Hydroélectrique: la mise en concurrence tuée par un rapport?

Dans un référé publié très récemment, la Cour des comptes juge que l’Etat perd du temps – et de l’argent – sur le dossier des centrales hydroélectriques. Les redevances sur les concessions ne sont pas perçues, et l’ouverture à la concurrence tarde. Si le Gouvernement estime que ce dernier point pourrait être mis en œuvre rapidement, un rapport parlementaire qui sera rendu dans quelques semaines pourrait contredire cette position.

Le Gouvernement s’est-il assis sur la source de millions d’euros ? C’est en tout cas le reproche que lui fait la Cour des comptes, dans un référé de juin 2013 qui vient d’être rendu public. Dans le collimateur de l’institution, la gestion du renouvellement des concessions hydroélectriques. En 2010, on recensait 400 concessions, principalement exploitées par EDF (pour 80 % de la puissance) et par GDF-Suez (via ses deux filiales la Compagnie nationale du Rhône et la Société hydroélectrique du Midi). Selon la Cour des comptes, il y a aujourd’hui un manque à gagner pour le Trésor public, et ce à plusieurs titres.

520 millions d’euros de recette théorique

En effet, la loi de finances rectificative de 2006 instaure une redevance proportionnelle aux ventes d’électricité, permettant de récupérer une partie de la rente des concessions amorties. La redevance devait initialement profiter pour moitié à l’Etat et pour moitié aux collectivités locales (1/3 pour le Département et 1/6 pour les communes traversées par le cours d’eau).

Une manne financière importante, à en juger le calcul de la Cour des comptes : "Le chiffre d’affaires théorique minimum de l’hydroélectricité concédée est de 3 milliards d’euros. En appliquant un taux de redevance de 25 % au chiffre d’affaires total des concessions hydroélectriques, la recette potentielle théorique pour les collectivités atteindrait 750 millions d’euros. Dans la mesure où environ 30 % du parc hydroélectrique n’est pas amorti, la recette devrait atteindre un peu plus de 520 millions d’euros."

600 millions d’euros de perte en 2020

Seulement voilà, l’Etat n’a perçu en 2012 que 180 millions d’euros, correspondant à la redevance versée par la CNR. Car la charge n’a jamais été appliquée aux nombreuses concessions arrivées à échéance depuis 2006. Certaines ont été renouvelées sans application de la redevance, quand d’autres ont été prorogées à défaut de nouvelle concession, dans les conditions antérieures.

Pour Marie–Noëlle Battistel, députée socialiste qui préside une commission parlementaire dédiée, "la perte pour le budget de l’Etat peut être estimée à 3 millions d’euros en 2012, 50 millions en 2013 et 100 millions en 2020, en toute théorie". "La perte cumulée sur la période pourrait atteindre plus de 250 millions d’euros en 2016 et, le cas échéant, 600 millions d’euros d’ici à 2020", estime de son côté la Cour des comptes.

Ouverture à la concurrence

Dans le prolongement de cette observation, l’institution presse surtout l’exécutif d’ouvrir les concessions à la concurrence. "La mise en concurrence permet de valoriser au mieux l’actif que représentent les grandes installations hydroélectriques, propriétés de l’Etat. La mise en concurrence permet de sélectionner le candidat le mieux-disant au regard des critères fixés par l’Etat (efficacité énergétique, respect de l’environnement, montant de la redevance) et de faire bénéficier les collectivités publiques d’une partie a priori optimale de la rente hydroélectrique", stipule le référé.

Le Gouvernement contre la position de Batho

En 2012, pourtant, Delphine Batho, alors ministre de l’Ecologie, avait appelé à s’assurer de l’ensemble des options sur le sujet et à identifier des alternatives. C’est le sens de la mission parlementaire présidée par Marie-Noëlle Battistel, qui rendra son rapport d’ici la fin du mois.

Mais il semblerait qu’avec le départ de Delphine Batho du gouvernement l’orientation ait changé, et les ministères de l’Economie, du Budget et de l’Ecologie abondent aujourd'hui dans le sens de la Cour des comptes. "Sans préjuger des conclusions de la mission parlementaire, il semble qu’à ce stade la mise en concurrence constitue la solution juridique la plus robuste pour optimiser le patrimoine national de l’hydroélectricité", répondent ainsi les ministres à la Cour, en précisant que "le lancement de manière échelonnée du renouvellement des premières vallées pourrait intervenir dès le premier semestre 2014".

La commission en désaccord avec les ministres ?

Une déclaration que Marie-Noëlle Battistel prend avec distance. "Je ne dévoilerai pas les conclusions de notre commission. Mais elles n’iront peut-être pas exactement dans le sens de la réponse des ministres, et nous ne serons peut-être pas d’accord sur tout, glisse-t-elle. Je ne sais pas ce que le Gouvernement décidera au final, mais j’espère que ce rapport permettra au moins d’ouvrir une discussion."

Quant au calendrier, Marie-Noëlle Battistel rappelle que, si l’ouverture à la concurrence devait être privilégiée, l’établissement d’un cahier des charges pour chaque ouvrage "représente un travail important et méticuleux".

Mais la Cour estime le temps compté, craignant que les lenteurs de l’ouverture à la mise en concurrence ne "démotivent" les candidats potentiels. La députée reconnaît que "peut-être certains candidats se sont impatientés puisqu’ils ont dépêché depuis deux ans des équipes sur place pour effectuer des études et, ne voyant rien venir, ils sont partis. Mais, s’il devait y avoir mise en concurrence, ils reviendront vite".

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