Les jeux sexuels des enfants ne sont pas des jeux de vilains

Les psys doivent souvent rassurer les adultes qui se souviennent avec embarras d'attouchements avec leur frère ou leur sœur.

La vie sexuelle de Sophie a vraiment démarré à ses 8 ans, avec le fils de sa nourrice. « Romain était un peu plus âgé que moi. Il m'a sollicitée, plusieurs fois. Il disait qu'il voulait faire comme les adultes. Alors, nous mimions la pénétration », se souvient-elle. En CE1, elle perçoit donc les potentialités de son corps, ce qu'il a « d'agréable et de rigolo ». Puis, naturellement, elle devient initiatrice à son tour et embringue dans ces activités « de grande », son petit frère, de trois ans son cadet.

Comme s'il s'agissait de lui apprendre à faire de la bicyclette. Sur la mezzanine de leur maison de vacances, durant un été, ils ont 11 et 9 ans et « s'imbriquent l'un dans l'autre ». Puis, il y a eu ce week-end à la campagne, ses parents sont sortis dîner : « Je me suis dit : c'est la fois de trop, il n'oubliera pas, et notre relation sera pour toujours abîmée. »

Question obsédante : est-ce un inceste ?

Vingt ans plus tard, à 27 ans, ces expériences avec Romain la font plutôt rire. Celles, mettant en scène son frère, lui serrent l'estomac. Sophie redoute particulièrement le jugement de son psychanalyste, avec qui elle travaille depuis trois ans : « J'ai essayé plusieurs fois de lui dire, parce que ça pourrait peut-être révéler des choses sur moi, mais les mots ne sortent pas. Même si je ne l'ai jamais forcé, je me sens responsable, parce que j'étais la plus grande. » Puis, la question qui l'obsède, « Est-ce un inceste ? ».

Les jeux sexuels entre frères et sœurs sont tabous, mais ils ont toujours existé et ne sont graves que parce qu'ils nous culpabilisent. Aucune étude ne mesure l'ampleur de ces pratiques familiales, mais le pédopsychiatre Jean-Yves Hayez, auteur de « La Sexualité des enfants » (éd. Odile Jacob), estime qu'elles pourraient concerner un cinquième des fratries. Et susciter pas mal de malaise au passage.

« Il est hors de question que porte plainte contre mon frère »

Internet déborde de témoignages aussi tourmentés que celui de Sophie. Sur le forum intitulé « Jeux d'enfants ou inceste » de Doctissimo, une jeune fille de 21 ans livre une confession fleuve : « Lorsque nous étions petits avec mon frère, nous faisions semblant de faire l'amour. Cela a duré jusqu'à mes 9-10 ans, mais en tout, on a dû faire ces choses six ou sept fois. Je dois avouer que ça ne me traumatise pas au quotidien, mais j'y repense périodiquement (tous les cinq ou six mois). Quand je repense à cet épisode, ça me dégoûte, ça me gêne, ça me perturbe… Je voudrais l'effacer, que ça n'ait jamais eu lieu, mais c'est impossible… » Puis, magnanime : « Il est hors de question que je porte plainte contre mon frère. » Cela ne servirait à rien, les « jeux du docteur » ne sont évidemment pas punis par la loi.

« Ces affaires relèvent du domaine privé ou de celui des psys, mais pas des avocats », s'impatiente Me Catherine Perelmutter, avocat en droit de la personne, qui travaille sur des « affaires graves ». L'amalgame exaspère aussi le pédopsychiatre Jean-Yves Hayez : « La définition de l'inceste ne peut pas être bradée et lue de façon administrative. »

Le médecin distingue trois pôles : les jeux sexuels d'enfants bilatéralement consentis qui font partie du développement psycho sexuel, l'inceste qui implique amour ou exclusivité et a souvent lieu à la puberté,l'abus de pouvoir souvent pratiqué par un aîné ayant une grande différence d'âge (puni par la loi, comme dans l'affaire des enfants de Philippe de Villiers). La première situation n'entraînant pas les deux autres.

Des souvenirs effrayants revus avec un regard d'adulte

Dans son cabinet, Didier Lauru, psychiatre et psychanalyste, recueille souvent des témoignages d'adultes culpabilisés : « Je vois très souvent des personnes qui m'avouent, avec un air grave, avoir eu des comportements pervers et déviants, dans l'enfance. Une fois plus grands, les images qui reviennent à leur mémoire leur font honte, parce qu'ils les lisent avec leur regard d'adulte. »

Cet embarras, venu de loin, peut créer des perturbations, à l'âge adulte. Les jeux sexuels entre frères et sœurs sont au contraire, dès 4 ou 5 ans, la preuve d'une bonne santé psychique. « Un enfant qui ose aller à la découverte et manipuler des choses est plutôt sur une bonne voie. Des tabous se mettent ensuite en place spontanément », explique Jean-Yves Hayez. Tandis que Didier Lauru, également auteur de « La Sexualité des enfants n'est pas l'affaire des grands » (Hachette), renchérit : « Pour explorer sa sexualité, on prend le premier enfant qu'on a sous la main, son partenaire de jeux privilégié, son frère ou son cousin ». Il arrive qu'il y ait des « dérapages », avec des tentatives de sexualité génitalisée (avec pénétration), mais « le sexe d'un jeune garçon est petit et avant qu'il maintienne une érection pérenne, ce n'est pas gagné », relativise-t-il.

« Mon père est arrivé, hurlant que c'était très mal »

Dans la plupart des fratries adultes, ces jeux sont oubliés et plus jamais réévoqués. Ceux qui culpabilisent, trente ans après, ont souvent subi un épisode traumatique, dans l'enfance. Ils ont lu l'épouvante dans les yeux d'un parent qui a ouvert la porte, un peu trop vite.

Tania, à presque 30 ans, se souvient précisément d'un bain qui a tourné à la catastrophe avec son grand frère : « Un jour, on est allé plus loin que d'habitude et mon père est arrivé, hurlant qu'on était trop vieux pour ça et que c'était très mal. » « Cela renvoie les parents à leur propre sexualité et les met mal à l'aise parce que cela les confronte à des souvenirs similaires et refoulés », analyse Didier Lauru.

La psychanalyste, Christiane Ollivier, conseille avec bon sens aux parents de privilégier la communication : « La sexualité bien vécue doit être accompagnée de paroles. » Interviewée sur son lieu de vacances, elle doit interrompre son exposé pour chasser les nombreux enfants de la pièce, ayant cessé toute activité (trop passionnés par sa discussion). « La réaction des parents concernant les jeux sexuels et la masturbation est fondamentale. Les dégâts dans un couple peuvent être terribles », explique-t-elle.

« Je vois des gens frigides ou ne pouvant pas atteindre l'orgasme, parce que des parents les ont trop culpabilisés, dans l'enfance. » Selon elle, chaque famille a le droit de poser ses règles, mais mieux vaut éviter de recourir au facile « c'est mal ».

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