légumes
Il est recomandé par la préfecture du Rhône de ne pas consomme les fruits et légumes produits dans les potagers dans un périmètre de 500 m autour de l’usine Arkema en raison de leur possible contamination aux PFAS. (Photo DR)

Face au réchauffement climatique et aux OGM : une banque de graines à Lyon

La plus ancienne banque de semences au monde se trouve au coeur du centre historique de Saint-Pétersbourg, à deux pas de la cathédrale Saint-Isaac, en bord de rivière Moïka. Et sa première antenne hors-sol russe est installée ce jeudi à Charly, une commune aux portes des monts et des coteaux du Lyonnais.

La Ferme Melchior sera un "laboratoire de la biodiversité européenne adaptée aux changements climatiques" explique l'un des porteurs du projet, le Centre de ressources botaniques appliquée (CRBA), à Marcy-L'Etoile sur le domaine de Lacroix-Laval.

L'Institut Vavilov recense 324 000 échantillons de variétés végétales, dont 80% introuvables dans les autres banques de semences. Il s'agit de variétés récoltées avant la Seconde Guerre mondiale donc sans intrants chimiques.

La Ferme Melchior prendra place sur le domaine Melchior Philibert, du nom d'un marchand-banquier lyonnais, spécialisé dans le commerce des monnaies, des soieries et dentelles, de produits exotiques comme les épices et les teintures. Il s'agit d'une ancienne maison des champs qui a toujours accueilli et expérimenté des plantes d’origine exotique pour l’époque. L'idée est de créer des collections pour le futur "en acclimatant et en expérimentant des végétaux a priori peu habitués au climat actuel de la métropole de Lyon mais qui pourraient, avec le changement climatique, s’adapter ou même remplacer certaines cultures désormais inadaptées."

Aujourd'hui, selon la FAO, seules 15 espèces de plantes fournissent 90% des ressources alimentaires (le riz, le blé et le maïs représentant 60% de la consommation mondiale), 80% des légumes et céréales cultivées il y a cinquante ans ont disparu (moins de 10 variétés fournissent aujourd’hui plus de la moitié du blé tendre produit en France). Et selon l'étude canadienne "Still No Free Lunch" , une pomme des années 50 comportait 100 fois plus de vitamines que les variétés commerciales actuelles.

Les questions que se posent le CRBA  :  comment pourrons-nous adapter nos légumes actuels aux effets du changement climatique ? Comment lutter contre de nouvelles maladies décimant les récoltes de céréales ou de pommes de terre sans intrants chimiques ? Pourrons-nous produire des fruits et des fleurs lors de fortes sécheresses et sans jours de gel ?

L'antenne lyonnaise de la plus ancienne banque de semences au monde (la 4e plus grande de la planète) permettra de créer quatre espaces scientifiques, culturels et techniques : les nouveaux conservatoires du CRBA, une station d’expérimentation agronomique Nicolaï Vavilov, un jardin et un domaine historique et la ferme Melchior.

Son inauguration aura lieu ce jeudi 11 avril.

Il y a deux ans, Lyon Capitale avait consacré un long article à l'érosion génétique et ses conséquences majeures pour l’insécurité alimentaire qui menace tous les pays, aux enjeux du brevetage du vivant, aux intérêts de la biodiversité.

Voici notre article, publié dans son intégralité, réalisé au domaine de Lacroix-Laval, siège du Centre de ressources botaniques appliquée (CRBA).

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Article publié dans le mensuel Lyon Capitale de juin 2017.

Le défi des graines

La généralisation des variétés fruitières et légumières commercialisées par les grands semenciers et l'apparition des hybrides F1 a entraîné la disparition des variétés locales. En exhumant les très nombreuses semences lyonnaises, une poignée de scientifiques cherche à préserver la biodiversité locale. Avec, en toile de fond, l'enjeu considérable du brevetage du vivant et de notre alimentation.

"La France, ah oui, je connais, c'est très très bon !". Akiho est venue à Lyon spécialement du Japon pour supporter l'équipe nationale nippone au Bocuse d'Or, le plus grand concours mondiale de cuisine.

Quand elle parle de "La France", ce n'est pas du pays, mais de la poire lyonnaise. Au Japon, cette variété à la chair crémeuse et au parfum capiteux a été mise au point par l’arboriculteur lyonnais Claude Blanchet, un peu avant 1889. C'est aujourd'hui le cultivar le plus populaire du pays. On pense qu'il y aurait été introduit au début du XXe siècle, probablement à la suite de l'Exposition universelle et internationale de 1894, au parc de la Tête d'Or. À l'époque, l'horticulture lyonnaise acquiert une dimension mondiale. "Au cours de la seconde moitié du XIXe siècle, pas moins de 63 variétés de poires sont à mettre au crédit des obtenteurs de la région, explique l'ethnobotaniste Stéphane Crozat, spécialiste du patrimoine végétal lyonnais et directeur du Centre de ressources de botanique appliquée (CRBA). Si certaines découvertes miraculeuses dans un verger oublié, ou un verger conservatoire permettent de retrouver des variétés, d'autres semblent avoir disparu." (1)

Des graines sans traces de chimie

@Tim Douet

Sur les milliers de variétés de fruits et légumes créées à Lyon entre 1850 et 1914, l'âge d'or de l'horticulture lyonnaise, il ne reste que quelques dizaines de variétés encore cultivées en Rhône-Alpes ou dans d'autres régions de France. "La plupart se trouvent à l'étranger" explique Sabrina Novak, directrice adjointe du CRBA, au parc de Lacroix-Laval, à Marcy-L'étoile. Ainsi, pour les haricots, la majorité des variétés lyonnaises ont été repérées au Centre international d'agriculture tropicale, en Colombie (premier producteur de haricots de la zone andine). C'est le cas des souches du haricot "Beurre nain du Mont d'Or" et du "Noir d'Evian". Selon les derniers comptages, soixante-dix variétés de légumes et de céréales originaires de Lyon et sa région ont été recensées par le CRBA à l'Institut Vavilov, à Saint-Pétersbourg, la plus ancienne banque de semences au monde. Pour les fruits, il faut chercher du côté de l'Italie.

"Si on pense qu'une variété végétale n'a plus d'intérêt aujourd'hui, il ne faut surtout pas la perdre car si elle n'est pas résistante maintenant, son gène sera utile dans 100 ans"
Nicolaï Vavilov, agronome russe, pionnier de l’ethnobotanique.

Nicolaï Vavilov, c'est le sauveur de la biodiversité lyonnaise en quelque sorte. Vavilov est un agronome russe qui passa sa vie à collecter des graines de céréales, de fruits et de légumes aux quatre coins de la planète. Surnommé le "Darwin du monde végétal", il fut pionnier de l’ethnobotanique. Aujourd'hui, la collection de l'institut qui porte son nom recense 324 000 échantillons de variétés végétales, dont 80% introuvables dans les autres banques de semences. "Surtout, l'énorme intérêt, c'est qu'il s'agit de variétés récoltées avant la Seconde Guerre mondiale, explique Sabrina Novak. Donc avant l’industrialisation et la mécanisation de l'agriculture, donc avant l'arrivée des intrants chimiques." Des graines pures en somme, sans trace de pesticides et d'insecticides, Dominique Guillet le président de Kokopelli estimant qu' "en ce qui concerne la production de légumes bio, vraisemblablement plus de 90% des semences sont issues de la chimie." (2) Alors le reste...

Les semences anciennes non grata

Kokopelli, une association qui commercialise des semences de variétés potagères anciennes destinées aux jardiniers amateurs, est le symbole de la résistance du monde paysan face à l'agro-business. Son défi : libérer les semences. Aujourd'hui, le marché propose en effet majoritairement des semences dites hybrides (issues de croisements) et non reproductibles. Ses semences, censées accroître les rendements, doivent ainsi être rachetées bon an mal an par les paysans, du fait de leur détérioration rapide : elles deviennent stériles dès qu'on les ressème. Et ça, l'agro-business l'a bien compris.

Depuis l'été 2016, la loi pour la reconquête de la biodiversité autorise les échanges et la vente de semences et de plants non conformes aux standards industriels du catalogue officiel dès lors qu’ils sont exclusivement destinés à des jardiniers amateurs. Mais le texte, promis par François Hollande depuis 2012, interdit encore la diffusion aux paysans et artisans semenciers. Or, les principaux vendeurs de plants de légumes non industriels sont des petits maraîchers, tout comme la plupart des vendeurs de semences traditionnelles sont des artisans semenciers.

"Si les agriculteurs peuvent ressemer à tout vent, comme ils le veulent, il n'y plus de marché pour les industriels, analyse un membre du Centre de ressources botaniques appliquées de Marcy-L'Etoile. Du coup, quelques grands semenciers mondiaux, notamment américains, s'approprient un bien vivant."

@Tim Douet

C'est là le grand défi des scientifiques lyonnais soutenus par la métropole de Lyon qui leur a alloué une subvention de 94 000 euros en 2015. "Les plantes et les légumes font partie de notre patrimoine collectif, explique Bruno Charles, vice-président de la métropole de Lyon en charge du développement durable. Ils sont aussi plus riches en goût et en nutriments. Surtout, et c'est le plus important, l'une des meilleures manières de se battre contre le brevetage du vivant, c'est en refaisant l'histoire des variétés anciennes. C'est autant de graines que l'agro-business ne pourra pas breveter."

Le modèle lyonnais

La singularité du projet lyonnais du CRBA, c'est de partager les 1 060 variétés locales déjà récupérées. C'est unique en France. Chaque printemps, les graines sont données aux membres du réseau. Il s'agit aussi bien de particuliers, que d’institutions, de jardins collectifs que d'entreprises. L'année dernière, 500 variétés ont ainsi été distribuées. Une fois les semences obtenues, chaque "jardinier" s'engage à les cultiver et rendre 50% de la récolte. Les graines ainsi produites viennent augmenter le stock du CRBA afin d'assurer une diffusion plus large l'année suivante. La collection de variétés de légumes et de fruits lyonnaise du CRBA a ainsi doublé en deux ans. "Plus les variétés seront distribuées, mieux elles seront conservées. C'est au final un conservatoire vivant de la biodiversité" explique Sabrina Novak, directrice adjointe du CRBA. Reste maintenant à trouver une faille juridique pour pouvoir les vendre.

De la graine (de variétés lyonnaises) à l'assiette, le chemin est encore semé de mauvaises herbes. Il faudra trouver une faille juridique pour pouvoir retrouver sur les marchés La Gloire des Charpennes, La Précoce de Trévoux, La Sulpice Barbe de Chaponost, l'oseille large de Belleville, le Géant d'Hiver de Montplaisir ou La Calville d'Oullins.

(1) In Fleurs, fruits, légumes. L'épopée lyonnaise. Stéphane Crozat, Philippe Marchenay, Laurence Bérard, avec le concours de Pierrick Eberhard. Éditions Lyonnaises d'Art et d'Histoire. 2010.
(2) In L'arrière boutique de Kokopelli. Agriculture-environnement.fr. 31 janvier 2008.

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