Manufacture des tabacs 1
© Tim Douet

Tirage au sort à l’université : une mesure contestée par les étudiants

Le gouvernement a publié une circulaire qui autorise la méthode du tirage au sort pour départager des candidats à l’entrée de l’université, lorsque le nombre de demandes d’inscription dépasse les capacités d’accueil de l’établissement. À quelques jours du second tour, ce texte, globalement passé inaperçu, fait polémique.

Le 24 avril dernier, le Bulletin officiel de l’Éducation nationale publiait un texte, à première vue anodin, mais important pour les élèves qui préparent leurs voeux d’orientation sur Admission Post Bac (APB). Cette circulaire autorise les admissions à l’université par le biais d’un tirage au sort, lorsque le nombre de demandes d’inscription est supérieur aux capacités d’accueil de la formation demandée. Les étudiants sont alors classés selon les critères suivants : les voeux du candidat sur APB, les filières demandées par l’étudiant et le secteur géographique. Si des élèves sont à égalité dans le classement, le tirage au sort est autorisé. Cette mesure concernerait les filières très demandées, comme les premières années de STAPS, de droit, de psychologie ou encore la Première année commune aux études de santé (PACES). Mais pas que. Si la circulaire sert à combler un "flou juridique" quant à la pratique du tirage au sort comme procédure d’admission, celle-ci ne nomme pas de formation particulière. Elle concernerait alors toutes les filières sur-demandées par les futurs étudiants.

"Le meilleur rentre, le plus nul dégage"

Jeremy et Christophe ont 17 ans, ils sont inscrits au lycée Chevreuil-Lestonnac à Lyon, en première ST2S. Tous deux ont vocation à devenir infirmier. Leur projet de formation ne rentre pas dans la case des "filières à tension" concernées par la circulaire. Cependant, les deux jeunes lycéens sont sensibles à cette réforme qui concerne certains de leurs camarades. "Je ne comprends pas bien ce concept de tirage au sort", affirme Jeremy. "Quitte à faire une sélection, autant favoriser les meilleurs. C’est injuste que ceux qui ont travaillé plus ne puissent pas faire ce qu’ils veulent à cause d’un hasard". Le jeune homme suggère alors de "faire payer l’entrée à l’université". Après une courte réflexion, celui-ci ajoute : "En fait, ça défavoriserait les pauvres, ce n’est pas bien non plus". Son homologue, Christophe, s’empresse de rétorquer : "On ne va quand même pas partir sur un système à l’américaine ! On devrait garder le même fonctionnement qu’avant", ajoute le jeune homme, saisi par la complexité du problème. Leur amie Emma* les interrompt ensuite dans leur réflexion. Pour elle, la solution est claire : "Le meilleur rentre, le plus nul dégage".

"L’avenir d’un élève, c’est pas à pile ou face"

Lisa*, lycéenne en terminale ES à Lyon, s’insurge : "L’avenir d’un élève, c’est pas à pile ou face", clame-t-elle, d’un ton énervé. Elle ne comprend pas que cette circulaire soit passée inaperçue. "On est concernés et pourtant personne n’est au courant", affirme la jeune fille, les yeux levés vers le ciel. Elle dénonce une "pression monstre" à laquelle sont confrontés les élèves de terminale. "Autoriser les tirages au sort pour l’entrée dans les facultés à quelques semaines de la fermeture d’APB, ce n’est vraiment pas normal", déplore la jeune fille. Elle s’interroge : "La fac, c’est la solution de secours des élèves qui n’auront pas leurs premiers voeux. C’est aussi la sécurité pour ceux qui n’ont pas de bons résultats, mais qui veulent quand même faire des études. Si on leur enlève ça, qu’est-ce qu’ils vont faire ?" Anaïs, élève en terminale L au lycée Immaculée Conception à Lyon, n’était pas non plus au courant de l’existence d’un tel texte. À l’instar de ses homologues, elle estime que "le tirage au sort, c’est injuste". Quant à Lucas, lycéen en Bac professionnel filière Transports au lycée Alfred de Musset à Villeurbanne, il trouve ce traitement "inégal", même s’il n’est pas directement concerné. "Cette fin de présidence, elle est digne de l’ensemble du quinquennat", conclut-il d’un ton amer.

Les étudiants inquiets pour les lycéens

Léa, étudiante en droit à la Manufacture des tabacs, se met à la place des étudiants en phase de commencer leurs études. "Leur faire ça maintenant, c’est terrible. Ils doivent remplir leurs voeux sur APB, beaucoup sont stressés de ne pas avoir ce qu’ils veulent, et maintenant on leur annonce que leur admission ne sera peut-être que le fruit du hasard. L’université, c’est les études pour tous. Si on veut revenir là-dessus, je pense qu’il y a d’autres moyens plus justes de le faire", témoigne la jeune femme, outrée par cette réforme de fin de quinquennat. Elle partage son expérience personnelle : "Je n’étais pas excessivement douée au lycée, mais j’ai découvert le droit, ça m’a de suite intéressée et je réussis dans ce domaine. Si on m’avait refusé l’entrée à la fac à cause d’un tirage au sort, j’aurais été scandalisée par cette injustice". Pour cette notaire en devenir, il faut trouver une solution à la surcharge des universités. Mais cette circulaire "n’est pas la bonne manière d’y remédier". "Je n’accepte pas que l’on enlève aux futurs étudiants la certitude de rentrer à l’université, et d’avoir une seconde chance si leurs années lycée n’ont pas été réussies. J’y ai eu droit, je trouve normal que ceux qui viennent après moi l’aient aussi", ajoute la jeune femme, code civil à la main.

Cette circulaire est fortement critiquée, notamment par la FAGE, première association étudiante, qui déplore une "absence de dialogue entre le ministère et les organisations représentatives étudiantes sur le sujet". Elle dénonce par ailleurs une décision "passée en catimini à quelques jours de l’élection présidentielle", qui représente "l’abandon pur et simple de l’engagement du ministère pour le droit et l’égalité d’accès à l’enseignement supérieur". Une surprise d’autant plus "glaçante" qu’elle reprend un projet d’arrêté de légalisation du tirage au sort, qui avait été avorté en janvier 2017 suite au tollé qu’il avait provoqué au sein des organisations étudiantes et des universités. Thierry Mandon, secrétaire d’État à l’Enseignement supérieur, avait lui-même confié à Libération en mai 2016 : "Il n’y a pas plus stupide comme moyen de sélection".

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