Le préfet et le maire de Lyon, unis contre les prostituées

Article actualisé le 8 janvier à 15h20 - A la réunion publique sur la "sécurité" dans le 7e arrondissement, jeudi 6 janvier, le préfet Jacques Gérault et le maire (PS) de Lyon, Gérard Collomb ont défendu le 5e arrêté anti-prostitution pris le 18 décembre (lire notre article).

Cette réunion publique sur la sécurité dans le 7e arrondissement à l’Ecole Normale Supérieure, deuxième du genre, a eu le mérite de confirmer qu’en matière de prostitution, le préfet et le maire de Lyon sont au diapason.
Procédant au bilan des actions entreprises en matière de sécurité depuis le 5 novembre, le préfet a tout d’abord fait profil bas. "La prostitution n’est pas un délit", explique-t-il. "Le gros problème que nous avons, plus nous reculons les limites de la prostitution, plus celle-ci se décale. C’est l’effet "splash", en langage de la police".

Nous sommes bien conscients de cela mais compte tenu de la présence d’un établissement scolaire et des nombreuses doléances, j’ai pris un arrêté... euh, pardon, c’est monsieur le maire qui a pris l’arrêté. Nous étions en étroites relations. je l’assume et le revendique”.

“Etroites relations”

Après plusieurs interventions sur la saleté des rues de la Guillotière et les carcasses de voitures brûlées qui ne sont pas enlevées, le directeur du centre social de Gerland, Jean-Paul Vilain, rebondit sur le lapsus du préfet. "Qui dirige la Ville de Lyon ?", demande-t-il. Lui-même très engagé, au côté de l’association Cabiria, dans le dialogue entre riverains et prostituées, s’interroge sur l’”utilité de faire des réunions" et propose au maire de faire autre chose : "Il y a d’autres solutions. Pourquoi ne pas organiser le stationnement des camionnettes à l’échelle de l’agglomération ?". Ce qui signifierait braver la loi sur le proxénétisme qui punit toute organisation collective de la prostitution. Maria, 60 ans et 40 ans de prostitution à son actif, demande seulement "qu’on arrête de nous mettre des PV et qu’on nous laisse travailler". “La prostitution est un métier comme un autre”, ajoute une autre “travailleuse du sexe”.

Gérard Collomb prend alors la parole sur le sujet. Il attaque : "la prostitution n’est pas un "métier comme un autre"" car, précise-t-il, "Beaucoup de filles sont sous la coupe de proxénète". Il refuse toute organisation de la prostitution, en se fondant sur sa visite de la ville allemande d’Hambourg, où la prostitution est réglementée. "J’ai vu les filles dans les vitrines. Autour, c’est la misère noire". Il conclut en se positionnant “comme politique” : “je préfère qu’on démantèle les réseaux et qu’on arrête les proxénètes”. Et il ajoute : “je ne souhaite pas encourager la misère. Je cherche à la soulager”.

Démanteler des réseaux en distribuant des PV ?

Le préfet tient la deuxième justification de "son" arrêté. “Avec monsieur le maire, nous menons le même combat contre l’esclavage”. Il affirme que les premiers arrêtés interdisant les camionnettes à Perrache ont permis le démantèlement d’un réseau et de faire partir un deuxième réseau de Lyon.

Il précise que “les personnes qui vivent de manière correcte et qui font attention aux enfants ne seront pas inquiétés”. Pourtant, elles le sont déjà puisque, travaillant en camionnettes dans des zones couverts par des arrêtés, elles collectionnent les procès verbaux.

La priorité aux entreprises

Gérard Collomb reprend la parole et ajoute une nouvelle justification : l’emploi. A cause de la présence des camionnettes dans les rues de Gerland, les entreprises implantées dans le quartier seraient incitées à moins investir à Lyon. Il raconte en effet que le directeur de l’entreprise de biotechnologie Genzyme déplore la présence d’une dizaine de camionnettes “sur les parkings de la firme” susceptibles de heurter les visiteurs étrangers. "Il ne pense pas que Lyon soit dans une certaine "norme". Ce sont des centaines d’emplois qui sont là. Et, dans la situation économique qui est la nôtre, il faut s’en soucier".

Le dossier de la prostitution est refermé. Place aux commerçants de la Guillotière qui se plaignent ouvertement de la présence, devant leur magasin, de Roms, accusés par un responsable d’un “grand magasin alimentaire” de "d’avoir la main mise sur le quartier". (lire par ailleurs)

Ecoeurement des associations et des prostituées

A la sortie de la réunion, les personnes prostituées et les responsables associatifs de Cabiria, du Mouvement et l’Amicale du Nid font part de leur écoeurement d’une telle soirée. Ils sont unanimes à dénoncer une mesure qui ne réglera pas la cohabitation entre riverains et prostituées puisque cet arrêté, comme l’a reconnu le préfet lui-même, déplacera les prostituées vers d’autres rues.

Et personne ne voit le rapport entre la distribution de PV voire des mises en fourrière et le démantèlement de réseaux de proxénétisme. "Ils nous prennent pour des imbéciles, s’insurge le délégué régional du Mouvement du Nid, Daniel Mellier. L’expulsion des camionnettes et la lutte contre le proxénétisme n’ont aucun rapport. On confond une question d’ordre public avec le travail de la brigade des mœurs. Ce n’est pas honnête de traiter la question de la prostitution de cette manière-là".

Sur le parvis de l’ENS, Karen fait les cent pas. Cette prostituée travaille dans la zone industrielle de l’Artillerie à Gerland. Sous le coup d’un arrêté anti-stationnement, elle accumule les PV et les mises en fourrière. Elle qui a assigné la mairie de Lyon devant le tribunal administratif veut continuer le "combat". Avec des "collègues", l’association Cabiria et le centre social de Gerland, ils ont déjà prévu une réunion publique sur le "vivre ensemble", le 20 janvier prochain dans les locaux du centre social.

Dans un communiqué de presse daté du 8 janvier, le Syndicat du travail du sexe (STRASS) créé en mars 2009 qualifie d’”odieux”, “l’acharnement” de la préfecture du Rhône et de la mairie de Lyon. “Odieux parce que le message est clairement : disparaissez, allez au mieux travailler seules le long des nationales, dans l'isolement et le danger. Ou devenez caissières”. Ce syndicat, qui revendique 300 adhérents en France, “exige” au plan local l’”abandon de tous les arrêtés” et la “reprise d’une concertation”, et au plan national la “reconnaissance du travail du sexe comme un service à la personne parmi d’autres”.

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