Le Conseil général empêtré dans une affaire de malversations

EXCLUSIF - Le Conseil général du Rhône, dont le président Michel Mercier est ministre de la Justice, cherche à se séparer de fonctionnaires impliqués dans des affaires de malversations et de corruption. Le garde des Sceaux n'a pas saisi la justice alors que la loi l'y obligerait.

Voilà plusieurs mois que la Direction des Systèmes Informatiques (DSI) du Département du Rhône connaît des difficultés de réorganisation et de transformation du service engendrant un dialogue social tendu avec l'ensemble des organisations syndicales. Elles ont d'ailleurs dénoncé, souvent avec véhémence, "le mépris des règles statutaires" dans plusieurs tracts distribués au sein du Conseil général et se sont même heurtées au puissant directeur de cabinet de Michel Mercier, Pierre Jamet, lors de réunions houleuses.

On croyait alors que l'affaire relevait simplement des soubresauts de l'actualité sociale. En réalité, cette réorganisation cherche à masquer une affaire bien trop embarrassante pour le Département du Rhône et le ministre de la Justice : la découverte début 2010 de malversations financières, de favoritisme sur certains marchés publics et de corruption de fonctionnaires au cœur du service informatique.

Fuite

C'est à la suite du départ temporaire, en décembre 2009, du responsable de la DSI, que le Conseil Général va découvrir l'ampleur des dégâts. En l'absence de ce dernier, c'est en effet la Direction Générale qui gère le service informatique en direct, autrement dit Pierre Jamet, le plus proche collaborateur de Michel Mercier, ainsi que son adjoint, Pierre Goffinet. Très vite, ils vont s'apercevoir de graves dysfonctionnements et décideront de commander un audit, lancé en mai 2010 à la société parisienne Belle Aventure (voir encadré ci-dessous). Cette mission conduira à la mise au placard de trois chefs de service à qui il a été demandé de quitter le Conseil général d'ici le mois de juin prochain.

D'après nos informations, l'un de ces trois fonctionnaires paraît plus particulièrement impliqué dans ces affaires de malversations. Il s'occupait du matériel au sein de la DSI et était, d'après le témoignage de plusieurs de ses collègues, un chef de service redouté. Les deux autres personnes incriminées s'occupaient des logiciels pour l'une et des marchés publics pour l'autre. D'après les témoignages recueillis auprès de cadres de la DSI et de personnels de sociétés informatiques prestataires du Conseil général, ce chef de service redouté aurait fait "fuiter" à diverses sociétés des informations afin de les favoriser dans l'attribution de marchés publics, notamment des documents internes au Département permettant d'apprécier les offres des sociétés candidates.

Fête

Ces informations auraient ainsi permis à ces entreprises de se rapprocher au plus près des attentes du Conseil Général et de remporter les appels d'offres. Plus généralement, ce fonctionnaire entretenait une proximité imprudente avec certaines sociétés informatiques. Par exemple en 2007, alors que plusieurs sociétés informatiques concouraient à un marché du Département, ce chef de service a participé à une fête organisée par l'une d'entre elles : Telindus. Lors de cette soirée, de nombreux responsables d'entreprises étaient présents dont certains étaient en train de répondre à un marché dont le chef de service avait la charge. La pratique est pourtant formellement interdite. Cet appel d'offres a été attribué le 13 septembre 2007 à XS Pôle Sécurité, une société spécialisée dans le consulting informatique. Or, la fête de Telindus a eu lieu le 5 septembre 2007, deux jours seulement avant la date butoir de remise des plis fixée au 7 septembre. À cette petite fête était justement présent l'un des cadres de XS Pôle Sécurité qui pose d'ailleurs sur une photo avec le chef de service du Conseil général.

Cette proximité avec les grandes sociétés d'informatique, qu'elles officient dans le domaine des réseaux, de la sécurité ou du conseil, a alimenté ces soupçons de malversations et de corruption qui ont fait littéralement exploser le service jusqu'à son quasi-démantèlement décidé par Pierre Jamet. Plusieurs collègues de ce chef de service nous ont fait état d'avantages en nature que les sociétés lui prodiguaient: week-end à la montagne, voyages, séminaires, montres, smartphone. Dans une dépêche AFP reprise sur le dite du Progrès, Pierre Jamet confirme implicitement l'existence de voyages offerts à ce chef de service écarté : "Il y a une règle que je fais respecter depuis 20 ans avec Michel Mercier, c'est qu'un agent ne doit jamais accepter l'invitation d'un fournisseur avec le voyage payé". Par ailleurs, un restaurant de Bron semblait même être le théâtre de rencontres régulières entre les sociétés favorisées sur certains marchés. Son nom ? La "table de Guy". Ses collègues l'ont rebaptisé ironiquement en remplaçant Guy par le prénom du chef de service.

Fraude

Cependant, les dysfonctionnements de la DSI ne se limitent pas à ce favoritisme sur certains marchés. D'autres pratiques frauduleuses auraient été mises au jour. Selon nos informations, le Conseil Général du Rhône s'est fait auditer par deux sociétés qui conçoivent des logiciels: Oracle et le leader mondial, Microsoft. La facture se serait élevée à plusieurs centaines de milliers d'euros au profit de Microsoft et aurait dépassé, selon certaines sources bien informées de ce dossier, le million d'euros pour Oracle. Ces procédures d'audit sont pourtant rarissimes d'après une source auprès de Microsoft pour qui la fraude était devenue trop importante. Autre dysfonctionnement important, la surfacturation sur un marché de fournitures informatiques qui impliquerait au moins deux sociétés informatiques de la région lyonnaise. D'après un cadre du Conseil général, la direction des achats du Département aurait lancé une enquête fin 2009 en constatant des irrégularités sur les prix pratiqués dans le cadre de ce marché. Devant tant d'irrégularités, Pierre Jamet aurait établi une liste noire de six sociétés selon diverses sources, parmi les plus importantes de leur secteur, impliquées dans ces magouilles.

Les menaces de Jamet

Devant cette situation explosive, M. Jamet va d'abord envisager une solution extravagante pour un Directeur Général de Conseil général depuis trente ans et pour un professeur de droit public. Il souhaitait ni plus ni moins interdire à ces six sociétés d'être candidates à des appels d'offres du Conseil général. Cette information a été recoupée par de nombreuses sources intérieures et extérieures au Conseil général. Mais Pierre Jamet aura d'autres occasions de démontrer son manque de sang-froid et sa fébrilité dans la gestion de ce dossier. Lors de différentes réunions du Comité Technique Paritaire (CTP), Pierre Jamet aura des sorties pour le moins surprenantes selon les témoignages de participants. Il déclarera publiquement l'existence de malversations au sein de la DSI pour justifier de sa réorganisation mais sans plus s'épancher.

Certains syndicalistes y voient une manipulation pour faire passer en force le projet de réorganisation de la DSI. Mais lorsque des élus du Parti Socialiste lui réclament des précisions quant à ces malversations, il va totalement perdre son sang-froid. Il s'en serait pris à certains élus en les menaçant de compromettre leur élection si des conseillers généraux sortants tentaient d'informer la presse de cette mauvaise affaire de malversations et de corruption. Deux élus semblaient particulièrement visés: Louis Pelaez et Thomas Rudigoz. Cette information a été confirmée au plus haut niveau au sein de la fédération socialiste du Rhône qui prend ces menaces très au sérieux. Nous avons pour notre part cherché à interroger M. Jamet. Sans réponse de sa part par téléphone, nous nous sommes déplacés à l'hôtel du Département lors de la séance publique du 11 février dernier. Interrogé sur ses déclarations de malversations sur le dossier de la DSI, M.Jamet est sorti de ses gonds : "mais je ne vous dirai rien. Surtout pas à vous. Vous êtes un fouille-merde!" Il confirmera néanmoins "les conneries de trois personnes qui ont été écartées et qui, d'ailleurs, n'ont pas protesté. C'est bien qu'elles avaient quelque chose à se reprocher".

Responsabilités ?

Enfin, nous l'interrogeons sur son non-respect de la loi, notamment l'obligation qui lui est faite dans de pareilles circonstances d'appliquer l'article 40 du Code de procédure pénale qui stipule que "toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l'exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d'un crime ou d'un délit est tenu d'en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs". Pierre Jamet haussera le ton et livrera une réponse étonnante : "Mais vous n'avez pas d'humanité pour enfoncer encore plus trois personnes qui ont déjà perdu leur emploi et risquent de se retrouver au chômage".

Il y a peut-être des motifs moins sentimentaux au non-usage de l'article 40. Pour le cas de la DSI, il s'agirait en réalité moins d'humanité que de responsabilité. Le chef de service le plus impliqué dans les malversations n'a jamais eu le pouvoir de signer les marchés publics. Les appels d'offres étaient en réalité signés à un niveau hiérarchique bien plus élevé. Dans ce cas, qui est réellement responsable des malversations ? L'article 40 pourrait en réalité faire vaciller toute l'institution. Sans compter qu'à quelques semaines des élections cantonales, il n'est pas inutile de faire l'économie d'un scandale judiciaire pour Michel Mercier, ministre de la Justice en exercice et candidat à sa propre réélection à la tête du Département.
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Les "anomalies" du Conseil général dans les procédures de marchés publics

C'est le courrier d'un mystérieux corbeau qui alerte d'anomalies dans la façon dont le Conseil général traite les procédures de marchés publics. Il commence par ces mots : "nous nous permettons de nous adresser à vous, pour porter à votre connaissance plusieurs faits graves sur la transformation de la Direction des Systèmes d'information du Département du Rhône. En effet, ce processus subit d'une part de graves manquements au respect des règles des marchés publics..." De quoi s'agit-il précisément ? Dès les premiers soupçons de malversation, les responsables du Département décident de lancer un audit de la DSI et de procéder à la transformation du service. Cette mission a été confiée en mai 2010 à la société Belle Aventure. Problème, plusieurs bons de commande ont été adressés à Belle Aventure sans que les prestations de cette société ne correspondent à un appel d'offres publié par le Conseil général. Il existe par exemple un bon de commande d'un peu plus de 100 000 euros adressé à Belle Aventure en novembre 2010.

Aucun appel d'offres public n'existe pour justifier l'existence d'un tel bon de commande. Pourtant, le Code des marchés publics est très clair sur ce point: entre 90 000 et 193 000 euros, les collectivités locales sont tenues de publier un avis public d'appel à la concurrence dans les journaux officiels. Mais le Département du Rhône semble s'être arrangé avec les règles des marchés publics. Les prestations de Belle Aventure auraient en réalité été réalisés grâce à une société tierce, l'entreprise ARES qui possédait déjà un marché de développement informatique signé fin 2009 avec le Département du Rhône. La société ARES aurait ainsi assuré le portage des prestations de Belle Aventure en empochant au passage une marge estimée à 18%. En clair, pour faire l'économie d'une procédure longue de mise en concurrence et de publicité, le Département aurait ainsi préféré utiliser un marché existant et a fait appel à Belle Aventure comme sous-traitant du marché détenu par ARES.

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