Édito
© dessin de Enef

La fracture Charlie

Éditorial du n°741 de Lyon Capitale, daté de février, actuellement en kiosques.

Dimanche 11 janvier, j’ai marché comme 325 000 autres Lyonnais et j’ai voulu y croire. Non, ils n’ont pas gagné, ils ne nous monteront pas les uns contre les autres. “On ne voit pas la banlieue.” Mais si, mais si, semblait répondre la foule, digne et déterminée, reprenant espoir en se voyant si nombreuse, mais consciente que notre société est traversée par des fractures devenues béantes. “Un apartheid territorial, social, ethnique”, décrit le Premier ministre, Manuel Valls. Pointer les responsabilités serait une perte de temps, quand c’est chacun, à son poste, qui est appelé à faire ce qui peut l’être.

Pour la première fois sans doute, la société dans son ensemble a réalisé que ces fractures n’étaient pas forcément résorbables. Que l’héritage de la Révolution et de cinq républiques, qui ont tant réussi, tant assimilé de vagues successives de nouveaux citoyens, ne suffirait pas, même avec le temps, à tout régler. Certains diagnostiquent déjà la mort de la République, et appellent à la bazarder au plus vite pour inventer un nouveau modèle communautariste. D’autres théorisent encore une guerre de civilisation, pour ne pas dire une guerre civile...

Sachez-le, et faites le savoir : nous répondrons à toutes les invitations.

Plurielle depuis toujours, l’équipe même de Lyon Capitale n’est pas unanime. Charlie, pas Charlie, marcheurs, pas marcheurs... Mais nous nous sommes immédiatement accordés pour essayer, dans ce numéro, de regarder au plus près ces fractures, tenter de les décrire, les comprendre, en allant dan les écoles, les mosquées, les banlieues, les prisons. Puisqu’il faut imaginer des solutions nouvelles, continuons la mission que le Journal des esprits libres s’est toujours donnée : regarder autant que possible les réalités en face. Et tenter de les raconter dans toute leur complexité.

Une réponse nous a aussi semblé évidente : intervenir dans les écoles, les collèges, les lycées. La démarche a un peu effrayé le rectorat, peu rassuré de voir nos gros sabots faire le détail des “incidents” autour de Charlie. Mais les enseignants, les responsables de CDI nous ont accueillis à bras ouverts, partout où nous avons pu aller. Sachez-le, et faites le savoir : nous répondrons à toutes les invitations. J’étais moi-même dans un lycée technique du centre-ville, après avoir été dans un lycée de Vénissieux. Pendant deux heures, on n’a évité aucun sujet avec cette cinquantaine d’ados dont le seul défaut est de ne pas assez croire en eux. Deux heures passionnantes, où il a fallu rappeler les règles du vivre-ensemble, de la liberté d’expression, de l’humour, la laïcité qui protège la liberté de chacun de croire... ou de “blasphémer”. “On ne les a jamais vus comme ça, aussi attentifs pendant si longtemps. Les plus difficiles habituellement étaient les plus investis dans le débat...” confiait une enseignante à la sortie. Mais c’est à nous, journalistes, que ces échanges ont fait sans doute le plus de bien. Parce qu’ils nous amènent à nous réinventer pour parler à cette génération qui “s’informe” sans journalistes. Et parce que, surtout, ils nous redonnent envie d’y croire.

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