Muriel Ferrari, patronne du café des Artisans, à Lyon
« Je n’ai pas connu la violence, mais l’indifférence, c’était pire.  » @Antoine Merlet
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Moi, Muriel F., 68 ans, ex-droguée et prostituée

Muriel Ferrari tient le Café des Artisans, un petit restaurant de quartier à Lyon. Née sous une drôle d'étoile, elle a vécu 1000 et une vies, avec un parcours hors-norme.

Certains naissent avec une cuillère d’argent dans la bouche. Pour Muriel Ferrari, les dés étaient “pipés dès le départ”. Montrée du doigt, le destin cabossé, elle trouvera refuge dans la rue, connaissant la faim, les galères, le ras-le-bol et “l’envie de crever parfois”. Mais aussi de “bons délires”, l’argent et “les draps de soie” du Negresco, du Ritz et du Crillon… puis le lendemain, le carrosse qui se transformait “en TGV pour Lyon”. Prisonnière de droit commun, condamnée à de multiples reprises pour vols, recels et proxénétisme, elle pourrait, comme elle dit, “faire le guide Michelin des prisons”. Elle a côtoyé la femme de Mesrine, celle de Louis Guillaud, dit “La Carpe”, condamné pour le rapt du petit Mérieux, Jean-Louis Fargette, le parrain du milieu varois, Momon Vidal, le chef du gang des Lyonnais, un ami. Aujourd’hui, Muriel Ferrari est devant ses fourneaux. Et la vie continue. Muriel Ferrari, patronne du café des Artisans, à Lyon "Je n’ai pas connu la violence, mais l’indifférence, c’était pire. "
@Antopine Merlet Lyon Capitale : Êtes-vous une grande gueule ? Muriel Ferrari : Si être une grande gueule, c’est être franche et directe, je le revendique haut et fort. Et c’est une liberté que je m’accorde encore plus facilement à soixante-huit ans. Lorsque vous aviez deux ans, votre mère a été assassinée par le cousin de votre père, devenu l’amant de cette dernière. Quand on naît sous une telle étoile, a-t-on forcément le verbe haut, l’insolence facile ? Forcément oui, car avec la vie que j’ai eue, il a bien fallu que je me défende, que j’ose répondre pour m’imposer. Vous écrivez, au début de votre livre, que pour vous “les dés étaient pipés dès le départ”. Comment s’en sort-on avec un tel jeu de cartes en main ? On triche un peu. Il fallait bien que je fasse quelque chose avec les cartes que j’avais. Si je voulais vivre, quelle autre solution avais-je ? J’ai dû revoir les règles à ma façon. Disons que je n’ai pas marché dans le rang. J’ai fait comme j’ai pu, en prenant des chemins de traverse. À douze ans, vous empruntez le révolver de votre père et vous vous faites la malle pendant une semaine. À quatorze ans, vous rendez visite à vos amis au parloir. À seize ans, vous passez de l’autre côté de la vitre et vous retrouvez au quartier des mineures de Fresnes pour des vols de portefeuilles. Combien d’années de votre vie avez-vous passé derrière les barreaux ? J’ai dû prendre huit ans. Il y a même une fois, je suis sortie le matin et retombée le soir. Pour un vol de portefeuille, toujours. Ça peut choquer mais, à seize ans, je voyais ça comme un travail comme un autre, à heure fixe, comme à l’usine. Depuis des années, je jouais aux gendarmes et aux voleurs et là ça continuait, c’était un jeu. Métro, boulot, dodo. Mais ma vie s’est jouée à quinze ans. Un soir, mon père en a eu marre que je découche tout le temps. Il m’a alors posé un ultimatum : si je sortais, je me retrouvais à la porte. Je ne l’ai pas cru. Le lendemain matin, la valise était sur le pas de la porte. Je suis partie en stop à Paris et ai atterri rue de la Huchette, dans le Quartier latin. C’était pas longtemps après 68. Ça zonait pas mal. J’ai trouvé des gens qui faisaient la manche, se droguaient, des gens aussi paumés que moi. Je me suis mise avec eux. J’ai trouvé une famille, des frères de misère.

Ce dont je suis très fière, c’est de m’en être toujours sortie toute seule depuis l’âge de quinze ans.


Quels souvenirs gardez-vous de votre enfance ? J’ai une mémoire sélective, je ne me souviens presque pas des bons souvenirs de mon enfance. J’ai dû en avoir, mais lorsque je me remémore tout ça aujourd’hui, ce sont les mauvais qui ressortent. Un jour, j’ai entendu ma tante dire de moi : “Elle finira putain comme sa mère.” Je peux vous dire que ça vous marque, ça ne s’oublie pas. À l’école, j’avais des facilités mais personne ne m’a jamais poussée, entre ma grand-mère analphabète et mon père peu instruit et peu intéressé par les études. J’ai toujours été seule pour recevoir mes livres lors de la distribution des prix, dans l’indifférence des miens. J’ai l’impression de ne pas avoir eu d’enfance. Comment se passe votre adolescence ? Très jeune, j’ai côtoyé des gens “du milieu”. Certains deviendront célèbres comme Jean-Louis Fargette, parrain du milieu varois. J’ai commencé à avoir des problèmes dès l’âge de treize ans. Là où on habitait, mon père était très connu, j’étais grillée un peu de partout. Hyères était devenue une ville trop petite pour moi. J’ai étendu mon territoire jusqu’à Toulon et Marseille. À treize ans et demi, j’étais enceinte de cinq ou six mois. Pour vous dire comment ma grand-mère s’occupait de moi, c’est la voisine qui s’en est rendu compte. Le soir où j’ai accouché, mon père m’a dit de me démerder toute seule. J’étais seule et effrayée mais il fallait bien que je fasse quelque chose. Une de mes petites-filles a 13 ans et demi… Je me rends compte aujourd’hui qu’on est vraiment petite à cet âge-là. Muriel Ferrari, patronne du café des Artisans, à Lyon "Le jour du Jugement dernier, il faudra qu’on s’explique, qu’il me dise ce que j’étais censée faire avec les cartes qu’il m’a données. Le jour où il dessina les grandes lignes de ma vie, il devait être en pleine vacherie. Il paraît que, dans la vie, on paie ce qu’on a fait avant. J’ai dû être une sacrée crapule… En tout cas, je n’ai pas peur de la fin car j’ai vécu l’enfer, je ne pourrai pas connaître pire." @Antoine Merlet Vous êtes encore mineure lorsque vous êtes condamnée à six mois de prison à la maison d’arrêt de Fresnes. Comment le vit-on ? Comme je l’ai dit, je jouais aux gendarmes et aux voleurs. Livrée à moi-même, crevant de faim, il a fallu que je vole dans le métro, à Paris, pour m’en sortir. Je savais que je me ferais pincer un jour, mais j’étais bonne perdante, c’est normal de payer. L’idée d’aller en prison ne me faisait pas peur. J’étais assez fière quand je suis allée quai des Orfèvres. J’avais l’impression que c’était une reconnaissance de plus, le rite de passage pour entrer dans la cour des grands. C’était la consécration. Quand je suis entrée dans la cellule de dix mètres carrés, avec un lit, une table, une chaise et la lucarne avec des barreaux, j’ai perdu de ma superbe et me suis effondrée.

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