Affaires “Cahuzac” et “Grégory” : les voix à l’épreuve de la vérité

L’affaire “Cahuzac” connaît un nouveau rebondissement grâce à l’expertise de l’enregistrement sonore que réalise la police scientifique d’Écully (69) depuis le début du mois de janvier. Dans le même temps, à Rosny-sous-Bois, c’est l’affaire “Grégory”, datée de 1984, qui pourrait rebondir grâce, là aussi, à l’expertise sonore de la voix du corbeau. Mais, si la technique est très sophistiquée, le résultat n’est pas fiable à 100%.

Les deux affaires n’ont rien en commun mais pourraient connaître un nouveau rebondissement grâce à… la reconnaissance vocale. La première expertise est sur le point de se terminer à Lyon. Les techniciens de la police scientifique d’Écully analysent la fameuse bande sonore qui mettrait en cause le ministre du Budget, Jérôme Cahuzac, sur la détention d’un compte non déclaré chez UBS, en Suisse. Un peu plus de trois minutes d’enregistrement datant de 2000, dans lequel Jérôme Cahuzac aurait déclaré : “Ça me fait chier d’avoir un compte ouvert là-bas, l’UBS c’est quand même pas forcément la plus planquée des banques.” L’enregistrement, révélé au public par le site Mediapart début décembre, fait depuis l’objet d’une enquête préliminaire, ouverte à la demande du parquet de Paris, pour blanchiment de fraude. Elle porte sur l’authenticité de la cassette, le support et les comparaisons vocales. Selon Mediapart, qui publiait l’information vendredi 15 mars, les experts auraient authentifié la cassette et la voix du ministre.

“Mettre un nom sur la voix du corbeau”

La seconde expertise est très discrètement en cours à Rosny-sous-Bois, en région parisienne, chez d’autres experts scientifiques. Elle concerne l’affaire du “petit Grégory”, découvert noyé, pieds et poings liés, dans la Vologne, le 16 octobre 1984. Près de trente ans après les faits, la justice a décidé de rouvrir l’enquête. “Nous voulons mettre un nom sur la voix du corbeau”, nous a indiqué Jean-Marie Beney, le procureur de Dijon, dont la chambre de l’instruction a ordonné, en 2012, les nouvelles expertises. Plusieurs cassettes d’époque correspondant aux enregistrements des journalistes ont été récupérées à l’Institut national de l’audiovisuel (INA) où elles étaient soigneusement conservées. Elles ont ensuite été envoyées au laboratoire parisien pour les comparer aux bandes sonores de la voix du corbeau enregistrées par la famille Villemin, lors de nombreux appels malveillants, quelques mois avant la mort du garçonnet de quatre ans.

Logiciel Batvox

Dans les années 1980, deux expertises ont tenté une reconnaissance vocale dans cette affaire. En vain. “Les techniques n’étaient pas assez élaborées et les enregistrements sont de très mauvaise qualité”, confie Laurence Lacour, ancienne journaliste d’Europe 1 qui a couvert l’affaire jusque dans les années 2000. Mais les techniques évoluent, et le logiciel Batvox, créé par des chercheurs espagnols, a fait ses preuves du côté de la Guardia Civil où il a permis de confondre plusieurs criminels, dont des membres de l’ETA. Dans l’affaire Cahuzac comme dans l’affaire Grégory, c’est aussi Batvox qui est utilisé par les experts de la police scientifique.

Bruits de fond

Batvox peut-il permettre de connaître la vérité ? “Le principe de ce logiciel est basé sur de la statistique, explique Nancy Bertin, chercheuse à l’Institut de recherche en informatique et systèmes aléatoires (Irisa, Rennes). Un premier échantillon de voix va servir de “référence” pour construire un modèle statistique basé sur les fréquences de voix, la vibration de l’air, etc. Avec un deuxième échantillon de voix “test”, on va essayer de calculer avec quelle probabilité ce nouvel échantillon a été produit par le modèle.” Dans le cadre de l’affaire Grégory, les enregistrements des journalistes serviront de voix de “référence”, la bande sonore du corbeau sera la voix “test”. “Les analyses peuvent prendre beaucoup de temps car, plus les enregistrements sont nombreux, plus les comparaisons sont longues, poursuit Nancy Bertin. Il faut aussi isoler les sons, enlever les bruits de fond…”

“La voix est une signature”

Mais les résultats ne sont pas fiables à 100%. “Contrairement à l’ADN, qui est une empreinte unique et non évolutive, prévient la chercheuse, la voix est une signature. Deux personnes peuvent avoir le même timbre de voix, la voix peut changer dans le temps et elle est aussi modifiable. En matière judiciaire, la reconnaissance vocale n’est donc pas une preuve irréfutable pour l’identification d’une personne. À cause d’un bruit de fond ou d’un micro différent sur les deux bandes sonores, le contenu fréquentiel peut être modifié. La technique a beau être très sophistiquée, elle ne permet, selon moi, que d’orienter une enquête quand on ne sait plus où chercher.”

Marge d’erreur

“En revanche, dans le cas de l’affaire Cahuzac, note Nancy Bertin, les conditions sont moins difficiles, car il n’est pas besoin de comparer la voix avec plusieurs personnes. Il ne s’agit pas d’une identification mais d’une vérification. On cherche simplement à savoir si c’est bien M. Cahuzac qui a parlé. Le résultat est sans doute plus fiable, mais il existera toujours une marge d’erreur.” Il n’empêche qu’en matière de droit pénal la preuve est libre. Le procureur de Paris, François Molins, pourra donc décider de l’ouverture d’une information judiciaire pour élargir les investigations au plan international.

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