Dossier Foot : Débat Jean-Michel Aulas contre Étienne Tête

Ils se haranguent depuis 20 ans par médias interposés, mais jamais ils ne s’étaient retrouvés face à face pour un débat : pendant près de deux heures Jean-Michel Aulas (OL) et Étienne Tête (Verts) ont échangé les arguments, et quelques “piques”, au sujet du grand stade. Un débat courtois, mais parfois cinglant, organisé par Lyon Capitale et bientôt retransmis sur OL TV, auquel participaient aussi deux élus très engagés sur ce dossier : Thierry Braillard (PRG) qui est pour, et Michel Forissier (UMP) qui est contre.

1. Y a-t-il besoin de faire un grand stade ?

Lyon Capitale : Pourquoi pensez-vous que l’OL pourrait remplir un stade de 62 000 places ?

Jean-Michel Aulas : On a regardé en Europe : ceux qui construisent des stades modernes voient leurs affluences augmenter de manière considérable, quels que soient leurs résultats sportifs. C’est le cas en Angleterre et en Allemagne, où après la Coupe du Monde l’affluence moyenne est passée de
20 000 à 40 000 spectateurs… Les études marketing qui ont été faites montrent que, pour l’OL, la jauge se situe autour de 75 000 personnes. On a retenu 62 000, pour être cohérent avec l’esthétique et le confort recherchés.

Étienne Tête : La question doit être posée différemment : est-ce que la collectivité publique a besoin d’un stade ? Non. La ville de Lyon a déjà Gerland et l’aura toujours même après la construction du stade de Décines, qui sera strictement privé. Je ferai remarquer que le stade de Gerland est rempli avec des tarifs particulièrement bas, même pour la France - l’OL est moins cher que le PSG ou l’OM -, et parce que 25 % des places sont achetées par la Ville de Lyon, le conseil général… Avant de construire un grand stade, on pourrait tester à Gerland une hausse du prix des places - hausse qui se produira à Décines - et arrêter les achats de places sur fonds publics, pour voir si les spectateurs suivent. On aurait ainsi une idée du risque industriel pris.
Thierry Braillard : À quoi servent ces 25 % ? Ils sont distribués aux bénévoles qui encadrent les jeunes sportifs de la région tous les week-ends. C’est leur seule récompense et ils en sont fiers. Et il faudrait leur dire qu’ils ne les auront plus ? Je suis contre.

Jean-Michel Aulas : Incontestablement, ce n’est pas la spécialité d’Étienne Tête de faire du marketing. Si les investisseurs qui sont avec nous prennent le risque de construire une enceinte de
60 000 places, c’est qu’ils pensent qu’elle va être rentable. Sinon, ils ne le feraient pas. Cela clôt le débat. Pour les 25%, c’est une information erronée.

Étienne Tête : Elle est dans le rapport de la mise en bourse de l’OL.

Jean-Michel Aulas : Oui, mais dans la réalité, ce n’est pas ça. Comme souvent quand on évoque des choses qu’on ne connaît pas… Aujourd’hui, il y a moins de 4000 places qui sont achetées par les collectivités, uniquement sur les matches de Ligue 1. Cela représente moins de 5% de notre budget. Ce n’est pas ça qui fait vivre l’OL.

Étienne Tête : C’est un des aspects du foot français : la billetterie rapporte moins qu’en Allemagne ou en Angleterre. Il y a une question qui est posée : est-ce que le client français pourra se mettre au niveau des Anglais ou des Allemands en ce qui concerne le prix des places ?

Jean-Michel Aulas : Ça va dépendre des hommes politiques et de leur capacité à faire évoluer le pouvoir d’achat (rires).

2. Des stades neufs pour l’Euro 2016 ?

Lyon Capitale : Le rapport Séguin conclut qu’il faut rénover en profondeur nos stades si la France souhaite obtenir l’Euro 2016. Partagez-vous cette analyse ?

Étienne Tête : Il y a une chose que le rapport ne dit pas. Depuis 1960, la France et l’Italie ont déjà reçu deux fois cette compétition ; l’Angleterre, l’Espagne et l’Allemagne une seule. Donc la chance que l’on ait l’Euro 2016 est epsilon. Le rapport Séguin dit par contre qu’il faut huit stades de plus de 30 000 places. Or la France en possède déjà onze ! C’est uniquement un problème de mise aux normes : l’accueil des journalistes, les lumières…

Lyon Capitale : Philippe Séguin insiste sur le fait qu’un simple ravalement des stades ne suffira pas...

Étienne Tête : Ça c’est la position de M. Séguin, mais ce n’est pas dans le rapport ! Il souhaite des stades privés bien sûr, mais il n’en privilégie aucun. Celui de Lille est déjà voté et libre de tout recours… A-t-on besoin d’un autre ? Le rapport dit aussi que l’État ne mettra pas un centime là-dedans. Au contraire, il propose que la taxe des spectacles, perçue par les collectivités locales, soit remplacée par la TVA, perçue par l’État !

Jean-Michel Aulas : C’est un peu paradoxal de voir Étienne Tête, qui ne participait pas à la commission Séguin et qui a des connaissances modestes en matière de football, se permettre de dire que la France n’a aucune chance d’obtenir l’Euro 2016. Je crois au contraire qu’il y a une réceptivité très forte à cette candidature de la part de l’UEFA, présidée par Michel Platini… En plus, l’Euro 2016 va passer à 32 équipes,,,

Étienne Tête : Ça ne change pas le besoin en stades !

Jean-Michel Aulas : Ça change la configuration des stades. J’aurais plaisir un jour à inviter Étienne Tête à manger pour lui expliquer ce qui se passe dans le football…

Étienne Tête : C’est moi qui vous invite chez Bocuse si la France décroche l’Euro 2016 ! (rires) C’est un grand cuisinier qui fait aussi connaître Lyon à l’international…

Thierry Braillard : Mais le rayonnement de la ville grâce à l’OL… c’est fabuleux ! Comment peut-on affirmer qu’il n’y a pas besoin de construire un grand stade à Lyon, puisqu’il y en aura déjà un à Lille ou à Strasbourg ? Et tant pis si l’OL arrête de se développer ? Au nom de Gérard Collomb, je dis que nous sommes extrêmement favorables au grand stade. Et nous trouvons dans le rapport Séguin beaucoup de réponses à certains problèmes. Il faut maintenant qu’il soit suivi d’effets, que le gouvernement propose une loi, que le Parlement la vote, et que l’on passe aux choses sérieuses.

Michel Forissier : Ce rapport ne fait pas avancer le dossier de Décines. Il ne se positionne sur aucun cas particulier. La réalité de ce projet, c’est qu’il y a eu beaucoup de communication… mais pas assez de boulot avec l’ensemble des élus ! On nous parle d’intérêt général, alors qu’on est dans l’intérêt privé d’un groupe financier ! C’est ça qui est grave ! On ne peut pas laisser penser qu’un projet privé va devenir d’intérêt général et bénéficier de la puissance d’un projet public. On s’attaque à l’article 17 de la déclaration des Droits de l’homme (droit à la propriété) !

Thierry Braillard : On est dans l’intérêt général comme on peut l’être avec Eurexpo. Et pourtant, est-ce une structure publique ? Bien sûr que non. On souhaite faire un cas du football, alors que sur d’autres cas, on ferme les yeux.

Étienne Tête : Si le stade de Lille se fait avant, il y aura moins “d’intérêt général” à faire celui de Lyon.
En revanche, le rapport dit deux choses. Un, on ne pourra pas exproprier pour faire un projet privé.
Deux, pour pouvoir donner de l’argent public sur des projets privés, il faudra changer la loi en France et demander l’autorisation à la Commission Européenne.

Jean-Michel Aulas : Aurons-nous l’Euro 2016 ? J’en suis convaincu. Avons-nous intérêt à avoir un stade à Lyon qui permette d’accueillir une finale ou un match d’ouverture ? Bien évidemment. Ce serait fondamental pour l’agglomération.

3. Pas assez riches les clubs français ?

Lyon Capitale : D’après le rapport Besson, les clubs français ne sont pas assez riches. Un spectateur dépense quatre fois moins en France qu’en Angleterre. N’est-ce pas l’aspect clé du projet OL Land : permettre à l’OL de dégager de nouvelles ressources, en incitant les gens à dépenser plus quand ils vont au stade ?

Jean-Michel Aulas : Bien évidemment. La vie évolue et les homme politiques sont là pour anticiper, pas pour s’accrocher à des idées vieillottes. Il faut avoir des projets. Pour le foot, le projet c’est des stades sécurisés où l’on pourra aller en famille, avec la possibilité évidemment de consommer, déjeuner, dîner, acheter des produits… C’est une idée novatrice qui fonctionne déjà en Allemagne ou en Angleterre. Il faut vivre avec son temps.

Lyon Capitale : Est-ce que les prix des places vont augmenter ?

Jean-Michel Aulas : On construit ces infrastructures, parce que cela répond à des besoins. 62 000 places, cela permettra à chacun de trouver le tarif et les prestations qui lui correspondent. On aura un échantillon plus large.

Lyon Capitale : En Angleterre, les stades sont devenus trop chers…

Jean-Michel Aulas : Ce n’est pas trop cher puisque les stades sont pleins.

Lyon Capitale : Les couches populaires n’y sont plus…

Jean-Michel Aulas : Mais bien sûr que si ! Je vais voir deux ou trois fois par mois des matches anglais, il y a bien évidemment des fans. La taille est différente mais toutes les catégories de gens sont représentées.

Étienne Tête : Moi, ça ne me choque pas qu’on décide de faire du foot un produit, avec des produits complémentaires. Le cinéma a eu aussi cette évolution. Si la croissance économique est au rendez-vous, il n’y a pas de raison que cela ne marche pas. On voit cependant que tous les modèles ne fonctionnent pas. En Italie, ils ne remplissent pas leurs stades…

Jean-Michel Aulas : Parce que leurs stades sont obsolètes et qu’il n’y a pas de sécurité. C’est le même diagnostic qu’en France ! Pour avoir du monde, il faut des stades modernes…

4. Le grand stade à Gerland ?

Lyon Capitale : Si ce grand stade est nécessaire, pourquoi ne pas le faire à Gerland ?

Jean-Michel Aulas : Notre première initiative à été de mandater le cabinet Constantin, il y a cinq ans, pour voir si on pouvait s’installer durablement à Gerland. L’OL a investi autour de Gerland près de 10 millions d’euros, pour installer son centre de formation, ses terrains d’entraînement. Si nous ne restons pas, c’est que cela n’était pas possible. Pourquoi ? D’une part pour la superficie : à Décines, on dispose de 70 hectares. À Gerland, de moins de 4 ! Par ailleurs, l’accessibilité de Gerland est une catastrophe. Les gens mettent une heure et demi en sortant du stade pour rentrer chez eux. Même le maire du 7e part cinq minutes avant la fin pour ne pas rester bloqué dans les embouteillages. Ensuite, Gerland est dans une zone Seveso, ce qui interdit les constructions. Enfin, c’est un bâtiment classé.

Lyon Capitale : Ce qui n’empêche pas de faire des choses : on l’a vu avec l’Opéra de Lyon…

Jean-Michel Aulas : Je connais parfaitement bien le sujet de Gerland, puisque j’étais déjà en place lors des derniers travaux. Je peux vous dire que c’est beaucoup plus complexe. Je tiens à votre disposition le rapport de l’architecte Constantin qui démontre qu’on ne peut pas le faire.

Lyon Capitale : Un autre rapport d’architecte estime que c’est possible…

Jean-Michel Aulas : Oui, c’est un ancien collaborateur de M. Constantin, qui a l’époque était chez lui et qui avait signé son rapport. Vous voyez la crédibilité de l’opération… Évidemment, on peut dire n’importe quoi. Mais la réalité c’est que si cela avait été possible, on aurait sauté sur l’occasion !

Étienne Tête : L’argument du bâtiment classé, ça ne tient pas la route, dès lors qu’il y a une volonté politique… À la cité internationale, tout a été rasé malgré l’opposition des Bâtiments de France. On a seulement pu négocier avec le ministre de la culture de garder un souvenir - l’Atrium.

Jean-Michel Aulas : L’exception ne fait pas la règle. Je peux vous assurer qu’à Gerland vous ne pourrez pas modifier les arches.

Étienne Tête : Le Grand Bazar aussi a été démoli : on a considéré que ce n’était pas une oeuvre majeure. Pour Tony Garnier, il y a des oeuvres plus majeures, comme la Halle. Donc on pourra faire les modifications nécessaires. La zone Seveso ? Gerland va en être retiré, donc l’argument est tombé.

Jean-Michel Aulas : Non, il va tomber. Peut-être.

Étienne Tête : Il sera tombé quand on construira. Troisième argument, Gérard Collomb a expliqué que pendant les travaux à Gerland, il y aurait une perte de recettes pour l’OL. Moi je suis pour qu’on indemnise l’OL, ça nous coûtera moins cher que les travaux d’accessibilité à Décines. Il ne reste finalement qu’un seul argument contre Gerland : les terrains disponibles. Ce n’est pas un stade que l’on construit : c’est OL Land, un stade et 50 000 m2 de bâtiments autour. C’est vrai, on ne peut pas les mettre à Gerland. Mais est-ce que ces bâtiments - les deux hôtels et le reste - sont d’intérêt général ? (…) Moi j’étais partisan de vous vendre Gerland, au prix d’un stade “d’occasion”. Vous-même, vous avez pensé que c’était faisable : vous saviez qu’il n’y avait pas 70 hectares à Gerland avant même de commander un projet à Constantin. Mais c’est en faisant votre business plan, que vous vous êtes dit qu’un stade ne suffisait pas, qu’il fallait aussi faire une opération d’urbanisme, un OL Land.

Michel Forissier : Gerland, ce n’est pas de notre ressort. C’est à l’entreprise OL Group de décider si elle veut investir à Gerland ou ailleurs.

Jean-Michel Aulas : On a un grand avantage, on n’a pas de position dogmatique. Si Gerland nous avait convenu pourquoi voulez-vous qu’on aille ailleurs ? Mais Seveso, mais les Bâtiments de France, mais les 4 hectares… Il y avait des espaces disponibles autour de Gerland, ils ont été amputés par la construction d’un parc et d’une Université… Ce sont des décisions politiques, pas des décisions de gestionnaires.

Thierry Braillard : Je vais être un petit peu polémique si vous me le permettez. (…) Tête parle de vendre Gerland, on a étudié l’idée d’un bail emphytéotique (en général de 99 ans, ndlr). Mais au final, la rénovation d’un équipement coûte plus cher qu’un nouvel équipement plus moderne et mieux adapté aux besoins. On respecte le choix qui est fait par l’OL et on le partage : rester à Gerland aurait été un choix de replâtrage et on peut concevoir que Jean-Michel Aulas ait eu envie de poursuivre son aventure européenne plutôt que de la restreindre.

5. L’avenir de Gerland

Lyon Capitale : Qu’est ce que la municipalité fera de Gerland ?

Thierry Braillard : L’UMP avait proposé d’y installer une deuxième équipe de football ; je la cherche encore. Il y a un deuxième club professionnel dans l’agglomération : le Lou. Le stade de Gerland sera donc adapté. D’accord, le rugby n’est pas le foot. Mais on a la chance d’avoir un des meilleurs clubs d’Europe, l’OL. On doit s’adapter. Tout comme il a fallu s’adapter avec l’Opéra. Tout comme on s’adapte pour les grands congrès, en faisant les investissements nécessaires. (…) J’étais ramasseur de ballons à 7 ans à Gerland. Et mon fils pourrait être ramasseur de ballons dans la même enceinte ? On ne peut pas se satisfaire en 2008 d’une enceinte construite en 1920. Il y a les conservateurs et les progressistes. Moi je fais partie des progressistes, qui pensent que le Palais des Sports et le stade de Gerland sont inadaptés aux besoins des équipes qui les utilisent.

Jean-Michel Aulas : Pour Gerland, je pense qu’il y a la possibilité de faire des travaux pour accueillir le LOU Rugby. L’OL peut d’ailleurs aider ce club à prendre de l’envergure. Il paraît légitime de chercher une alliance, qui permette de rentabiliser Gerland et surtout de trouver une solution pour le LOU, qui joue aujourd’hui sur un terrain qui n’est pas adapté à la pratique du haut niveau.

Michel Forissier : Gerland, c’est 40 000 places, ce n’est pas rien. Un stade de rugby ? Ça représenterait de gros frais, car les attentes d’un spectateur de rugby ne sont pas les mêmes que celles d’un spectateur de foot…

6. Écolo l’OL Land ?

Lyon Capitale : À quoi ressemblera le grand stade ?

Jean-Michel Aulas : Ce sera un stade magnifique fondé sur des valeurs propres à la ville - la lumière et l’écologie -, un stade très transparent - on voit d’un côté à l’autre - pour qu’on puisse profiter de ce centre de loisirs, des hôtels et bien sûr de la zone d’accueil. Il y aura une esplanade tout autour, ce qui permettra aux villes voisines de profiter d’une zone verte extrêmement agréable… Comme tous les grands stades européens qui sont devenus des lieux mythiques, où les gens viennent se promener, se détendre…

Lyon Capitale : Quels sont les avantages et les inconvénients du site ?

Étienne Tête : Les avantages, ils sont compréhensibles pour l’OL : il y a de l’espace. Les inconvénients, c’est la contrepartie : c’est un terrain qui n’est absolument pas desservi par des transports collectifs forts. Les voies d’accès vont créer des nuisances et détruire le V-Vert (espace naturel). Ce n’est pas le stade en lui-même qui va détruire l’environnement, mais tout ce qu’on va mettre autour.

Jean-Michel Aulas : Sur le V-Vert, on a beaucoup consulté les associations pour trouver des formules. Et tout ce qui pouvait être critiquable a été modifié. On a fait valider par l’Ademe tout ce qui pouvait être fait au niveau de la construction. Nous avons utilisé les techniques de panneaux photovoltaïques sur le toit pour récupérer notre énergie. Ce sera un stade écologique. Les parois ont aussi été étudiées pour que le bruit reste à l’intérieur.

Lyon Capitale : Donc les voisins ne sauront pas quand un but sera marqué dans le stade ?

Jean-Michel Aulas : Je ne pense pas.

Michel Forissier : (…) Le concept est bon, mais c’est faux de dire que les voisins n’entendront rien. Il y aura forcément des nuisances. Même en faisant de la haute qualité environnementale, quand on construit quelque chose de colossal, une belle réalisation architecturale de 60 mètres de haut, c’est forcément négatif pour l’environnement.

Thierry Braillard : (…) Je sais que Gérard Collomb a été attentif au fait que ce stade soit exemplaire en matière de développement durable.

Étienne Tête : Le problème, c’est le bilan carbone global. Tant que l’on n’a pas résolu le problème des déplacements, on aura un bilan extrêmement négatif. Pour plaisanter : écologiquement, le meilleur spectateur de foot, c’est le téléspectateur. Donc, moi, je suis pour le développement des téléspectateurs !

Jean-Michel Aulas : Je pense que cela fera beaucoup rire les supporters et les gens qui votent (ironique).

7. Qui paye quoi ?

Lyon Capitale : Finalement, qui paye quoi dans ce projet ?

Jean-Michel Aulas : Vous avez un plan d’aménagement de l’Est Lyonnais, une région de l’agglomération qui se développe mais qui a des retards surtout en matière de transports en commun. À l’intérieur de ce plan, il y a un nouveau projet : OL Land. Pour le stade et le foncier, c’est un investissement privé de 300 à 320 millions d’euros, peut-être un peu plus selon les options. Autour du stade, il y aura aussi des investissements privés, avec nos partenaires, de l’ordre d’une centaine de millions d’euros. Et puis il y a des aménagements, liés au plan d’aménagement de l’Est, de l’ordre de 180 millions d’euros qui seront payés par les collectivités locales et par l’État…

Lyon Capitale : Pour financer l’accès au stade…

Jean-Michel Aulas : Non, ce sont des aménagements du secteur, dont l’accès au stade. Par exemple des voies qui étaient prévues depuis vingt ans par le Conseil général… Elles ne sont donc pas faites uniquement pour le stade ! Quand on construit un parking à Meyzieu, on résout deux problèmes : on fait un parking relais qui permet aux gens de prendre le tram le matin. Et on facilite l’accès au stade les soirs de match.

Étienne Tête : Certains projets n’étaient dans aucun plan. Le Sytral a dû supprimer d’autres projets plus utiles pour financer la desserte du grand stade.

Jean-Michel Aulas : Ce n’est pas ce que dit le président du Sytral (Bernard Rivalta, PS, ndlr).

Étienne Tête : Lui, c’est un autre débat.

Jean-Michel Aulas : Je vois qu’il y a vraiment vous et les autres…

Étienne Tête : J’ai été content d’avoir été avec René Dumont et d’avoir été le seul à parler de l’effet de serre (en 1974). J’ai été content avec les écologistes d’avoir été le seul à expliquer que les biocarburants allaient créer la misère et la faim dans le monde. Donc ça ne me dérange pas d’être seul sur certains sujets.

Jean-Michel Aulas : On ne peut pas avoir faux sur tous les sujets…

Étienne Tête : Vous ne pouvez pas dire que ces projets allaient se faire même sans le Grand Stade… Ce sont des choix. Il manque 150 millions d’euros, pour mettre à jour les Hospices Civils de Lyon, c’est-à-dire à peu près autant que les dépenses publiques autour du Grand Stade. Moi je préfère les hôpitaux au Grand Stade.

Thierry Braillard : C’est de la démagogie. Il y a aussi des gens qui meurent de faim… La politique c’est global. Ce n’est pas opposer un projet à un autre. Sinon on peut aussi parler de ce que coûte l’Opéra par rapport à d’autres institutions culturelles. C’est un débat sans fin. En terme d’accessibilité, il y a des grands projets qui ont été mis sur rails sous l’ancien mandat : Léa, Lesly et même Real, développés par la Région. Ils vont contribuer à l’essor d’OL Land, sans que l’on puisse dire qu’on ne les a faits que pour le foot. Je reste persuadé qu’on peut encore améliorer ce plan d’accessibilité, avec l’aide de l’État. On doit s’inspirer de l’Allianz Arena de Munich, un stade privé où l’État et les collectivités locales ont payé les accès. Quand on y est allé avec Jean-Michel Aulas, on a mis quinze minutes pour se rendre au stade et quinze minutes pour en repartir.

8. Un métro à Décines ?

Lyon Capitale : Les transports en commun prévus pour accéder au stade suffiront-ils ?

Michel Forissier : Ils sont dérisoires par rapport aux besoins. Le stade de Gerland est desservi par un métro, Décines par un tramway… Le plan de déplacements du grand stade est contraire aux principes du Grenelle de l’environnement. On va créer des parkings, faire déplacer plus de 20 000 véhicules dans un secteur qui connaît déjà des problèmes de circulation et de stationnement… Si on avait su qu’on allait faire un stade à Décines, on n’aurait pas fait le tram Léa, on aurait fait un métro… Maintenant, la solution, c’est de prolonger Léa en direction de l’Isère pour créer un parking relais plus loin et qu’il n’y en ait pas un de 5000 places à Meyzieu - ça j’y suis opposé. Gérard Collomb m’a fait le même coup en 2002 : j’ai appris dans la presse qu’Eurexpo allait venir à Meyzieu… Mais il n’y a pas la place à Meyzieu, ça ne s’est donc pas fait ! Quand après on a dit que le Grand Stade allait venir ici, je me suis dit aussi que ça ne se ferait pas. Car quelle serait la raison de mettre autant de transports en commun sur ce secteur ? Il n’y en a pas. En réalité, l’amélioration des transports en commun ne servira que pour le stade.

Lyon Capitale : Et le développement du secteur…

Michel Forissier : Non, parce qu’on a suffisamment de transports en commun. Ce qui nous manque, c’est de la desserte locale, des bus de rabattement sur Léa… Ce qu’on ne fera pas, parce que le grand stade va tout prendre et qu’on ne peut pas dépenser deux fois l’argent du contribuable. Pour moi, le Stade aurait été le bienvenu sur l’axe Saint Exupéry - Eurexpo - Lyon. Pas du tout à Décines. Le tramway qui va venir à Eurexpo, c’est un tortillard ! Il va rouler à 30 km/h. D’ailleurs, je demande qu’on me montre les études qui ont été faites sur les transports. On me donne toujours plein de chiffres, mais on ne m’a jamais produit les études…

Lyon Capitale : Comment se fera l’accès au stade ?

Jean-Michel Aulas : C’est simple. Grosso modo, 8 % de spectateurs vont venir en cars spéciaux ou en modes doux. 63 % arriveront en transports en commun (en comptant ceux qui prendront les navettes depuis les parkings excentrés). 28 % des gens seulement viendront au stade en voiture, où il n’y aura que 7000 places. On devait en faire plus, mais on a modifié notre projet pour tenir comptes des remarques des amis d’Étienne Tête. Je suis ravi des suggestions de Michel Forissier, car on peut tout à fait imaginer des solutions de parkings déportés un peu plus loin.

Lyon Capitale : Mais concrètement, comment amenez-vous 40 000 personnes au stade avec un tramway et des bus?

Jean-Michel Aulas : C’est une question de béotien. Vous imaginez bien que lorsqu’on investit des sommes considérables, on se pose la question avec beaucoup plus d’acuité que vous ne le faites. Pour sortir de Gerland, il faut actuellement 1h30. À Décines, il faudra une heure. L’accessibilité de Décines est infiniment meilleure que celle de Gerland. Sur les photos satellites, on voit que l’accès à Décines est évident, grâce au périphérique, et que Gerland est un “cul-de-sac”. Le métro ne résout pas le problème : seulement 7000 personnes l’utilisent les soirs de match, alors qu’on en souhaiterait beaucoup plus… Ce n’est pas le métro qui est en cause, c’est un problème de provenance des spectateurs.

Tous ces calculs ont été faits par les meilleurs spécialistes européens. C’est un peu moderne, ça change les habitudes. Mais vous savez - autre sujet - la crise est redoutable pour les hommes politiques : comment trouver des solutions contre le chômage, pour aider les entreprises ? Je suis conseiller à la Banque de France, les retours d’informations de tous les secteurs d’activité sont catastrophiques, surtout sur le bâtiment. Et bien là, on a un projet formidable qui est prêt sur le plan administratif - il n’y a plus qu’à lever certaines difficultés juridiques et politiques… C’est un projet qui peut nourrir 2 500 personnes pendant trois ans et qui peut relancer l’activité économique de la région. Si j’étais un homme politique, je sauterais sur cette occasion, indépendamment des difficultés qui existent et que je ne nie pas. Croyez-moi, c’est une opportunité fantastique pour notre région et notre ville.

Étienne Tête : Le problème du tramway, c’est que dès qu’on augmente le débit, on bloque globalement les voitures et donc la ville dans tous ses déplacements. Mais les transports sont mieux étudiés aujourd’hui qu’il y a huit mois…

Jean-Michel Aulas : On a progressé grâce à vous, si c’est ce que vous voulez entendre.

Étienne Tête : Mais l’enquête publique a été faite sur les vieux projets. Les projets que vous nous présentez n’étaient donc pas “dans les tiroirs”. (…) Le point important, c’est de reconnaître qu’il s’agit de projets nouveaux, menés uniquement pour OL Land. Ça veut dire deux choses. Un : avec ces équipements, on rend constructibles des terrains qui ne le sont pas. Il ne s’agirait pas qu’ils soient cédés au prix de terrains non constructibles. Ça c’est le tabou : à quel prix les collectivités vont céder leurs terrains ?

Deux : on mesure toujours le contenu en emplois d’un chiffre d’affaires pour savoir s’il est intéressant d’aider une entreprise. Vous êtes un formidable chef d’entreprise… Mais je vous préfère dans votre rôle à Cegid, environ 2400 salariés, avec un chiffre d’affaires de 240 millions d’euros. L’OL c’est 210 millions d’euros, mais seulement 200 emplois ! Je préfère votre réussite à Cegid qui est riche en emplois, aux projets de foot qui sont par nature très peu créateurs d’emplois par rapport à l’investissement public.

Jean-Michel Aulas : On va créer plus de 2000 emplois pendant deux ans sur le chantier.

Étienne Tête : Dans le couloir de la chimie, une entreprise que je ne cite pas va investir 600 millions d’euros - deux fois ce que vous allez faire - pour se mettre aux normes chimiques. Elle ne demande pas un seul centime d’argent public.

Jean-Michel Aulas : Mais vous plaisantez, toutes ces entreprises sont bien reliées par des transports publics, des routes publiques…

Étienne Tête : On n’y fait pas un seul investissement nouveau.

Jean-Michel Aulas : C’est un propos extrêmement partisan. (…) On ne demande pas d’argent public, on est en train au contraire de désengager les collectivités et l’État d’investissements qui étaient initialement à leur charge. (…) Il ne faut pas rompre les équilibres entre public et privé. Si vous voulez un stade privé, il faut bien que la collectivité joue son rôle et permette d’y amener les gens. (…) Quand on est dogmatique, on peut toujours tout défendre en politique. Moi je suis fier d’avoir pu travailler avec mes amis sur un projet qui sera exemplaire non seulement en France sur le plan du football, mais exemplaire sur le plan de la vie du citoyen.

Étienne Tête : Mais je défends totalement l’intérêt général quand je propose d’investir en priorité non dans le stade, mais dans les transports collectifs, la lutte contre la pollution, la rénovation des hôpitaux de Lyon…

9. Conclusions

Lyon Capitale : Un mot de conclusion ?

Thierry Braillard : Je souhaite, dans le futur stade, que les Verts continuent à perdre ! Je parle foot, bien sûr (rires).

Michel Forissier : Le lieu qui a été choisi n’est pas approprié pour recevoir un effort important en transports en commun.

Lyon Capitale : Est-ce que vous vous attendiez au moment de lancer ce projet à une telle opposition ?

Jean-Michel Aulas : Nous n’avions pas imaginé qu’il y ait une opposition politique, parce qu’on avait pris soin de sonder l’ensemble du public et que 80 % des Lyonnais sont favorables à ce projet. Donc nous avons été surpris. Mais ça fait partie de l’éducation politique… Je suis un modeste chef d’entreprise, au demeurant de province. J’ai appris avec nos amis à en tenir compte - c’est probablement la plus grande victoire d’Étienne Tête et de Michel Forissier - et d’essayer de trouver des solutions à des vrais problèmes. Après qu’on puisse tous ensemble - entrepreneurs privés, hommes politiques de droite, de gauche, du centre, écologistes… - faire en sorte de progresser pour le supporter lyonnais, pour l’image de la ville et d’une manière générale pour le citoyen, ça me motive. Je n’ai donc pas perdu mon temps.

Étienne Tête : Le monde a changé. Le football est passé de l’amateurisme au professionnalisme, au commerce. Il faut recalibrer ce qui est de la fonction publique et ce qui est de la fonction privée. Le football d’aujourd’hui va se financer sur des fonds privés comme n’importe quelle entreprise. C’est vers ça qu’il faut tendre à l’avenir. Il ne faut pas rester dans une demi-mesuree, qui consiste à demander d’importants équipements publics pour rendre crédible un projet privé. Pour retrouver un meilleur équilibre, le rapport Besson préconise de limiter le nombre et les rémunérations des joueurs. Je partage ce point de vue.

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