La délégation inuite a tenu une conférence de presse jeudi 15 septembre à Lyon. Crédits : Nolwenn Jaumouillé

Affaire Rivoire : une plainte à venir pour « recel de criminel » contre la congrégation des Oblats

L'avocate de la délégation inuite a annoncé ce matin qu'une plainte serait déposée prochainement à Lyon contre la congrégation du père Joannes Rivoire, mis en cause pour des agressions sexuelles au Canada.

La délégation inuite a dévoilé ce jeudi matin lors d'une conférence de presse son intention de demander au procureur de la République de Lyon l'ouverture d'une enquête sur l'aide qu'aurait apporté la congrégation des Oblats de Marie-Immaculée (OMI) au prêtre franco-canadien. La plainte "sera déposée dans les prochains jours devant le parquet de Lyon", a précisé Me Debbache, l'avocate mandatée par le groupe de visiteurs, arrivés du Canada en début de semaine.

L'annonce intervient au lendemain d'un échange qui a eu lieu au siège de la congrégation à Lyon, sur la colline de Fourvière, entre la délégation et le père Vincent Gruber,  provincial des Oblats de France. Ce dernier, déclarant que "le cri des victimes ne peut pas rester sans réponse", a indiqué à cette occasion à ces visiteurs venus du Canada avoir entamé une procédure d'exclusion de la congrégation contre le père Rivoire. L'homme âgé de 92 ans, qui vit à Lyon, est accusé d'agressions sexuelles sur des enfants inuits lorsqu'il était missionnaire dans le Grand Nord canadien dans les années 1960.

Mais la délégation n'entend pas en rester là, estimant que le religieux aurait bénéficié de “l’aide, l’assistance et la protection de sa congrégation”, depuis son retour en France en 1993 après 33 ans sur place, à la suite de premières accusations. “Nous avons posé hier au père Gruber un certain nombre de questions. Il a notamment indiqué n'avoir pris connaissance des accusations qu'en 2013 (...) Une affirmation que nous mettons en doute, puisque le Canada a émis un mandat d'arrêt international en 1998 contre Joannes Rivoire”, explique Me Nadia Debbache. Elle reproche également au père Gruber d'avoir attendu 2018 pour signaler les faits aux autorités françaises, s'étant contenté en 2013 d'alerter la Congrégation pour la doctrine de la foi. Laquelle aurait à l'époque "donné pour instruction de maintenir Joannes Rivoire en résidence surveillée", du fait de son âge avancé.

Faire exception à la non-extradition

Si le premier mandat d'arrêt international a pris fin en 2017, c'est une nouvelle plainte qui a relancé l'affaire en septembre 2021, portant sur une agression sexuelle survenue il y a près de 47 ans : Ottawa a alors émis un nouveau mandat d'arrêt en février dernier, avant de déposer début août une demande d'extradition auprès de la France.  Venue réclamer de vive voix cette extradition du prêtre vers le Canada auprès du gouvernement français, la délégation s'est vu opposer mardi 13 septembre une fin de non recevoir par le ministre de la Justice. Un choix peu surprenant, qu'Eric Dupont-Moretti a motivé par "la tradition constitutionnelle" de la France de ne jamais extrader un ressortissant français.

Ce principe, Me Debbache le conteste, invoquant une décision de 1994 du Conseil d'État dans lequel ce dernier reconnaissait que la "pratique ininterrompue" de la non-extradition d'un ressortissant français "ne trouve pas de fondement dans un principe de valeur constitutionnelle". Elle a également rappelé que si la loi interdit l'extradition, la convention bilatérale entre le Canada et la France, dont la valeur juridique est supérieure, ne le mentionne pas.

"S'il y a une exception à faire à la non extradition, c'est dans ce dossier que ça doit se passer", a-t-elle martelé. "Car nous sommes en présence de faits de nature criminelle, sur les personnes les plus vulnérables, des enfants, de moins de 15 ans, des faits répétés, au caractère systémique, au coeur d'une institution qui a couvert ces actes avait seule autorité sur ces mineurs à ce moment-là".

Les différents membres de la délégation ont tour à tour imploré la France et la population française de se mobiliser pour la justice. "Les abus contre les personnes indigènes sont un problème français, pas seulement un problème canadien. D'autres survivants viendront demander justice en France dans les prochaines années. Les Oblats ont été créés en France, leur première mission à l'étranger, c'est au Canada qu'ils l'ont faite", a rappelé Aluki Kotierk, présidente de l'organisation Nunavut Tunngavik qui représente les Inuits.

“J'ai pu voir le monstre”

Au cours de la conférence de presse, les Inuits ont également livré des bribes de leur rencontre avec le père Rivoire, ce dernier ayant accepté en dernière minute de les recevoir. Face à leurs accusations, le religieux a continué à nier, a indiqué Kilikvak Kabloona, directrice générale de Nunavut Tunngavik. Une position dont il n'a jamais bougé depuis trente ans. "Après que je lui ai dit combien il nous avait profondément blessé, il a répondu qu’il ne savait pas de quoi je parlais", raconte Steve Mapsalak, bouleversé. Il dénonce des abus sexuels de ses 6 à ses 13 ans – son frère cadet aurait aussi été victime.

Jesse et Tanya Tungilik, enfants d'une autre victime présumée, et désormais décédée, Marius Tungilik, ont également partagé leur sentiment. "J’ai pu voir le monstre lui même hier, j’ai regardé le diable dans les yeux, il n’avait pas de remords", a rapporté, très émue, Tanya Tungilik. "Je voulais lui parler, mais pas entendre un seul de ses mensonges. Je lui ai dit qui j’étais, qui mon père était, ce qu’il lui avait fait, je lui ai dit qu’il avait ruiné la vie de mon père, devenu alcoolique à cause de lui. Qu'il pourrisse dans une prison au Canada ou finisse sa misérable vie ici, je lui ai dit qu'il finirait en enfer, qu'il n'y aurait pas de rédemption pour lui". "En sortant, j’ai tellement pleuré, de soulagement, de lâcher cette colère, d'avoir fait ce que mon père n'a pas eu le temps de faire avant sa mort."

Bien qu'ils en doutent, les membres de la délégation gardent encore l'espoir que vendredi, le père Rivoire, à qui ils ont acheté un billet, monte avec eux dans l'avion pour le Canada – le prêtre a jusqu'ici refusé, invoquant des problèmes de santé. "Il a accepté au dernier moment de nous rencontrer, on espérera qu'il vienne jusqu'au check-in", a déclaré Kilikvak Kabloona, directrice générale de Nunavut Tunngavik.

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