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© tim douet

Grand Lyon: doutes et suspicions sur un marché à 2 milliards

Gérard Collomb s'apprête à faire voter au Grand Lyon l'attribution d'un contrat potentiellement explosif. L'appel d'offres du chauffage urbain avait provoqué, en 2005, la démission de Patrick Bertrand, vice-président au Grand Lyon, qui dénonçait alors un "marché pipé". A nouveau, et à six mois des élections municipales, des doutes et des suspicions sont exprimés aujourd'hui sur l'attribution de ce marché public estimé à 2,5 milliards d'euros.

Les enjeux financiers sont colossaux. L'affaire est cauchemardesque pour Gérard Collomb et l'est pour le Grand Lyon depuis presque toujours (Lire: chauffage urbain: 40 ans de gestion désastreuse). Alors, la cuisine politique lyonnaise avec ses coups discrets à dix-huit bandes est venue s'inviter à la table de négociations de l'un des plus importants contrats publics de France. La délégation de service public du chauffage urbain de Lyon représente 2,5 milliards d'euros sur 25 ans et des investissements compris entre 150 et 200 millions d'euros.

Cauchemardesque, pourquoi ?

Depuis 2004, le marché du chauffage pourrit la vie de Gérard Collomb. En juillet 2004, le Grand Lyon l'attribue à Dalkia, filiale de Veolia et d'EDF. Mais, très vite, des irrégularités dans la procédure d'appel d'offres vont être dénoncées par Enerpart, concurrent de Dalkia à l'époque. Rétention d'information, personne non habilitée qui assiste à l'examen des offres de la commission de délégation de service public, modification du cahier des charges après la date limite imposée.

Trop, c'est trop. La justice annule l'appel d'offres et le patron des marchés publics au Grand Lyon claque la porte, en portant de lourdes accusations de marchés truqués. Durant cinq ans, toutes les décisions de la justice administrative donneront raison à Enerpart qui a fait condamner le Grand Lyon à lui payer un peu plus de 6 millions d'euros d'indemnités. Mais, le marché ayant été annulé, la société Dalkia a estimé elle aussi qu'elle pouvait légitimement se tourner vers les tribunaux en réclamant 68 millions d'euros au Grand Lyon au titre du préjudice subi. Rien de moins.

Or, c'est justement à Dalkia que le Grand Lyon s'apprête à réattribuer l'exploitation du chauffage urbain, dans un contexte de "suspicion légitime", selon les dires d'une source qui connaît bien le dossier.

Suspicion légitime

Depuis un an, GDF-Suez et Dalkia négocient avec le Grand Lyon pour l'obtention de la concession. La commission de délégation de service public a décidé de retenir l'offre de Dalkia, offre pourtant jugée la plus chère et la moins avantageuse pour le critère des conditions financières et juridiques. Ainsi, Gérard Collomb s'apprête à demander à sa majorité au Grand Lyon de voter pour le délégataire qui fera payer le chauffage plus cher aux Lyonnais. Mais ce n'est pas tout. Selon nos informations, Dalkia a fait des propositions qui seraient contraires au cahier des charges.

Le Grand Lyon avait en effet réclamé des garanties de transparence et de simplification de la gouvernance, en demandant qu'une société dédiée soit créée pour la gestion du chauffage urbain. Si GDF-Suez respecte ce critère en créant une société dédiée avec un actionnaire unique (GDF-Suez Energie Services), Dalkia propose un montage plus complexe.

La société dédiée est composée de trois actionnaires : Caisse des dépôts et consignations (38 %), Dalkia (31 %) et Idex-Energies (31 %). Mais, étrangement, ce n'est pas cette société dédiée qui exploitera le réseau du chauffage urbain. Cette tâche reviendra à une autre société, détenue à parts égales par Dalkia et Idex-Energies, à qui seront "subdéléguées" la réalisation des travaux et l'exploitation du réseau, au travers d'un contrat de promotion immobilière et d'un contrat d'exploitation. Attribuer la fonction de promoteur à une société censée exploiter un réseau de chauffage n'est pas nécessairement le meilleur gage de transparence.

Qui plus est, la présence de la Caisse des dépôts et consignations dans le capital de la société dédiée indigne plusieurs acteurs du dossier, qui s'autorisent à s'interroger sur les conditions d'attribution de la concession du chauffage. Car ils n'oublient pas que la Caisse des dépôts a contribué à sauver le projet de grand stade de l'OL il y a quelques mois, en apportant un financement obligataire de l'ordre de 32 millions d'euros à l'Olympique lyonnais. Ils n'oublient pas non plus qu'EDF, actionnaire à 34 % de Dalkia, a signé le projet d'un bail pour occuper plus de 60 000 m2 de bureaux dans une nouvelle tour en projet à la Part-Dieu, à proximité de la gare : la tour Two-Lyon (lire ici et voir là).

Chantage au recours

Enfin, les élus devront voter une clause qui risque de pénaliser durablement le réseau de chauffage lyonnais. Dalkia a en effet intégré dans son offre une clause étonnante en cas de recours déposé devant la justice contre l'attribution de ce marché. "Le candidat introduit une limite dans les investissements en cas de recours (32 % seulement seront réalisés en cas de recours contre le contrat tant que ce recours n'aura pas abouti)",est-il écrit dans le projet de délibération soumis au Grand Lyon. Dalkia prévoit ainsi 170 millions d'euros d'investissement quand son concurrent, GDF-Suez, proposait d'en réaliser 140 millions.

Mais, si GDF-Suez ou une association de contribuables ou de défense des consommateurs avaient la mauvaise idée de faire un recours contre cet appel d'offres en raison d'irrégularités par exemple, alors Dalkia ne ferait plus qu'une toute petite partie des investissements initialement prévus. Si un recours est déposé, ce sont 55 millions d'euros d'investissement qui seront réalisés par Dalkia et non les 170 millions généreusement promis, avec des conséquences non négligeables sur le réseau.

Dalkia a pourtant convaincu la commission de délégation de service public que leurs investissements étaient nettement supérieurs à l'offre de GDF-Suez. Les élus du Grand Lyon sont donc invités à voter une clause qui s'apparente à un chantage au recours. Au Grand Lyon, certains élus de la majorité se disent “mal à l'aise” avec cette procédure. “On ne peut que constater l'évidence de la manipulation”,accuse un acteur qui a suivi le dossier. Conséquence obligée, des recours seraient en cours de préparation contre ce contrat décidément maudit.

Lire notre dossier : “Le cauchemar du chauffage urbain”

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Suite à la parution de l’article ci-dessus, le Grand Lyon a souhaité exercer son droit de réponse : à lire ici.

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