La Cour de Cassation se prononcera sur la non-dénonciation d’agressions sexuelles
La Cour de Cassation se prononcera sur la non-dénonciation d’agressions sexuelles

Affaire Barbarin - Lyon : procès d’un homme et procès de l’Église

Le procès en appel du cardinal Barbarin s’est déroulé à Lyon ces jeudi et vendredi. Au sein de la cour d’appel, les victimes du père Preynat, à qui la justice a donné raison en première instance, ont de nouveau pointé du doigt les fautes du cardinal. De son côté, la défense du prélat s’est attachée à différencier “la cause” portée par les parties civiles et “la rigueur du droit”.

L'audience du procès en appel a été levée peu avant 20 heures ce jeudi soir. Comme une ironie, de l’autre côté de la Saône débutait la représentation de La Vie de Galilée de Bertolt Brecht, au théâtre des Célestins. Un éloge de la raison face à l'obscurantisme. Une critique acerbe, menée par Philippe Torreton, de la volonté de conservation de l'Église. Pourquoi vouloir changer l'ordre du monde ? Quelle drôle d'idée, monsieur Galilée, de faire quitter à l'homme sa place centrale dans l'univers ? Le clergé questionne le scientifique, inquiet d'apparaître faillible aux yeux du monde, après deux millénaires de certitude.

Protéger l’institution

Ce vendredi matin, c'est un homme seul qui s'est de nouveau présenté à la barre de la cour d'appel de Lyon. Le cardinal Barbarin, comme figure d'une institution qui a couvert des faits de pédophilie depuis de très nombreuses années. La pièce qui se joue là est bien réelle et n'a plus rien d'un jeu, d'ailleurs. Les neuf victimes soutiennent que, plus qu'une façade, l'homme d'Église a contribué au silence en ne saisissant pas la justice en 2014 et avant en 2010 quand il a eu connaissance des faits d'agressions sexuelles du père Preynat. Elles ont été suivies en première instance par le tribunal. “Une dénonciation adressée au procureur de la République pouvait tout à fait contenir les mêmes informations que celles transmises à Rome”, en 2014 quand le cardinal décide de solliciter l’avis de sa hiérarchie après cinq mois d’insistance d’Alexandre Hezez. Comme chez Brecht, un homme d'Église aurait choisi de protéger son institution. “Alors même que ses fonctions lui donnaient accès à toutes les informations et qu’il avait la capacité de les analyser et les communiquer utilement, Philippe Barbarin a fait le choix en conscience, pour préserver l’institution à laquelle il appartient, de ne pas les transmettre à la justice. (…) il a préféré prendre le risque d’empêcher la découverte de très nombreuses victimes d’abus sexuels par la justice et d’interdire l’expression de leur douleur”, concluait le jugement.

Abréger les souffrances

Parler à Rome plutôt qu'à la justice. Préférer les voûtes des églises au plafond à caissons de la salle d’Aguesseau de la cour d’appel de Lyon. En 2015, le Vatican, prévenu de la démarche d'Alexandre Hezez, prescrit d'écarter le prêtre pédophile en “évitant le scandale”. “Mais, le scandale, il est là, lance Me Sauvayre, l'un des avocats des parties civiles. Il l'aurait moins été s'il avait saisi la justice. Mais vous avez raté le rendez-vous avec votre histoire.Vous auriez pu élever votre âme en vous donnant une autre dimension. Celle d'un homme à l'écoute, indulgent et bienveillant. Si ce rendez-vous a été raté, celui de la justice a été réussi et je vous demande de le faire de nouveau.”

“Pensez-vous qu'il faille sacrifier le cardinal pour le bien de la société ?” interroge Me Soulier, l'une des défenses de l'homme d'Église, à François Devaux. “Je ne participerai pas à une cabale contre l'homme qui a un genou à terre. Mais je dis que c'est un directeur spirituel, qui guide les âmes. Chaque jour il se lève en cherchant le bien. La fonction d'archevêque impose une hauteur de vue. Et, visiblement, il y a une incompatibilité entre cette hauteur que la fonction exige et les faits qui sont jugés ici”, lui répond le fondateur de l’association La Parole Libérée. Toutes les parties civiles estiment que leurs “souffrances [auraient été] abrégées” si Philippe Barbarin avait dénoncé les faits.

Des faits que le cardinal a encore du mal à qualifier. Il parle de “trucs” ou de “rumeurs”“Les rumeurs, c'était quoi ? s'est énervé jeudi Me Boudot, qui représente l'une des parties civiles. Il leur apprenait à tricher au Monopoly avec Preynat ?” Le cardinal répond à côté. “Une rumeur, ce n’est pas “Oh, attention, il y a un prêtre”, il y a forcément quelque chose derrière le mot prêtre”, renchérit l'avocat. Philippe Barbarin esquive de nouveau. “Le pire des sourds est celui qui ne veut pas entendre”, commente désabusé Me Sauvayre.

Douleur et droit

Mais le cardinal doit-il porter seul le silence et les fautes d'une institution ? C'est ce qu'a demandé Jean-Félix Luciani, l'avocat du cardinal, durant sa plaidoirie. “Philippe Barbarin a perdu ce sentiment d'égalité parce qu'il est le seul à être ciblé pour un silence partagé depuis des années par d'autres”, a-t-il lancé, avant de revenir “sèchement” à la rigueur du droit. “J'ai entendu douleur, émotion et innovation juridique. Et j'ai compris ici que nous étions ceux qu'il convenait de couvrir d'opprobre. Mais, est-ce que la douleur à elle seule crée le droit et peut permettre de condamner un homme ?” questionne l'avocat de l'archevêque. Quitte à ne pas paraître populaire aux yeux du grand public, Jean-Félix Luciani plaide aussi “le secret ecclésiastique”. “Même en ces temps de transparence aiguë, la loi permet de révéler ou de ne pas révéler sans s'attirer les foudres de la loi pénale. Quand Hezez vient le voir, c'est du secret ecclésiastique. Que ça choque ou non, c'est la loi. Et si l’on ne trouve pas ça possible, alors il faut changer la loi”, tranche-t-il. Encore une fois, il concède des “erreurs”, mais certifie que le cardinal n'avait pas à dénoncer à la place d'une personne majeure. Il le répète plusieurs fois. “Le droit pénal est le droit des fautes pénales, pas celui des maladroits et des malchanceux”, déclare l'avocat.

“Accuser un innocent, ce n’est pas défendre une cause, c’est accuser un innocent”

Puis, Me Luciani reprend deux dépositions faites par les parties civiles jeudi pour commenter l'application de l'obligation de dénoncer. “Hier, Laurent Duverger a dit : “Je connais au moins huit victimes qui n'ont pas voulu déposer plainte.” Je comprends qu'il n'ait pas dénoncé à leur place. Pierre-Emmanuel Germain-Thill a lui parlé de son ancienne compagne à qui il avait parlé pour la première fois.” Il pointe du doigt le cardinal. “Pourquoi l'application de dénoncer s'applique à lui et pas à eux ? Vous imaginez qu'il faille dénoncer à chaque fois ? On ne pourrait faire confiance à personne.” Dès le premier jour, l'archevêque était aussi sur cette ligne. “Pourquoi moi ? Pourquoi pas les familles ou la justice ?” implorait-il en s’adressant aux juges. Ce midi, son avocat a demandé la relaxe pour ce qu’il a estimé être “un combat de trop des parties civiles”“Même si ce combat est juste, il n'y a pas d'intérêt social qui dépasse la liberté des hommes (…) Tuer un homme, ce n'est pas une doctrine, c'est tuer un homme. Accuser un innocent, ce n'est pas défendre une cause, c'est accuser un innocent”, a conclu Jean-Félix Luciani.

“Notre société n'est pas encore à la hauteur du fléau”, a déclaré François Devaux à la fin de la séance, pour commenter le réquisitoire de l’avocat général qui a plaidé la relaxe. Le délibéré sera rendu le 30 janvier. Contrairement au procès en correctionnelle où il était sorti par une porte dérobée, Philippe Barbarin est reparti par l'entrée principale du tribunal. Sous la pluie, casquette noire vissée sur le tête, il s'est dirigé vers le diocèse situé à deux pas. “Celui qui ne connaît pas la vérité, celui-là n'est qu'un imbécile. Mais celui qui la connaît et la qualifie de mensonge, celui-là est un criminel”, dit Galilée dans la pièce de Brecht. Les deux camps du procès qui s'est tenu depuis jeudi pourraient y souscrire.

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