Jérôme Bocuse : "peut-être que le guide Michelin n'est plus adapté à son époque”

A l'occasion du Bocuse d'Or qui se déroule mardi et mercredi à Lyon, dans le cadre du Sirha, Lyon Capitale s'est entretenu avec son président Jérôme Bocuse. Il revient sur l'édition du guide Michelin qui, selon lui, "n'est peut-être plus adapté" à son époque.

 

Quel bilan faites-vous de seize éditions du Bocuse d'Or ?

Cette année est à part dans l'histoire du Bocuse d'Or. C'est la première édition qui se passe sans mon père. On a voulu le mettre à l'honneur à travers le thème viande. On a un carré de veau cinq côtes premières, "avec des os et des arêtes" comme il aimait à dire. En prime, ce veau devra être rôti de manière traditionnelle. De plus en plus de candidats utilisent des circulateurs, via la cuisson sous-vide qui produit des résultats incroyables avec une cuisson au degré près. Mais, au final, ça marche bien sur des banquets. Pour une finale comme celle du Bocuse d'Or, il fallait une belle pièce, qui a a eu le temps de reposer. Avec un circulateur, on obtient une note de 8 ou 9 sur 10. Avec un rôti, le résultat c'est soit 10 soit 2.

Les produits ont peu évolué. Qu'est-ce qui a véritablement changé ? Les techniques ? 

Les produits, on en avait déjà des bons il y a trente ans. On en découvre d'autres, avec la globalisation mais ce sont surtout les techniques qui ont effectivement beaucoup évolué. Il y a eu un bon en avant technologique. Le matériel, les fours au demi degré près, la maîtrise au niveau d'hygrométrie... Les chefs ont aussi évolué avec le matériel. C'est comme dans le sport : les athlètes ont évolué avec les nouvelles techniques et technologies mises à leur disposition.

Les profils des candidats ont-ils évolué depuis le premier Bocuse d'Or, en 1987 ? 

Il y a trente ans, pour se préparer au Bocuse d'Or, un chef prenait un peu de son temps libre le week-end, quand son restaurant était fermé. C'était plus cool. Aujourd'hui, les chefs arrêtent leur activité professionnelle pendant un ou deux ans , ils se retirent pour ne se consacrer qu'à leur préparation pour le concours. C'est dingue. Je prends l'exemple des USA qui ont remporté le concours en 2017. Mathew Peters était sous-chef au restaurant triplement étoilé Per Se à New York. Il a laissé son poste pendant deux ans pour se préparer.

On peut parler d'athlètes en cuisine ? 

Parfaitement. Ce sont des athlètes, des sportifs de haut niveau. Ils se préparent physiquement et mentalement.

Cette année, l'Afrique fait son entrée dans le concours. C'est une des missions du Bocuse d'Or de mettre en avant les patrimoines culinaires ? 

Tout à fait. Le Bocuse d'Or affirme son rôle de révélateur des patrimoines culinaires en permettant à des cultures parfois méconnues de se faire une place sur l'échiquier de la gastronomie mondiale. L'Afrique est présente cette année sur le concours avec la Tunisie et le Maroc. Ce que l'on recherche, c'est la diversité, la culture, les patrimoines.  Chaque pays vient avec sa culture même si le cadre cette année, c'est le veau. Le Maroc par exemple, sur la chartreuse, rien ne l'empêche  de mettre des citrons confits, des épices. L'idée c'est de savoir comment ils adaptent un plat classique avec leurs ingrédients et leur propre sensibilité, leur propre histoire.

Quels sont les enjeux d'un tel concours, quand on voit que le secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères se déplace avec l'équipe de France ?

Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'Europe et des Affaires étrangères avec l'équipe de France du Bocuse d'or, mardi 29 janvier, au Sirha.

Quand les USA ont remporté le concours en 2017 - je précise que je me suis complètement retiré de l'équipe américaine - les répercussions ont été dingues : l'équipe est passée sur CNN et tous les grands journaux du pays en ont parlé. Le tapis rouge se déroule quand vous gagnez le Bocuse d'Or, même l'argent. Regardez les Danois (1 or, 3 argent, 1 bronze, NdlR) : quand ils ont décroché un Bocuse, les  investisseurs se sont pressés pour leur proposer des contrats et d'ouvrir leur restaurant. Quand un cuisinier gagne le Bocuse d'Or, sa vie chef est transformée. C'est encourageant de voir des ministres venir soutenir la France. La gastronomie est importante, c'est elle qui fait rayonner le pays.

Qu'avez-vous pensé de l'édition 2019 du guide Michelin ?

Je ne remettrai jamais en cause les décisions des inspecteurs du Michelin. Mon père avait beaucoup de respect pour le guide. Mais je me pose la question, de nombreux chefs se posent la question, sur la crédibilité du guide. Marc Haeberlin, c'était cinquante ans de trois étoiles. Même si elles ne peuvent pas être acquises à titre permanent, il y avait une certaine légitimité. C’est comme pour Marc Veyrat. On lui accorde trois étoiles l'année dernière et on lui en retire une cette année. Il y des interrogations.

Quel message a voulu faire passer le guide Michelin selon vous ? 

Le guide Michelin a-t-il pris une évolution pour suivre ce que fait le 50 Best  (The World's 50 Best restaurants, NdlR) ? A-t-il voulu faire du buzz ?  Je ne sais pas, ce ne sont que des hypothèses mais on s'interroge à juste titre,  je crois.

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Une chose est sûre : personne n'est à l'abri de rien du tout. Comme disait mon père, "quand on croit  qu'on a réussi, c'est qu'on a déjà loupé". Mais je peux vous assurer qu'on fait tout, avec les managers, les équipes, les cuisiniers pour conserver ces trois étoiles. On fait même encore plus que du temps de mon père. On a mis les bouchées doubles depuis sa disparition.

Le guide vient de prendre des parts dans le Fooding pour rajeunir son image...

Aujourd'hui, donner une note ou une étoile à un cuisinier est compliqué et très subjectif. Est-ce qu'on donne des notes à un chanteur de rock ? A un sculpteur ? N'y a-t-il pas autre chose à penser, à imaginer que des étoiles ? En sport, il y a un chrono pour savoir qui est derrière et qui est devant. En cuisine, on n'en a pas besoin. Peut-être que le système Michelin est un système qui a fait son temps et n'est plus adapté.

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