Double Jeu et Mauvais Genre à l'Opéra de Lyon

C'est en 2004 et sous les sifflets des spectateurs de l'Opéra, que ce dernier avait présenté Ni fleurs ni ford mustang, la plus belle pièce de la Biennale de la danse, conçue pour les danseurs du Ballet. Une danse vertigineuse où, d'apparence statique, les corps étaient en mouvement perpétuel, dans un jeu de disparition et de transformation avec l'espace, les costumes et les lumières. Ceux qui sifflaient pensaient que ce n'était pas de la vraie danse... Christian Rizzo revient à Lyon, porté par l'envie, cette fois, de tordre le cou à ceux qui ne voient en lui qu'un spécialiste des arts visuels. Rencontre.
Lyon Capitale : Vous avez déclaré qu'après mustang, votre regard sur la danse avait changé, est-ce vrai ?
Christian Rizzo : Oui, ce travail a surtout modifié la perception de ce que je faisais. J'étais à la lisière des arts plastiques, à chercher des éléments dans mon propre vécu, toujours entouré d'une équipe qui me comprenait et avec laquelle, tout se créait dans le partage. Là, j'étais face à un groupe que je ne connaissais pas, il fallait transmettre, expliquer et cela s'est fait moins dans la discussion que dans une approche purement physique. Je me suis rendu compte qu'en prenant la place qui est celle de la personne qui écrit, qui est dans une grande solitude et qui doit assumer ses choix, mon regard sur la danse a changé. J'ai toujours travaillé avec des danseurs mais je ne me posais pas la question de cette place.

On vous perçoit encore beaucoup plus comme un plasticien qu'un chorégraphe !
Parce que les gens ne veulent pas le voir. Il y a un drôle de regard en fait sur la danse, à partir du moment où l'on travaille sur des images ou une espèce d'univers, les gens regardent les images et pas l'écriture. S'il y a des filtres dans mon travail, mes images naissent bien de l'écriture.

Vous faites des pièces très différentes, est-ce qu'il y a malgré tout un fil conducteur ?
Oui, c'est la notion de la chose qui va disparaître et la manière dont on peut cristalliser cette disparition avec l'énergie qui reste. Cette notion est forte parce que c'est la vie pour moi. Tout ce qui est vivant a pour but de disparaître et accepter cet enjeu implique de le transcender, de le transformer.

Et l'enjeu de cette nouvelle création avec le Ballet ?
Je sens que je suis en train d'attaquer un tournant, par exemple dans cette pièce, il n'y a quasiment pas de costumes, pas d'objets, et avant de développer cela avec mon équipe, j'ai trouvé intéressant de le tenter avec les danseurs du Ballet. Je n'aime pas le genre où l'on m'a mis, non-danse, danse conceptuelle alors que je ne suis absolument pas là dedans. J'ai envie de faire le pari de monter une pièce en utilisant mon langage et de le présenter de façon, peut-être, plus traditionnelle, avec moins d'images et de ne donner que la partition physique.

Il y aura au moins un élément plastique et c'est une batterie au centre de la scène !
Quand je travaille, l'espace est souvent vide. Ici, j'ai pris une contrainte pour créer un espace bizarre. Est-ce que des choses se passeront derrière l'instrument ? Seront-elles ou non visibles ? Ce qui m'intéresse aussi d'explorer avec le ballet, c'est cette notion de venir se déposer sur scène, une question qui n'est pas l'apanage de la danse, même aujourd'hui. En général, on vient montrer, les danseurs sur scène regardent souvent le public comme s'ils regardaient un miroir. Moi, je convie les gens à les observer et c'est pour cela que dans mes pièces, ils sont souvent de dos. Je leur demande toujours de ne jamais lâcher l'idée qu'ils ont à enquêter sur ce qu'ils font et sur ce qui se passe autour, même si ma partition est toujours très écrite.

Le sens de votre travail, il est où ? Entre le corps, l'objet et la lumière ?
Je pense que chez moi, le sens est dans le "entre". Le centre de mon travail, c'est le rapport entre un corps et l'autre. Et l'autre, ça peut être un corps, un son, un mur, un objet, un espace, une montée de lumière. Le corps, c'est un réceptacle et un émetteur. C'est l'autre qui détermine mon corps, dans mon rapport à des histoires amoureuses, des lectures, si je rentre dans une grande chambre d'hôtel ou une petite, quand je m'assoie sur une chaise en bois ou un canapé, en rentrant dans une baignoire ou une douche, c'est ma vision de ces rencontres qui fait que je commence à avoir des idées sur mon corps. Le corps en tant que tel n'existe pas. Pour moi, toute la question est là.

Alain Buffard, de Good Boy à Mauvais genre

En 1998, Alain Buffard créait Good Boy, un solo dont il a fait par la suite une extension multiple à quinze danseurs, tous de grande renommée (Chopinot, Ouramdam, Tompkins...), cette fois appelée Mauvais genre. C'est cette version décapante que nous allons découvrir, prise en mains par le Ballet. La pièce aborde la transformation du corps par la maladie, le sida, tout en posant la question du féminin-masculin, de l'identité sexuelle et notre appartenance à un genre, qu'il soit bon ou mauvais. Elle décuple les jeux sensibles et provocants qui se déroulent entre des corps dénudés, infantilisés, impudiques, et qui montrent avec humour et érotisme, des individus cherchant dans les reflux du groupe, la relation à l'autre. Le cœur de ce lien pourrait être le bassin de chacun des danseurs, partie du corps qui révèle un sexe et que le chorégraphe enveloppe d'une énorme couche culotte blanche, composée elle-même d'une superposition de culottes. Blanc, coton et boîtes de médicaments tracent les parcours de ces corps, creusés par les lumières de néons ou qui se rendent vainqueurs d'être en vie.
Ni cap, ni grand canyon, de Christian Rizzo, et Mauvais genre, d'Alain Buffard. Au Toboggan de Décines, du 9 au 13 juin. www.opera-lyon.com.

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