Jeunes et alcool

Les jeunes et l’alcool, un cocktail à risque

Pourquoi les jeunes boivent-ils ? Comment les aider face à ce fléau ? Quels sont les signaux d’alerte ? Autant de questions que chaque parent sera amené, un jour ou l’autre, à se poser, souvent plus tôt qu’il ne le pensait. Éléments de réponse.

L’Observatoire de la jeunesse* révèle le paradoxe suivant : si la consommation régulière d’alcool a baissé ces dernières années chez les jeunes de 17 ans, les ivresses occasionnelles sont en progression. Menée tous les quatre ans sous l’égide de l’OMS, l’enquête HSBC (Health Behaviour in School-Aged Children) sur la santé des collégiens révèle qu’en France presque la moitié des jeunes de 16 ans déclarent avoir déjà été ivres au cours de leur vie.

Dès le collège

C’est au collège que les premiers usages réguliers d’alcool apparaissent, avec une intensification très nette de la consommation en classe de 3e. Selon cette même enquête, l’alcool est d’ailleurs la substance psychoactive la plus largement consommée par les collégiens. “C’est en général aux alentours de 15 ans que les jeunes connaissent leur première ivresse”, explique Françoise Facy, la présidente de l’ANPAA (Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie) du Rhône, ancienne directrice de recherche à l’Inserm, qui est aussi vice-présidente de l’ANPAA France. “Cependant, je ne suis plus étonnée quand je reçois un enfant de 12 ou 13 ans qui dit avoir déjà bu de l’alcool en grosse quantité”, rapporte Julie Cuilleret, psychologue à La Tour-du-Pin.

Premix et binge drinking

La bière et les alcools forts ont la préférence des jeunes, avec une attirance particulièrement marquée pour les “premix”, ces boissons qui associent un soda à un alcool fort. Un marketing très au point se charge de ce succès. Très justement appelées RTD (ready to drink), elles sont conditionnées dans des canettes ou des petites bouteilles. Un packaging flashy et un goût très sucré tentent de les assimiler à des boissons inoffensives et ludiques. Pour un peu, on en oublierait presque qu’outre la cerise ou le citron elles contiennent du whisky ou de la vodka.

Autre phénomène très répandu, le binge drinking, à l’anglo-saxonne, qui consiste à ingurgiter le maximum d’alcool en un minimum de temps, avec un effet ivresse express garanti. Un mode de consommation qui n’est pas sans danger puisque le risque de coma éthylique est particulièrement fort. “Cette pratique abusive se calque sur le mode de consommation d’une drogue dure, prévient Julie Cuilleret. L’effet recherché est le même : le corps est matraqué par une absorption massive d’alcool, ce qui peut s’assimiler à une injection d’héroïne ou à un rail de cocaïne. Certains bars sont d’ailleurs largement incitatifs, n’hésitant pas à proposer des promotions sur les rails de téquila, que les jeunes s’amusent à boire en un temps record.”

Quels sont les risques ?

À terme, une alcoolisation abusive fait courir le risque d’une dépendance. Mais les dangers immédiats sont tout aussi dévastateurs : accidents de voiture, comas éthyliques, violence... “Le mélange boisson énergisante et alcool fait des ravages, déplore Françoise Facy. Cela entraîne chez les jeunes des comportements de violence, aussi bien sur les autres que sur eux-mêmes.”

Côté risques, les filles et les garçons ne sont pas logés à la même enseigne, explique-t-elle : “Les filles ont d’abord un taux d’alcool qui grimpe plus rapidement que les garçons. Et elles sont vulnérables face à d’éventuelles violences sexuelles, auxquelles elles ne sont absolument pas préparées.” Sans oublier que certaines jeunes filles, soucieuses de leur ligne, ne mangent rien de la soirée, pour compenser l’apport calorique de l’alcool.

Un rite initiatique

Cette tentation de l’ivresse constitue une étape quasi obligatoire pour l’adolescent. “C’est une sorte de rite de passage vers l’âge adulte, un moment de mise en danger, explique Julie Cuilleret. J’aurais tendance à dire qu’il faut bien que jeunesse se passe. Et que les cuites que le jeune n’aura pas prises entre 15 et 20 ans, il les prendra plus tard. Ou fera autre chose, par exemple une conduite à risque en voiture dès qu’il aura son permis.” Il faut donc que les parents déculpabilisent... À condition que le jeune ne reste pas dans l’addiction, et apprenne par lui-même les limites. Aux parents de bien faire la différence entre les expériences menées par leur enfant, et une consommation abusive et durable.

“Passé une dizaine de cuites, il y a de fortes chances que le jeune revienne à une consommation normale, raisonnée, rassure la psychologue. Aidé en cela par les effets “gueule de bois”, qu’il n’appréciera probablement pas ! Ceux qui restent dans l’addiction ont en réalité du mal à grandir. Le passage vers l’âge adulte a du mal à se faire.” Le jeune remplace sa dépendance familiale par une addiction à l’alcool (ou à la drogue), tout en ayant l’impression de se conduire comme un adulte...

Les attraits de l’ivresse

Avec ses effets désinhibants, l’alcool a de sérieux atouts pour séduire les adolescents, notamment ceux qui manquent cruellement de confiance en eux. Autrement dit, quasiment tous ! L’alcool est un bon moyen pour être à l’aise et se donner une contenance. Il est aussi facteur d’intégration dans un groupe : celui qui boit est accepté par les autres... C’est tentant !

Certains jeunes avouent trouver dans l’alcool un refuge pour se protéger de la forte pression à la réussite qui pèse sur leurs épaules. “Pendant leurs études supérieures, les jeunes continuent à s’alcooliser, notamment ceux qui poursuivent un cursus générateur d’insatisfaction, souligne Françoise Facy. Un phénomène révélé dans des études réalisées par des mutuelles étudiantes, dont il ressort également que les étudiants coupés de leur milieu parental durant leurs études sont davantage enclins à boire.”

Quand et comment réagir ?

“Tout ce qu’il peut y avoir comme rupture doit alerter, prévient Françoise Facy. Des résultats scolaires en berne, l’arrêt soudain du sport ou des loisirs, un retrait du groupe de copains habituel... Il faut être très attentif aux fréquentations de l’enfant, suivre de près son entourage.” Des troubles du sommeil, une perte d’estime de soi, un mutisme inexplicable... sont d’autres signaux d’alerte à ne pas prendre à la légère. Ils ne signifient cependant pas forcément que le jeune s’enivre régulièrement. En cas de doute, on n’hésite pas à vérifier les bouteilles d’alcool de la maison.

La prévention s’installe dès le plus jeune âge. Le parent doit apprendre à son enfant à savoir dire non, à développer un esprit critique, à faire attention aux autres, à résister à la pression du groupe... Autant de comportements indispensables pour bien réagir face à la tentation de l’alcool. Dès que l’enfant entre au collège, il ne faut pas hésiter à parler rapidement des dangers liés à la consommation d’alcool. Un bon moyen d’instaurer un climat de confiance. En cas de problème, l’enfant se sentira davantage autorisé à en parler si vous avez déjà abordé le sujet en famille. Il faut aussi lui expliquer comment faire face à une situation d’urgence. “Il faut à tout prix les responsabiliser, en leur expliquant que si quelqu’un perd connaissance il faut le mettre en position latérale de sécurité, appeler les pompiers et ses parents”, explique Julie Cuilleret.

Leur parler aussi du “capitaine de soirée”, une pratique qui monte en puissance en France. Elle consiste à désigner dans le groupe un conducteur, qui doit rester sobre. Sans pour autant renoncer à s’amuser...

Les périodes d’examens, d’orientation scolaire sont tout particulièrement délicates. Les jeunes qui sont livrés à eux-mêmes sont plus fragiles que les autres. Lorsque les parents ne sont pas présents, c’est la porte ouverte à beaucoup d’angoisse. Forte est la tentation pour les jeunes de se réfugier dans l’alcool et les drogues douces, pour lutter contre les troubles anxieux qui les envahissent. “La solution, c’est qu’ils se sentent soutenus et aidés dans toutes les démarches, trop lourdes à gérer pour un enfant seul”, recommande la psychologue.

Diversifier les sources de plaisir

Le danger, c’est qu’avec l’alcool le jeune s’inscrive dans une spirale infernale d’autodestruction. S’il est féru de voyages, de sport, d’activités culturelles, il ne voudra pas gâcher cette passion. “C’est important que le jeune se sente la possibilité de se détendre sans être alcoolisé, prévient Julie Cuilleret. Et si les activités se font en famille, cela donne aux ados la possibilité de prendre du plaisir comme les grands. Autant je pense que trop les stimuler quand ils sont petits peut favoriser les addictions, autant il est important de proposer plein d’activités à des ados afin de les divertir, de les sortir de leur train-train. Si on ne se focalise que sur les études, l’alcool risque de devenir leur soupape de décompression.”

La tentation des soirées

“Jusqu’à l’âge de 15 ans, il ne faut pas laisser son enfant aller à une soirée sans présence parentale, et ne pas l’autoriser à en faire en votre absence, recommande Julie Cuilleret. Passé 15-16 ans, cela devient difficile d’interdire les sorties. Attention, cependant : si un jeune sort tous les week-ends, voire en semaine, et s’alcoolise à chaque fois, il y a de fortes chances que sa consommation d’alcool soit équivalente à celle d’un alcoolique chronique !” Il ne faut pas hésiter à lui faire voir la réalité en face, et à limiter le nombre de soirées.

Et si on leur donnait l’exemple ?

Il faut s’interroger sur nos propres habitudes de consommation. Les parents sont en effet les premiers modèles des enfants. Quelle image voulons-nous leur renvoyer quand nous buvons ? “En France, on a la chance d’avoir un modèle de consommation réfléchi, axé sur le plaisir, souligne Julie Cuilleret. C’est un modèle de consommation raisonnable et raisonné, intégré à un mode de vie, une culture, qu’on offre à nos enfants.” Il faut donc en profiter pour montrer à ses enfants que l’alcool fait partie de la gastronomie, qu’on en consomme parce qu’on apprécie le goût, pour fêter quelque chose, et non pour les effets qu’il procure.

Quant à faire goûter de l’alcool à ses enfants, la présidente de l’ANPAA du Rhône recommande de s’y prendre le plus tard possible. “Au-delà de 12 ans, voire davantage. Et dans le contexte d’un repas. En attendant, si l’enfant est demandeur, on peut lui faire respirer le vin, lui en faire apprécier la couleur, lui montrer les bulles du champagne...” Passé 15-16 ans, on peut faire goûter un demi-verre à l’enfant, pour une occasion bien particulière.

Votre enfant a bu...

“Il ne faut pas dramatiser, encore moins banaliser en disant que ce n’est pas grave, recommande Françoise Facy. L’alcool n’est pas un produit anodin.” Il faut mettre l’enfant face à ses responsabilités : s’il est malade, on en prend soin, mais à lui de nettoyer si éventuellement il vomit partout. Inutile de le punir, cela le maintiendrait dans son statut d’adolescent. En revanche, il est nécessaire de le confronter à la réalité, en lui expliquant que cette consommation n’est pas normale. Et prendre un malin plaisir à maintenir le programme chargé du lendemain, surtout s’il a une bonne gueule de bois !

* Publication de janvier 2011.

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