Y a-t-il du dopage dans le football ?

ANALYSE - Au football, les affaires de dopage se font rares, les “gros“ morceaux attrapés peu nombreux. Bien loin de l’athlétisme et surtout du cyclisme. Explications. (Article paru dans le magazine Lyon Capitale de janvier 2011).

Fin novembre, après la cinglante défaite de son équipe contre Schalke 04 en Ligue des Champions (3-0), Jean-Michel Aulas a, sur OL TV, lancé un pavé dans la marre en insinuant explicitement que les Allemands ne carburaient pas seulement à l’eau claire : “les joueurs de Schalke 04 n'étaient pas comme au match aller. Je ne sais pas quelle préparation ils avaient suivie, mais leur dimension physique était impressionnante. C’était un peu trop gros. On voit que les joueurs ne sont pas toujours à armes égales“. Ce genre de sous-entendu, le président de l’OL en est coutumier. Après l’humiliation reçue face au Bayern Munich en ½ finale de Ligue de la Champions en mai 2010, le boss du club lyonnais y était déjà allé de sa petite phrase assassine.

Le dopage inefficace au football ?

Mais les cas avérés de dopage dans le football restent rarissimes. Rien à voir avec d’autres sports, comme lé vélo par exemple. Cette saison encore, le vainqueur de la Grande Boucle 2010, Alberto Contador, risque de perdre sa couronne, rattrapé par la patrouille. Un sport rarement épargné. Pourtant l’été dernier, une autre immense compétition sportive, multidiffusée et ultra-médiatique se disputait en Afrique du Sud. Aucun cas positif. Logique, si l’on écoute Sepp Blatter, le président de la Fédération internationale de football association (FIFA), organisatrice de l’évènement : “le dopage est inefficace au football. Il n’existe aucun produit capable de faire d’un mauvais un bon joueur et d’un bon un excellent joueur“. Un discours partagé par bon nombre d’acteurs du ballon rond.

Quel intérêt aurait alors un footballeur à recourir à des substances interdites ? “Le foot est contaminé par le dopage“, rétorque Jean-Pierre de Mondenard, médecin du sport et auteur de nombreux ouvrages sur le dopage. Le plus récent, de novembre 2010, Dopage dans le football : la loi du silence (aux éditions Jean-Claude Gawsewitch), s’attaque à l’omerta qui règne sur le sujet. A contre-courant, Jean-Marcel Ferret, ancien médecin de l’OL et de l’équipe de France championne du monde 1998, s’émeut de telles accusations : “tellement de bêtises sont dites. Il faut arrêter de cracher sur notre sport“. Les deux hommes ont des avis tranchés, et aussi radicalement différents. Nous leur avons donné la parole.

ENTRETIEN. Médecin du sport, Jean-Pierre Mondenard démonte dans son dernier ouvrage le tabou du dopage dans le football en expliquant, avec force, détails et anecdotes, les pratiques actuelles

Lyon Capitale : Dans votre livre, vous fustigez l’idée, pourtant répandue, qu’il n’y a pas de dopage dans le football, car aucun produit ne peut, à la fois, améliorer l’endurance, la résistance, la vista et la lecture du jeu…

Jean-Pierre de Mondenard : Souscrire à cette idée serait faire preuve d’une ignorance profonde des avantages potentiellement conférés par les substances dopantes. Des euphorisants, des antalgiques, des tranquillisants ou des stupéfiants permettent de réduire considérablement le stress, l’anxiété, la démotivation ou la douleur physique. De leur côté, l’hormone de croissance ou les stéroïdes anabolisants contribuent à enrichir le geste technique, en favorisant la genèse musculaire. Quant à l’érythropoïétine (EPO) et les transporteurs d’oxygène (transfusions sanguines), ils influencent efficacement l’aptitude à courir sans s’essouffler pendant quatre-vingt dix minutes et même au-delà, pendant le temps additionnel. Les qualités physiques doivent être au diapason du talent footballistique.

Pourtant, les contrôles positifs au football sont très rares…

Tant que les fédérations sportives chapoteront la lutte antidopage, rien ne pourra fondamentalement changer. Elles gèrent à la fois l’image, le renom et les mannes financières qui en découlent ; parallèlement, elles doivent assurer les contrôles et prendre des sanctions. Il y a un conflit d’intérêt évident. Connaissez-vous un jury d’assises où c’est la propre famille du prévenu qui le juge ? Connaissez-vous un PDG délégué syndical ? Pourtant, c’est ce qui se passe dans le sport depuis 45 ans. On ne voit ça nulle part ailleurs et on continue. La fédération, son rôle, c’est d’éduquer les licenciés, faire de la prévention, organiser la formation des entraîneurs. En toute indépendance, elle ne peut pas jouer dans la répression.

Un contrôle négatif, c’est la preuve de rien du tout

Au cyclisme, de nombreux coureurs sont pourtant pris la main dans le sac...

Ce n’est pas aussi idyllique que ça. Au cyclisme, ils ont déclaré la guerre aux tricheurs forcés et contraints. Le Tour de France s’est comporté comme la FIFA pendant des décennies. Le seul à ASO (Amaury sport organisation) qui avait le bon discours, c’est Patrice Clerc (président d’ASO d’octobre 2000 à septembre 2008, NDLR). C’est d’ailleurs ce qui lui a valu sa mise à l’écart. Il était en conflit permanent avec l’UCI (Union cycliste internationale). Il ne faut pas dire que le cyclisme lutte réellement contre le dopage. Pierre Bordry, le patron de l’AFLD (Agence française de lutte contre le dopage), a démissionné en septembre 2010. Il avait épinglé quelques cyclistes lors du Tour 2008 (quatre à l’EPO, un à l’heptamyl), mettant en avant la compétence du laboratoire français. Juste après son départ, l’intéressé confie que le nombre de coureurs dopés est beaucoup plus important qu’on l’imagine et que les substances indécelables sont de plus en plus nombreuses. Du jour au lendemain, son discours avait radicalement changé.

Comment peut-on se doper et échapper au contrôle positif ?

Le football est plus riche, il peut s’entourer des meilleurs préparateurs “top-dopage“ pour passer à travers les mailles du filet. Aujourd’hui, certains sportifs consomment des produits sous forme de cure. Ils prennent de l’EPO en microdoses, des anabolisants indécelables, différentes hormones afin d’acquérir des qualités physiques et mentales supplémentaires qu’ils auront à disposition le jour des matches. L’avantage de cette façon de procéder : les produits ne seront plus présents dans les urines au moment de la compétition. Au final, un contrôle négatif, c’est la preuve de rien du tout.

“La seule façon de réguler la triche, ce sont des systèmes indépendants“

Et personne ne s’en émeut …

Dans les années 80, un médecin de la fédération m’avait confié que pour lutter contre le dopage, il ne faut pas en parler. Un discours dans la droite ligne de la “loi du silence“ qui fait partie intégrante du mode de communication de ce milieu. Si vous commencez à jouer au gendarme et à faire vraiment votre boulot, vous ne pouvez pas être l’ami de ceux que vous devez contrôler. Or, il n’est pas rare d’apprendre que tel médecin ou contrôleur collectionne les maillots de joueurs de renom… Difficile dans ces conditions d’être impartial.

Des solutions existent-elles ?

Bien sûr. Mais qui dirige la manœuvre ? Les fédérations. Pour les raisons déjà évoquées, elles sont fatalement inefficaces. La première règle, absolue et intangible, c’est de sortir la lutte antidopage du monde du sport. Sinon, c’est voué à l’échec. La justice et la direction de la police sont-elles entre les mains du grand banditisme ? Non. Alors pourquoi la lutte antidopage est-elle sous la coupe du monde du sport ? Rappelons que la triche est consubstantielle à l’homme. La seule façon de la réguler, c’est de mettre en place des systèmes réellement indépendants. Pourquoi les fédérations s’acharnent-elles à conserver la main mise sur la lutte antidopage alors que ça ne leur apporte que des ennuis ? C’est qu’il y a bien un bénéfice de garder sous contrôle la communication concernant le nombre de tests effectués et leurs résultats.

Jeudi : la réponse de Jean-Marcel Ferret (médecin de l'OL de 1977 à 2005 et de l'équipe de France de 1993 à 2004).

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