Ces Lyonnais qui hésitent à voter Bayrou

Ils sont tentés par François Bayrou. Avant de devenir un choix d'adhésion, c'est un rejet de Nicolas Sarkozy et de Ségolène Royal. Le candidat UMP leur fait peur "par son côté extrême", la candidate PS les inquiète par son "manque de consistance". Dans Lyon Capitale, ils interrogent François Bayrou.

Alain Cosnier, cadre supérieur.
Alain Cosnier : "Bien que de gauche, je suis favorable au CNE. Qu'est-ce que vous en faites ?"

François Bayrou : La loi prévoit de faire l'évaluation du CNE en juillet. Nous verrons alors ce qu'il en est de l'effet réel de ce contrat sur l'emploi, sur les avantages apportés aux chefs d'entreprises et les garanties apportées aux salariés.

Stéphane Sacquepee, conseiller en nouvelles technologies.
"Que vous gagniez ou que vous perdiez, est-ce la fin des alliances exclusives de l'UDF avec la droite? Le verra-t-on aux législatives, puis aux municipales ?"
François Bayrou : Si je suis élu président de la république, le paysage politique sera profondément renouvelé. Je suis bien décidé à briser ce mur qui sépare la gauche de la droite et qui empêche les bonnes volontés des deux camps de travailler ensemble. Pour moi, la compétence compte plus que l'étiquette. C'est sur ce seul critère que serons décidées les investitures aux législatives et la composition des listes aux élections municipales.

Myrtille Laplace, étudiante.

"Le logement est le gros problème des étudiants. Même une bourse de 400 euros passe entièrement dans la location d'une pièce de 15 m2. Et en IUT, on a 40 heures de cours et on n'a pas le temps de travailler à côté. Comment faire ?"
François Bayrou : La situation que vous décrivez est malheureusement tout à fait commune : trouver un logement est une galère absolue pour les étudiants, et pour leurs familles. Pour les locations, je propose une mesure très simple : supprimer les cautions et les dépôts de garantie, et les remplacer par un système d'assurance, qui ne coûtera que quelques euros par mois. Et puis il y a la question de l'offre : nous devons construire plus de logements sociaux, plus de logements étudiants et favoriser les colocations.

Sabine Guillemin, consultante.
"Concrètement, comment vous y prenez-vous pour constituer votre gouvernement? Comment sortir de la bande à Sarko et de la bande à Ségo ? Comment faire bosser ensemble DSK et Borloo ? N'est-ce pas une utopie ?"
François Bayrou : Ce n'est pas une utopie, c'est une nécessité. Vous voyez bien que sur les grandes questions de l'avenir, le chômage, les retraites, l'environnement, l'école, nous avons besoin de tout le monde. Et d'ailleurs, les solutions sont partagées par un grand nombre de responsables politiques, associatifs, syndicaux. J'ajoute que nous avons besoin d'un profond renouvellement. La France compte des talents partout, des personnalités de tous bords, et pas seulement dans le milieu politique, ont les qualités requises pour gouverner le pays : le sens de l'intérêt général, la capacité de travail, le sens de l'écoute. Vous verrez, au soir du premier tour, comme les choses changeront. A une vitesse et avec une profondeur que vous ne soupçonnez pas...

Lucie Labarrière, 18 ans.
"Je veux être assistante sociale. Mais il n'y a pas de reconnaissance dans notre société pour ce métier, sous-estimé et financièrement peu favorisé. Pouvez-vous changer cette image, rehausser les salaires ?"
François Bayrou : Il y a dans notre société un mouvement dangereux : tous les métiers qui s'occupent des gens au quotidien, enseignants, médecins, infirmières, assistantes sociales sont de plus en plus dévalorisés. Ce n'est pas la société que j'aime. Je veux au contraire mobiliser toutes les expériences, toutes les énergies, au service du progrès social. De nombreux quartiers, de nombreux territoires ruraux ont en particulier besoin de services de proximité, d'aide à la personne. Il n'y a rien de plus important que de retisser les liens dans une société aussi dure que la nôtre. Dans cette reconquête, votre travail sera reconnu et revalorisé.

Stéphanie Clopin, 19 ans.
"Je ne comprends pas votre opposition au mariage homo. D'autant que vous n'êtes pas contre l'adoption homoparentale qui généralement pose plus de problème à la société française. Qu'est-ce qui vous choque tant dans le mariage homosexuel ?"

François Bayrou : Je suis pour la compréhension réciproque. Je suis pour que l'on comprenne la situation des couples homosexuels qui éduquent un enfant. Je suis pour qu'on permette une union civile de manière que l'on puisse transmettre appartement ou maison en cas de décès dans un couple homosexuel comme dans le mariage. Et je suis aussi pour que l'on comprenne les millions de Français pour qui le mariage est une institution s'adressant à une femme et à un homme, dans la complémentarité entre les sexes.

Gérald Vigneaud, ophtalmo.
"N'est-il pas dangereux de proposer un nouveau référendum sur l'Europe au risque de le faire capoter ? Pourquoi prendre le risque d'avoir encore un non alors que Sarkozy propose une solution qui me paraît peut-être plus sage ?
François Bayrou : Le vrai risque, c'est justement d'écarter encore un peu plus les Français de l'Europe. Je veux être le Président qui réconciliera les Français avec l'Europe et l'Europe avec la France. Je proposerai un nouveau texte, plus simple, plus lisible, plus compréhensible. Et je le soumettrai au vote des Français. Toute autre attitude serait irresponsable : sur des sujets de cette importance, on ne peut pas décider en catimini. Je refuserai toute manœuvre qui consisterait à priver les Français de leur liberté d'expression.

Ludivine Alonso, étudiante.
Ludivine Alonso : "Corinne Lepage a rejoint votre équipe. Sur quoi vous a-t-elle fait évoluer ?"
François Bayrou : Corinne Lepage nous a apporté son expertise environnementale reconnue par tous. Je pense par exemple aux conversations que nous avons eues sur les incinérateurs, sur la santé publique, sur la réduction des gaz à effet de serre, sur les OGM, sur le respect de l'environnement dans la publicité. Par sa connaissance de ces sujets, par sa force de conviction, Corinne m'a beaucoup apporté.

Jean-Louis Lubrano, ingénieur.
"Les Universités françaises sont en très mauvais état et très mal classées. Vous promettez de les mettre au niveau international. Comment ? Par l'autonomie, les fonds privés ? Plus de sélection n'est-elle pas nécessaire ? D'autre part, supprimer l'ENA pour la remplacer par l'école des services publics, n'est-ce pas simplement changer de nom ?"

François Bayrou : Je suis très ambitieux pour notre enseignement supérieur. C'est un enjeu national, sur lequel nous avons besoin de fixer de grands objectifs, discutés et votés de manière transpartisane. Aujourd'hui, la France dépense près de 20% de moins par étudiant que la moyenne constatée dans les pays de l'OCDE. Nous devons donc augmenter l'effort national en faveur des universités pour atteindre cette moyenne, soit 2,7 milliards d'euros sur cinq ans. C'est une nécessité et un investissement, tant la formation des jeunes est importante pour notre avenir.
Je tiens au modèle universitaire national, par exemple pour les diplômes. Mais la gouvernance de l'université française est déresponsabilisante et complexe. Il faut améliorer son fonctionnement et promouvoir les fonctions d'encadrement.
Pour moi, la sélection n'est pas un modèle qui correspond à l'idéal républicain. La vraie question est celle de l'orientation et de l'information sur les débouchés existants. Je suis convaincu que les jeunes ne suivraient pas les filières où ils rencontrent actuellement des échecs s'ils savaient ce qui les attend.
Il y a plus important encore que la sélection, c'est l'adéquation avec le marché du travail. Le drame, c'est que les familles en sont restées à l'idée qu'un diplôme = un emploi. Or il y a longtemps que c'est faux. C'est pourquoi je veux confier à l'université une nouvelle mission : l'insertion et la formation professionnelle. En ce qui concerne l'ENA, enfin, mon idée est de permettre d'ouvrir la haute fonction publique à ceux pour qui elle est exclue aujourd'hui. Simplement parce qu'ils n'ont pas passé, ou réussi, un concours à 20 ans. Pourtant, ils sont des milliers, dans le secteur privé ou dans la fonction publique, qui ont acquis au fil des ans une expérience, un savoir-faire, dont on a grandement besoin à la tête des administrations. Je veux donc un recrutement plus ouvert, qui accueille des talents différents dans les parcours, les âges ou les profils. Je veux restaurer l'ascenseur social.

Questions de la rédaction

La semaine dernière, Nicolas Sarkozy s'est engagé dans Lyon Capitale à ce qu'il y ait, au plus vite, une cellule par prisonnier. Et vous ?
François Bayrou : Dans des prisons peuplées en moyenne à 117%, et jusqu'à 150%, parler de dignité des détenus est une illusion. Sauf demande spécifique de leur part, la règle doit effectivement être une cellule, un détenu, comme la loi le prévoit déjà pour les personnes soumises à la détention provisoire. Cela dit, les spécialistes m'expliquent que la solitude peut aussi accroître les dépressions voire les suicides. Une règle donc, mais avec des exceptions possibles.

Vous venez de la droite et vous attirez plus à gauche. Comment l'expliquez-vous ?
François Bayrou : On a besoin de tout le monde. On a besoin des valeurs dites de droite, comme l'ordre et l'effort, des valeurs de gauche, comme l'égalité et la solidarité, et des valeurs de centre, telles que l'équité et la tolérance. Je suis heureux de rassembler toutes ces sensibilités qui, au fond, forment la France telle qu'elle est, dans sa diversité et sa complexité. J'ai moi-même fait du chemin, lorsque j'ai compris que les affrontements entre les uns et les autres ne servaient à rien, et qu'il y avait aussi une part de vérité chez celui qui est dans une autre famille politique que la sienne.

Quels sont les trois plus gros mensonges que vous avez entendus lors de cette campagne ?
François Bayrou : J'ai beaucoup ri en entendant Jean-Marie Le Pen expliquer doctement qu'il était un "homme de centre-droit". Mais dans la foire aux promesses qu'est malheureusement devenue la campagne électorale, la palme revient à Nicolas Sarkozy qui a promis de baisser les prélèvements obligatoires de 4 points, c'est-à-dire 72 milliards d'euros. Comme disait Audiard, faut pas prendre les enfants du bon Dieu pour des canards sauvages...

Pour vous, Gérard Collomb est-il compatible avec l'UDF ?
François Bayrou : Je ne le connais pas personnellement. Mais je vous ai indiqué quelle serait ma ligne de conduite dans la perspective des futures échéances électorales.

Lyon est une terre centriste. Quel message fort voulez-vous faire passer à Lyon lundi 16 ?
François Bayrou : J'aime beaucoup Lyon, qui est une ville où se sont écrites de belles pages de l'histoire de ma famille politique et de mon itinéraire personnel. Depuis longtemps, les Lyonnais savent se rassembler pour construire ensemble leur avenir, et c'est une raison de la réussite de cette grande ville. J'ai donc besoin d'eux, et avec moi tous ceux qui veulent libérer la société française de ses archaïsmes.

Le vote anti Ségo-Sarko

"Par défaut" répond Lucie Labarrière, 18 ans, qui vote pour première fois. "Je n'adhère pas aux idées de droite de Sarkozy même s'il a de bonnes idées. Ségolène, je voulais voter pour elle mais c'est un pantin sans charisme. Bayrou j'ai envie de croire qu'il est honnête, sympa". Myrtille Laplace, 18 ans, a également procédé "par élimination". "Le Pen, c'est horrible, j'ai vu son programme. Sarkozy, c'est pire. Ségolène elle ne fera pas le poids." Stéphanie Clopin, 19 ans, étudiante à sciences-po - première votante également - est "de gauche" et "féministe". "Je suis plutôt d'accord avec les idées de Ségolène mais je n'aime pas la façon de les défendre et son côté "vieille France" ; Sarko, lui, veut le pouvoir pour le pouvoir".
Gérard Vigneaud ne vote jamais, sauf pour l'Europe : "Bayrou a réussi à sortir indemne du rouleau compresseur des partis et c'est le plus net sur l'Europe, les autres naviguent à vue". Marie-Christine Petit votait Mitterrand. "Assez enthousiaste au début de voter pour une femme, j'ai été très déçue des virevoltes, d'un manque d'humanisme et finalement par un discours très abstrait (...) En plus la musicalité de sa voix me casse les oreilles". Sabine Guillemin, qui a voté Mitterrand pendant des années, est plus cruelle : "Ségolène Royal est creuse comme une canne-à-pêche. Elle est inquiétante par son côté incantatoire, je ne supporte ses expression "donnant-donnant" et "je ferai un pacte". Je sais aussi qu'en Charente-Poitou, elle se conduit comme une garce avec son équipe, elle veut tout contrôler. Quant à Sarko, ça me ferait mal de voter pour lui, il y a chez lui une violence... J'ai peur qu'il mette la France dans la rue. Bayrou est tentant". Stéphane Sacquepee a "peur du Margaret Thatcher en talonnettes". Prêt au départ à voter Ségolène, il ne comprend plus "ses atermoiements. J'ai du mal à saisir son projet". Alain Cosnier voulait aussi voter Royal mais il la trouve "vachement réac'. Elle fait des revirements spectaculaires. On ne sait pas où elle va. Elle ne m'a pas convaincu, d'autant qu'on ne vote pas sur le sexe de quelqu'un".

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