annuler, en Conseil d’État, dix ans plus tard, le décret d’autorisation de redémarrage de Superphénix.
Ce qui m’a le plus frappé ? En tant que militant, je me suis rendu compte qu’il y avait très peu de contrôle public : ni au niveau de la préfecture – le contrôle de légalité est inefficace –, ni à celui de la chambre régionale des comptes – ou alors dix ans après –, ni à celui du tribunal administratif. Les contre-pouvoirs sont quasi inexistants. À l’échelon local, les logiques sont clientélistes. Alors que l’action publique, pour moi, c’est le maniement de l’argent public dans l’intérêt général. Même un journaliste ne va pas traiter certains sujets sensibles, sinon il perd le marché public de la publicité. La majorité de la presse est complice de cette passivité. Et c’est la passivité qui est source de corruption. Finalement, ce n’est pas la corruption qui m’intéresse, mais le dévoilement d’un système corruptif.

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