Nobody Célestins 16-17
© Simon Gosselin

Théâtre : aux Célestins il y a Personne, un consultant comme un autre

Unique sur la forme et saisissant sur le fond, Nobody vient clôturer en beauté la saison théâtrale. Avant de passer aux festivals d’été ou de s’intéresser à la prochaine saison, il nous a paru essentiel de vous alerter sur cet étrange objet théâtral et cinématographique conçu par Cyril Teste et le collectif MxM.

Son nom est Personne, Jean Personne. C’est le héros de Nobody, à l’affiche des Célestins cette semaine. Ce jeune héros n’a rien à voir avec Terence Hill (acteur du western parodique Mon nom est Personne en 1973), mais son patronyme n’est pas du tout un hasard. Il illustre la volonté du spectacle de montrer la déshumanisation à l’œuvre dans nos sociétés modernes. On suit l’itinéraire de Jean Personne, “consultant en restructuration d’entreprise”, durant les quelques jours qu’il va passer dans une de ces start-up tant vantées par notre nouveau président de la République. Ici, les employés sont jeunes et beaux, les costumes de ces petits messieurs sont impeccables, de même que leur cravate noire sur leur chemise immaculée. Et les robes des femmes se marient parfaitement à leur silhouette mince et sexy. L’objet, le but de cette boîte (le mot est ici on ne peut plus adapté), on n’en sait pas grand-chose et on n’en saura pas plus à l’issue de la représentation.

Meetings, entretiens, pots : la comédie sociale

Les employés s’échangent des dossier (voire se les disputent violemment) dont on ne connaîtra jamais le contenu. Tout est noyé dans un sabir managérial peu compréhensible, fait de mots empruntés à l’anglais, d’acronymes pseudo-savants ou de termes techniques inaccessibles au profane. C’est qu’en fait la nature de l’activité de cette entreprise n’est pas le sujet de cette pièce tirée de textes de Falk Richter. Ce qui compte, c’est la comédie sociale qui s’y joue. À travers les case meetings, entretiens en binôme, les réunions diverses, l’accueil d’un nouveau stagiaire ou même le pot pour fêter tel ou tel contrat, on voit surtout les intrigues qui se forment, les relations qui se nouent. L’intérêt personnel semble en être le seul ressort, y compris dans les étreintes sordides derrière la photocopieuse… L’univers dépeint n’est pas loin de celui que Michel Houellebecq décrivait dans Extension du domaine de la lutte, en 1994. Sauf qu’il est devenu encore plus dur, encore plus terrible.

Tout le monde espionne tout le monde

Les nouvelles technologies ont aboli toute frontière entre vie privée et vie professionnelle. Impossible de se soustraire à la pression de l’entreprise quand votre chef vous envoie des textos, quand vous partez en week-end avec votre ordinateur portable pour finir le travail en retard. Ou quand votre partenaire de squash est aussi celui qui doit vous évaluer... Dans cette entreprise qui semble concentrer tous les défauts des sociétés modernes, tout le monde espionne tout le monde. Secrètement ou non, chacun a pour mission d’évaluer ses collaborateurs, qui eux-mêmes doivent vous évaluer. C’est cet enfer que Nobody décrit, avec un humour et une précision implacables. Pour cela, Cyril Teste et le collectif MxM, ont conçu le dispositif idéal.

À la fois au cinéma et au théâtre

Entre le public et la scène se dresse une paroi de verre. Derrière, se déploie un univers de bureaux, avec des employés et leurs ordinateurs portables, une salle de réunion, une photocopieuse… Au-dessus de la baie vitrée, un écran où l’action, les dialogues sont reproduits en gros plan, isolant les expressions, les visages, certains détails de ce qui se passe en direct sur la scène. Les acteurs jouent à la fois devant le public et sous l’œil de caméras. On est captivé tout en découvrant une nouvelle sensation : celle d’être à la fois au cinéma et au théâtre ! L’impression de vérité, accentuée par le travail sur le son, en est renforcée, on partage littéralement la vie de ces employés. L’expérience est instructive, salubre autant que passionnante.

Nobody – Du 13 au 17 juin à 20h, au théâtre des Célestins
> Bord de scène mercredi 14 juin : rencontre avec l’équipe après la représentation
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