Lactalis : quand une peine dérisoire équivaut à un permis de polluer

Édito. La fromagerie L'Etoile du Vercors (Isère), filiale du géant laitier Lactalis, a rejeté en toute impunité quatre litres de substances chimiques par seconde depuis 2011. Le tribunal correctionnel vient de condamner le groupe agroalimentaire à une peine dérisoire.

Choquant. Le jugement du tribunal correctionnel de Grenoble est tout simplement choquant. Le tribunal de la place Firmin Gautier vient en effet de condamner le groupe Lactalis à une amende de 100 000 euros d'amende, dont 50 000 avec sursis, pour "jet ou abandon de déchets dans les eaux superficielles".

Dit plus explicitement, le géant des produits laitiers doit payer 50 000 euros d'amende pour avoir rejeté chaque année, depuis 2011, 200 tonnes de produits chimiques dans l'Isère, la rivière que sa filiale, L'Étoile du Vercors (fromages de la Mère Richard, notamment), surplombe.

Un calcul rapide permet de jauger le déversement quotidien de produits chimiques dans la rivière à 550 kilos – soit 28 substances chimiques comme l’hypochlorite de soude 47/50, un extrait de javel très toxique pour les organismes aquatiques, ou encore le PENNGAR NPH, un nettoyant liquide acide oxygéné, apprécié de l’industrie agro-alimentaire pour sa puissante action dégraissante et oxydante.

Et 50 000 euros d'amende, rapporté au chiffre d'affaires du n°1 mondial du fromage, ça correspond à 0,00027% ! Une goutte d'eau.

Soit 15,20€ d'amende par jour. Dérisoire, anodin, inconsistant, insignifiant, accessoire, sans importance... la liste de synonymes est longue comme une pollution silencieuse, équivalente à celle d'une ville de 8 000 à 15 000 habitants.

Le tout malgré les injonctions de l’administration lui demandant de régulariser sa situation.

Une pollution phénoménale qui - contrairement à l'amende de Lactalis qui sera littéralement noyée dans son bilan de fin d'année - laissera des traces irréversibles, sinon très graves, dans l'environnement.

"Sentiment d'impunité" de Lactalis, selon le parquet

Le parquet avait pourtant requis une 10 fois plus élevée, le maximum prévu par la loi, soulignant le "sentiment d'impunité" du géant des produits laitiers. Le tribunal correctionnel de Grenoble aura donc été plus indulgent. Très indulgent.

À une époque où l'environnement n'a jamais été autant au centre de l'attention, on ne peut que s'étonner – pour ne pas se dire indigné – d'une telle décision.

On est en quelque sorte face à une impunité environnementale. Ce jugement en est l'une des dernières manifestations. De manière plus spécifique, en matière de police de l'eau, les sanctions sont globalement peu dissuasives.

Et ce n’est pas faute d'avoir été signalé. Dès 2009, la Cour des comptes préconisait "d’accentuer la répression des infractions en matière d’atteintes aux milieux aquatiques".

En 2013, un rapport parlementaire pointait l’efficacité limitée de la police de l’eau, liée à des sanctions "peu nombreuses et bénignes" et "rarement dissuasives".

La répression doit avoir un caractère dissuasif, sans quoi la sanction ne remplit plus sa fonction. L'efficacité d'une sanction passe par son effet dissuasif.

Comme l'a écrit le juriste et professeur de droit public Jean Rivero, "on attend, de la peur du gendarme et du juge, qu’elle suffise à maintenir dans les sentiers du Droit ceux qu’effleure la tentation de s’en écarter".

La sanction revêt de fait une fonction préventive : on dissuade pour ne pas recommencer. C'est ce qui rend crédible une sanction. Il faut qu'il y ait une proportionnalité par rapport à la gravité de l'infraction.

En l'espèce, la sanction de 50 000 euros infligée au géant Lactalis ne va certainement pas le dissuader d'être plus propre. D'autant qu'il a déjà été marqué au fer rouge : au-delà d'être la cible régulière des producteurs de lait qui lui reprochent d'acheter le lait à des prix trop bas, Lactalis a été condamné en 2000 pour fraude sur le lait et publicité mensongère, en 2015 pour entente illicite sur les prix dans l'affaire dite du "cartel du yaourt" et en 2012 pour avoir pollué la rivière de l'Oudon avec de l’ammoniaque (30 000 euros d'amende pour une pollution provoquée par une importante fuite d’ammoniac liée à l’usure des installations de la laiterie. La pollution avait lourdement impacté des dizaines de kilomètres de la rivière).

Officiellement, la société a jusqu’au 28 septembre 2019 pour stopper ses rejets toxiques. 92 tonnes de chimie en plus...

 

Lactalis, un pavé dans le fromage

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