Lyon revit son Mai 68

A Lyon, le mouvement a connu des événements décisifs, avec notament le premier mort de Mai, le commissaire Lacroix, écrasé par un camion le 24 mai. Lyon Capitale vous fait revivre les événements au jour-le-jour à l'occasion de la grande exposition que la bibliothèque municipale de la Part-Dieu consacre à Mai 68, à partir du 8 avril.

Entretien avec Michelle Zancarini-Fournel, professeur d'histoire à Lyon 1 et conseillère scientifique de l'exposition et de la journée d'étude organisée par la bibliothèque municipale. Elle vient aussi de publier sous sa direction,
68, une histoire collective, aux éditions La Découverte.

Lyon Capitale. Quelles sont les particularités lyonnaises de Mai 68 ?
Michelle Zancarini-Fournel : D'une part la précocité de la rencontre entre ouvriers et étudiants (en 1967 autour des grèves de la Rhodiaceta-Vaise). D'autre part, des grèves étudiantes qui ont démarré très tôt (le 6 mai), à partir du campus de La Doua. La violence est aussi une dimension importante de Mai 68 à Lyon, avec le premier mort de Mai 68 du côté des forces de l'ordre et la réaction violente du Préfet qui a suivi (notamment les descentes de police dans le quartier immigré autour de la place du Pont après le 24 mai). Il y a eu aussi plus d'affrontements directs entre étudiants d'extrême-droite (qui ont attaqué la faculté de lettres le 4 juin) et d'extrême-gauche qui étaient soutenus par des jeunes hommes appelés "trimards", des marginaux qui s'étaient installés dans la faculté occupée.

Lyon a connu le premier mort de mai. Comment analysez-vous l'intrusion de la violence dans le mouvement ?
Il y a sans doute une part de hasard malheureux, mais aussi un état des forces politiques et syndicales qui a conduit le 24 mai à un isolement des étudiants et des jeunes ouvriers qui se sont retrouvés dans la rue sans direction ferme de la manifestation. D'où plusieurs cortèges qui ont pris en tenaille les forces de l'ordre massées à l'entrée du Pont Lafayette et des initiatives isolées (faire des barricades un peu partout dans le quartier, lâcher un camion remplis de pierres sur le pont Lafayette etc...). Les archives montrent que le préfet s'est véritablement affolé au cours de la nuit du 24 mai, convoquant en extrême urgence policiers et militaires de toute la région Rhône-Alpes puis les renvoyant, à peine arrivés, au petit matin du 25 mai. Les ordres donnés à la police par le préfet de région autorisent de véritables chasses à l'homme (aux étudiants, aux "trimards", aux immigrés).

Quelles ont été les conséquences de cette mort ?
C'est un retournement de l'opinion publique lyonnaise très choquée par la mort du commissaire Lacroix. Il en est de même à Paris où la mort d'un manifestant (tué, on le saura plus tard, par un éclat de grenade offensive d'origine militaire) a été faussement attribuée aux manifestants, ce qui a permis de développer un discours sur la "pègre".

Lyon, ville bourgeoise, est aussi la ville des Canuts. Mai 68 marque-t-il, d'une certaine manière, la revanche de ces canuts ?
L'histoire des Canuts, même en 1968, est une histoire ancienne et largement oubliée sauf de façon légendaire dans les écrits et les chants de quelques militants. Même s'ils se réclament parfois de l'histoire du mouvement ouvrier, les groupes sociaux qui ont fait grèves et manifestations en 1968 (les étudiants et les ouvriers) n'ont rien à voir avec les canuts, chefs d'atelier ou compagnons du premier tiers du XIXe siècle. On peut se demander cependant si, dans le quartier de la Croix Rousse, le développement après 1968 de nombreux lieux alternatifs, de coopératives etc... ne s'est pas appuyé sur cet imaginaire des Canuts.

Le mouvement de mai-juin 68 a-t-il particulièrement transformé la ville ?
Une des conséquences à court terme est la scission entre deux universités (Lyon2 et Lyon3) qui a marqué profondément l'histoire des intellectuels et des professeurs lyonnais.

Expo "Mai 68 à Lyon". Du 8 avril au 28 juin à la bibliothèque de la Part-Dieu. Une journée d'étude a lieu le samedi 26 avril dans l'auditorium de la BM avec historiens, sociologues et acteurs du mouvement.

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