Cécile Gallien, vice-présidente de l’Association des maires de France et François Baroin, le président : « je ne suis pas du tout d’accord avec François Baroin. Lorsqu’on est un élu responsable de France, on est à la fois Girondin et Jacobin. »

Grand débat- Cécile Gallien: "Un maire de petite commune vit dans le réel"

Dans le cadre du grand débat national, consultation lancée à la suite de la crise des "gilets jaunes", Lyon Capitale ouvre ses colonnes. Cécile Gallien (Modem, LREM) a recueilli les doléances de ses concitoyens à Vorey, un village de Haute-Loire.

Lyon Capitale : Que pensez-vous de ce grand débat national ?

Cécile Gallien : Je crois que c'est une chance à saisir pour tous les Français qui ont envie de s'exprimer, les "gilets jaunes" mais aussi tous ceux qui ne se sont pas exprimés dans la rue et qui ont envie de dire des choses sur les problèmes qu'ils peuvent rencontrer dans leur vie quotidienne. Les quatre thème proposés pour le débat (le pouvoir d’achat, la fiscalité, la démocratie et l’environnement, NdlR) correspondent complètement à l'attente des gens. Je suis maire d'une petite commune de Haute-Loire de moins de 1 500 habitants, toutes ces questions reviennent.

Avez-vous ouvert un cahier de doléances à Vorey ? Quelles revendications ressortent le plus ?

J'ai effectivement ouvert un cahier de doléances. On a eu une vingtaine de doléances pour le moment. Il y a la question de la fiscalité : qu'est ce qu'une fiscalité plus juste ? Où faut-il mettre l’argent public ? Il y a aussi la question de la transition écologique et énergétique : comment je fais pour me déplacer quand j'habite un territoire rural ? Comment je fais pour me loger et me chauffer sans dépenser les trois-quarts de mon pouvoir d'achat ? La question de fond qui se pose est, me semble-t-il, de savoir comment être plus intelligent à plusieurs. Je suis persuadé qu'en rassemblant les politiques régionales, départementales et intercommunales, on peut être plus efficace. Il faudrait que l'argent public qui passe par ces collectivités servent vraiment aux services essentiels demandés par les habitants, ce qui parfois n’est pas le cas.

Plus de transparence sur les finances publiques...

Oui. À l'AMF (Association des maires de France), dont je fais partie, on a des débats. Je nager parfois à contre-courant. Je dis alors à mes collègues qu'on est, en France, à la fois Jacobins et Girondins : qui paie les frais d'école primaire ? C'est la commune. Mais qui paie les profs d'école primaire ? C'est l'État. Idem en région. Il faut expliquer aux gens comment tout ça fonctionne. Et peut-être que les gens auront des demandes légitimes pour que ce portefeuille public, auquel ils participent par fiscalité nationale, comme l'impôt sur le revenu, et fiscalité locale, évolue.

"Comme maire, je gagne 1 300 euros par mois"

 

Selon le dernier baromètre du Cevipof, le niveau de confiance dans les personnalités politiques selon les fonctions (députés, conseillers régionaux, Premier ministre, président de la République, députés européens) est en chute libre, à l'exception des maires. Quel dialogue avez-vous mis en place à Vorey ?

Je suis disponible à toute heure du jour et de la nuit, et ce n'est pas une blague, je dors avec mon téléphone. Tout le monde peut me trouver dans la rue, en mairie. Quand vous êtes maire de commune rurale, il y a une très grande proximité que vous ne retrouvez plus dans les grandes villes. Quand il y a un gros accident, c’est le maire qui va prévenir les familles, quand un petit commerce ferme, vous vous décarcasser pour retrouver un repreneur, j'ai dû me battre pour trouver deux jeunes médecins pour remplacer ceux qui partaient à la retraite, un jeune qui a besoin d'un stage dans le cadre de ces études vient me voir, une femme battue, on trouve toujours une solution pour la mettre en sécurité, quand il y a une crue de la Loire, on se charge, avec les adjoints et les pompiers, d'évacuer les habitants. Ce lien de proximité est très palpable en milieu rural et se dilue au fur et à mesure que les populations augmentent. Un maire de petite commune, qui plus est rurale, vit dans le réel. On est connecté à 100% à aux gens, à ce qui se passe, à leurs difficultés.

Etes-vous une "professionnelle de la politique" ?

Je ne vais pas vous mentir, je suis la fois conseillère départementale et maire. Si je n'étais pas les deux, je ne pourrai pas en vivre. Maire, c’est 1 300 euros. Et encore je ne fais pas partie des maires les moins payés : les maires de communes de 500 habitants, ils doivent être entre 500 et 600 euros par mois. On doit faire face à des budgets restreints, on est mal payé et maintenant on fait partie d'intercommunalités de plus en plus grandes qui n'écoutent pas les maires. On se sent dessaisi de beaucoup de choses. Quand vous n'êtes pas écouté, quand vous n'avez pas le droit de participer à des commissions de travail, comme c'est le cas de la communauté d'agglo du Puy-en-Velay, on marche sur la tête. Nous qui sommes innovants réactifs on fait beaucoup de choses avec peu de moyens. Si j'avais attendu la communauté d'agglo pour avoir deux médecins et un dentiste, nous n'en n'aurions toujours pas.

En creux, vous en voulez à Laurent Wauquiez ?

Laurent Wauquiez a un double discours. C’est lui qui est venu faire le VRP pour nous convaincre de tous tous aller dans cette grand agglo de 73 communes en nous disant "ne vous inquiétez pas, ce que vous avez fait entre maires ruraux c’est super on va vous le reprendre". Au final, c'est débrouillez-vous avec le centre de loisirs intercommunal, débrouillez-vous avec le centre culturel intercommunal, débrouillez-vous avec le gymnase intercommunal.

Laurent Wauquiez n'est plus maire (du Puy-en-Velay, NdlR), il n'est plus que le président de la région Auvergne-Rhône-Alpes, à des strates déconnectées de la population. La grosse différence entre lui et nous, les maire ruraux, c'est qu'on vit dans le réel. On est et on fait du live.

"Il ne faut jamais avoir peur du débat même si ce sera difficile, violent parfois."

 

Laurent Wauquiez a récemment dit que "la réponse aux problèmes du pays, ce n’est pas une lettre (référence à la "lettre aux Français" d'Emmanuel Macron pour cadrer les enjeux du "grand débat national", NdlR) , ce n’est même pas un grand débat." 

C'est du Laurent Wauquiez tout craché. Il critique, il tacle mais il propose quoi ? Il faut donner la parole aux citoyens. Ce sont eux qui vivent sur nos territoires. Il faut aussi, je pense, redonner la parole aux corps intermédiaires car dans une démocratie on a besoin de syndicats professionnels, de syndicats de salariés, de représentants des familles, etc. Ce débat, c'est une chance à saisir pour inventer une nouvelle société en France. Car il faut bien continuer à faire société, à se respecter mutuellement, à faire en sorte que la répartition des richesses soit plus équilibrée car les écarts qui se creusent de manière insupportable. Il faut que les gens qui travaillent puissent vivre dignement de leur travail, ce qui n’est pas le cas partout en France. Il faut donner une place à tous les gens dans nos territoires. Il y a des personnes qui se sentent exclues des débats publics, c'est une vraie chance de les entendre. Peut-être qu'il faut créer une sorte de conseil des citoyens. Il ne faut jamais avoir peur du débat même si ce sera difficile, violent parfois. La dialogue est un exercice indispensable car car craque de partout. J'aime mon pays, il nous paie l'école, la santé. Il faut revoir beaucoup de choses, la liberté, l'égalité aussi, mais ne foutons pas tout en l'air.

Ce n'est donc pas un "enfumage" et un "rideau de fumée", comme le soulignait mardi matin sur France Info, André Laignel, maire d'Issoudun (région Centre-Val de Loire) et vice-président (un autre) de l'Association des maires de France  ?

Je ne suis pas une professionnelle de la politique. André Laignel a commencé la politique en 1976, j'ai été élue en 2008. Je ne veux pas tomber dans la politique partisane. Je veux sincèrement et profondément que les gens soient plus heureux là ou ils vivent.

François Baroin, président de l'Association des maires de France, Dominique Bussereau, président de l'Assemblée des départements et Hervé Morin, président des Régions de France sont à l'unisson : si les maires peuvent être des "facilitateurs" du grand débat national, "ils ne sauraient en être les organisateurs, car ce serait faire porter sur eux une responsabilité qui n'est pas la leur". Que leur répondez-vous ?

Je ne suis absolument pas d'accord. Lorsqu'on est un élu responsable de France, on est à la fois Girondin et Jacobin. On est bien content de trouver les services de l'État qui existent sur nos territoires, profs, pompiers, gendarmes, les hôpitaux publics et on fait du mieux avec les moyens de nos collectivités locales. J'ai une conception plus ouverte de ce qui est un élu en fait. Ce n'est pas l'État contre les collectivités et les collectivités contre l'État. Arrêtons de diviser ! Il faut nous rassembler ! L'État et les territoires peuvent et doivent travaillent main dans la main. Stoppons les querelles de clochers. Les trois, ils sont quand même gonflés de dire ça. Franchement, Macron propose un truc hyper risqué, même pour lui. Mais avec toute cette colère, on ne peut s'en sortir qu'à, travers la discussion et les échanges. Il faut qu'il y ait une compréhension mutuelle des Français.

Vous êtes à la fois élue LREM et Modem. Une "équilibriste de la politique" comme vous a qualifié L'Express...

Je fais de la musique donc j'aime bien l'équilibre. Mais les qualificatifs, ce n'est pas très important. Pour moi, la vraie question c’est de faire synthèse. Une société est un système complexe. C’est un corps vivant avec deux mains, une tête, des pieds, des réseaux nerveux. Une commune, comme la société, c’est un écosystème vivant. Le job d'un maire c’est de faire en sorte que tous les membres de ce corps fonctionnent ensemble.

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