"Avec un réacteur à sels fondus, aucun accident grave ne peut arriver"

Alors que le gouvernement britannique vient de donner son feu vert à la construction de deux EPR à Hinkley Point, que la fermeture de Fessenheim cristallise les polémiques franco-allemandes et que le débat fait rage autour du rôle du nucléaire pour juguler le réchauffement climatique, le Laboratoire de physique subatomique et de cosmologie de Grenoble (LPSC) travaille d'arrache-pied sur les réacteurs de quatrième génération, notamment le réacteur à sels fondus alimenté au thorium. Le thorium, le rêve d'un nucléaire propre ?

La centrale de Cruas-Meysse, en Ardèche.

PHOTOPQR/LE REPUBLICAIN LORRAIN/MAXPPP
La centrale de Cruas-Meysse, en Ardèche.

Daniel Heuer est directeur de recherche au CNRS et physicien affecté au laboratoire de physique subatomique et de cosmologie de Grenoble (LPSC). Ce chercheur grenoblois est reconnu comme étant l'un des grands spécialistes mondiaux des réacteurs à combustibles liquides et de la filière thorium. Arte consacre ce mardi soir un documentaire sur le thorium illustré par des dessinateurs lyonnais, dont Jérôme Jouvray.

Lyon Capitale : Quels sont les avantages des réacteurs au thorium à sels fondus ?

Daniel Heuer : L'un des avantages majeurs de ce réacteur est l'utilisation d'un combustible liquide que l'on dissout dans des sels fondus qui circulent à l'intérieur du réacteur pour le refroidir. L'intérêt central est la sécurité qu'offre ce combustible liquide. Le réacteur est en effet extrêmement stable.

À quoi est liée cette stabilité du réacteur ?

Au phénomène d'expansion des liquides. Lorsque le cœur chauffe trop, le liquide se dilate et fait remonter le niveau dans un trop-plein situé au-dessus du cœur du réacteur, loin de la réaction en chaîne. Cela permet d'avoir moins de matière fissile dans le cœur et donc de ralentir la réaction en chaîne. Cela n'est possible qu'avec un combustible liquide.

Un accident de type Fukushima est-il possible ?

À Fukushima, le système de refroidissement de la centrale a arrêté de fonctionner mais le combustible solide, qui était resté à l'intérieur du cœur même du réacteur, a continué à se désintégrer et à produire de la chaleur. C'est ce qui a provoqué la fusion des cœurs des réacteurs, la production d'hydrogène et au final l'explosion de cet hydrogène. Dans un réacteur à sels fondus, en cas de panne de courant, il n'y a qu'à vider le combustible liquide dans une cuve prévue à cet effet. Le coeur du réacteur est fermé par un "bouchon de sel" qui, lorsque l'électricité est coupée, fond et libère le combustible qui s'écoule dans ce réservoir. Avec un réacteur à sels fondus, aucun accident grave ne peut arriver.

Comment fabrique-t-on des combustibles nucléaires liquides ?

C'est un peu complexe mais ce sont des opérations de chimie aujourd'hui bien maîtrisées. La difficulté est de le faire avec des matières radioactives qui doivent être parfaitement confinées.

Pourquoi avoir choisi le thorium ?

Le choix peut être le thorium ou l'uranium. Dans les deux cas, le réacteur peut être régénérateur, c'est-à-dire capable de régénérer la matière fissile qu'il consomme. Avec le réacteur que nous étudions, les deux sont possibles mais le thorium permet une meilleure efficacité économique en réduisant les besoins en traitement chimique et en réduisant encore un peu plus la production de déchets. En France, on dispose d'environ 10 000 tonnes de thorium déjà extrait, ce qui nous permettrait de produire autant d'électricité que ce que nous produisons actuellement pendant plus d'un siècle.

Daniel Heuer, physicien au CNRS - LPSC de Grenoble

Daniel Heuer, physicien au CNRS - LPSC de Grenoble

« On pourrait alimenter un réacteur à sels fondus avec les déchets produits par les réacteurs actuels. »

Vous voulez dire qu'un tel réacteur pourrait "se nourrir" des déchets nucléaires ?

Il y aura toujours des produits de fission, dont 7% sont radioactifs sur le long terme. Ce ne sera donc pas totalement propre. Mais la durée de vie de ces déchets est de seulement quelques centaines d'années contre plusieurs dizaines de milliers d'années pour les déchets produits aujourd'hui. En réalité, l'essentiel des déchets, qu'on appelle les actinides, des produits très toxiques et à la durée de vie très longue, pourraient être recyclés. En d'autres termes, on pourrait alimenter un réacteur à sels fondus avec les déchets produits par les réacteurs actuels. Par exemple, le MOX, à savoir un mélange d'uranium et de plutonium, qui provient d'une fraction du combustible usé dans les centrales actuelles, pourrait alimenter les réacteurs à sels fondus.

Un réacteur qui ferait office d'incinérateur en quelque sorte...

En quelque sorte.

Existe-t-il des difficultés insurmontables pour construire un réacteur à sels fondus ?

Non. Nos études de faisabilité ne nous ont pas permis d'identifier un quelconque verrou technologique. En revanche, s'agissant tout de même d'une technologie nouvelle, il y a des points que nous n'avons pas encore résolus, mais sur lesquels nous travaillons. On a besoin d'échangeurs de chaleur très spécifiques, dont les caractéristiques sont assez éloignées de ce qui se fait habituellement. Et aujourd'hui, on ne sait pas trop faire. Sur l'aspect chimie pure, si on veut construire un réacteur-régénérateur, il faut faire du retraitement chimique. En l'état de nos études, on n'est pas encore certain que ça fonctionne. Dans tous les cas, si nous ne trouvons pas de solutions à ces problèmes, il est toujours possible de relâcher certaines contraintes. On obtiendra un réacteur un peu moins efficace mais la sûreté ne sera pas impactée.

"La recherche sur le nucléaire entre 2014 et 2020 représente 144 millions d'euros. Le réacteur à sels fondus, c'est seulement 2,5% de cette somme."

Combien de temps faudrait-il pour envisager un déploiement à l'échelle industrielle ?

Aujourd'hui, en France, on est peu nombreux à travailler à plein temps sur ces réacteurs au thorium à sels fondus. Au niveau européen nous disposons d’un projet de 3,5 millions d'euros qui permet d’avancer sur la démonstration de sûreté. Pour aller plus loin, il faut réaliser des expériences qui sont forcément coûteuses. Un budget de 10 à 100 millions d'euros permettrait de démontrer tous les systèmes pris indépendamment. Pour construire un démonstrateur, il faut investir de l’ordre du milliard d'euros. Tout cela pourrait ce faire en 10 ou 15 ans, mais ça demande une vrai volonté politique

Ne pas pouvoir développer de réacteur avant le milieu du siècle, c'est problématique eu égard au changement climatique qui, lui, demande d'apporter des réponses à plus court terme...

Je suis d'accord. Cela veut dire qu'il faut accélérer le mouvement. Il faut se donner les moyens. La recherche sur le nucléaire entre 2014 et 2020 représente 144 millions d'euros. Le réacteur à sels fondus, c'est seulement 2,5% de cette somme. Soit 3,5 millions d'euros. Il s'agit donc d'un choix politique.

> Pour aller plus loin : Nucléaire : quels scénarios pour le futur ? (Collection 360). Michel Chatelier – Patrick Criqui – Daniel Heuer – Sylvestre Huet

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